Comme le remarque Peter Kwasniewski sur New Liturgical Movement, la comparaison entre la collecte traditionnelle de la messe de saint Albert le Grand et celle du nouveau missel est particulièrement emblématique du… changement de paradigme dans la liturgie, dira-t-on pour employer une expression à la mode.
La collecte traditionnelle dit ceci :
Deus, qui beátum Albértum Pontíficem tuum atque Doctórem in humána sapiéntia divínæ fídei subiiciénda magnum effecísti : da nobis, quǽsumus ; ita eius magistérii inhærére vestígiis, ut luce perfécta fruámur in cælis.
Traduction littérale :
Dieu, qui avez fait grand le bienheureux Albert, votre évêque et docteur, en ce qu’il a soumis la sagesse humaine à la foi divine: donnez-nous, nous vous le demandons, de suivre les traces de son magistère, afin que nous puissions jouir de la lumière parfaite dans les cieux.
Nouvelle collecte :
Deus, qui beátum Albértum epíscopum in humána sapiéntia cum divína fide componénda magnum effecísti, da nobis, quǽsumus, ita eius magistérii inhærére doctrínis, ut per scientiárum progréssus ad profundiórem tui cognitiónem et amórem perveniámus.
Traduction officielle :
Tu as voulu, Seigneur, que saint Albert mérite le nom de grand pour avoir su concilier sagesse humaine et foi divine, accorde-nous, à l'école d'un tel maître, à travers nos progrès dans les sciences, de mieux te connaître et de t'aimer davantage.
Dans la première collecte, Albert est grand parce qu’il a soumis la sagesse humaine à la foi divine, selon l’enseignement de saint Paul et des pères. Et c’est en suivant ses traces, en éclairant et en redressant la sagesse humaine par la foi, en soumettant tout à la lumière de la foi, que nous pourrons nous élever jusqu’à jouir de la lumière parfaite du paradis.
Il y a une hiérarchie de la sagesse, qui est celle que manifestaient les universités, qui commençaient à se constituer à l’époque même de saint Albert : les sciences profanes, la philosophie, la théologie. La science a besoin de la raison, la raison a besoin de la foi, et il ne faut jamais perdre de vue l’unité de « l’université » dans la vérité. C’était un des beaux leitmotive de Benoît XVI.
Mais dans la nouvelle oraison Albert n’est grand que parce qu’il a su « concilier » la sagesse humaine et la foi divine, toutes deux mises sur le même plan, et s’il faut les « concilier » c’est qu’elles seraient antagonistes, ce qui est contraire à ce que pensait saint Albert et à la conception même de l’université catholique. On remarquera que la traduction aggrave le texte latin, car celui-ci a un verbe neutre : componere : mettre ensemble, sans hiérarchie, mais aussi sans antagonisme.
Et puisque tout est sur le même plan, il n’y a donc plus de montée vers le ciel. Il n’y a plus de perspective de la « lumière parfaite » dont nous jouirons. Seulement une connaissance plus profonde de Dieu et un amour plus profond de Dieu « par les progrès des sciences ». Sic. La traduction officielle dit : « à travers nos progrès dans les sciences », ce qui ne correspond pas au texte, qui dirait « in scientiis », et qui de toute façon ne vaut pas mieux.
Je crois que le mot « progressus » ne se trouve dans aucune oraison traditionnelle. Mais il fallait bien le placer dans la néo-liturgie… progressiste. En se faisant patronner par saint Albert le Grand de façon frauduleuse.