L’« épître » de la messe de ce jour est l’histoire de Jacob qui, obéissant à sa mère, se fait passer pour son frère aîné Esaü afin d'obtenir la bénédiction de son père. La soi-disant Bible de la liturgie fait dire à Esaü : « Est-ce parce qu’on lui a donné le nom de Jacob (c’est-à-dire : le Trompeur) que, par deux fois, celui-ci m’a trompé ? Il a volé mon droit d’aînesse et voici que, maintenant, il a volé ma bénédiction. »
Il est absurde d’imaginer que qui que ce soit puisse donner à son fils le nom de Trompeur, et il est impie de le penser quand il s’agit d’un saint patriarche donnant un nom à un saint patriarche.
La Vulgate dit : supplantavit : il m’a supplanté. Le grec dit : ἐπτέρνικεν : il m’a supplanté. L’hébreu que nous avons dit : yaqabe : il m'a supplanté.
Le jeu de mot sur Jacob, en hébreu Ya’aqob, vient de ce que ce sont les mêmes consonnes (les lettres qui structurent les mots et sont les seules écrites) que le verbe supplanter conjugué : y-q-b. Ce verbe vient du mot qui signifie « talon » : aqeb. Il en est de même en grec : le verbe est pternizo, qui est directement construit sur pternis (πτέρνης) : le talon. Le sens littéral est : frapper quelqu’un du talon, donc le supplanter.
Cela renvoie naturellement à la naissance des deux frères. Jacob est explicitement appelé ainsi parce qu’il naît en tenant le talon de son frère jumeau. C’est ainsi en hébreu comme en grec. Le génie de saint Jérôme a été de conserver le lien entre la naissance et l’épisode de la bénédiction en utilisant un autre mot parce que le latin ne permettait pas d’avoir le même mot pour le talon et le fait de supplanter : Il est parti de supplanter, précisément, supplantavit, pour dire que Jacob est né en tenant la plante du pied d’Esaü : plantam.
Esaü dit que Jacob l’a supplanté, et non « trompé », deux fois, parce que déjà il lui avait pris son droit d’aînesse, et que dans cet épisode il n’y avait eu aucune tromperie. Et Esaü ne dit pas que Jacob lui a « volé » son droit d’aînesse, parce que ce n’est pas vrai : Esaü a échangé son droit d’aînesse contre un plat de lentilles parce qu’il avait faim... Tant en hébreu qu’en grec et en latin Esaü dit que Jacob lui a « pris » son droit d’aînesse, ce qui est déjà très exagéré.
Pour ce qui concerne la fin de la péricope, à savoir la bénédiction donnée à Esaü, je reproduis ci-dessous la question qui m’avait été posée en 2016, et ma réponse :