Nous avons tellement en tête l’image de la crèche avec l’âne et le bœuf qu’il faut faire un effort pour se souvenir que ces animaux ne figurent pas dans le texte évangélique (pas plus que la grotte ou la crèche, d’ailleurs : il est seulement question d’une « mangeoire »).
Je me suis demandé de quand datait cette mention devenue inséparable de la scène de la Nativité, tant en Orient qu’en Occident (car l’âne et le bœuf font partie du canon de l’icône byzantine).
La première mention « scripturaire » se trouve dans l’évangile du « pseudo-Matthieu ». Mais ce texte (latin) date semble-t-il du VIe siècle. Or il y avait alors déjà des crèches avec l’âne et le bœuf. Et cela se perd dans la nuit des temps. Les toutes premières représentations de la Nativité, en bas relief, du milieu du IVe siècle, montrent déjà les deux animaux (photo).
Quant aux pères de l’Eglise, c’est Origène qui est le premier (comme d’habitude…) à évoquer l’âne et le bœuf de la crèche, en référence à la prophétie d’Isaïe : « Le bœuf connaît son possesseur, et l’âne la mangeoire de son maître, mais Israël ne me connaît pas. »
Tous les pères reprendront cette prophétie (d'autant que c'est le même mot grec - φάτνῃ, qui se trouve en Isaïe et chez saint Luc, pour désigner la mangeoire, et par extension la crèche, ce qui n'est pas un hasard), en en soulignant le sens allégorique : Jésus vient pour le peuple d’Israël, représenté par le bœuf, animal pur, et pour les païens, représentés par l’âne, animal impur.
On y ajoutera fréquemment Habacuc 3,2 : « Entre deux animaux tu te manifestes. »
Telle est en effet la version de la Septante qui a fini par s’imposer, et dans sa traduction latine : « in medio duorum animalium », dont font écho deux répons de Noël. Ce qui est très intéressant. En fait, les manuscrits de la Septante ont, en capitales, sans aucun signe diacritique, ΖΩΩΝ. Ce qu’on a interprété comme le génitif pluriel du mot qui veut dire « être vivant », surtout « animal », en mettant l’accent sur le premier Ω. Mais en mettant l’accent sur le second Ω la signification n’est plus la même. Il s’agit des vies, des temps… « Au milieu des années », traduit saint Jérôme. Or c’est ce qui correspond au texte hébreu. Et saint Cyrille de Jérusalem l’interprète ainsi. Mais le fait est que l’interprétation chrétienne « de Noël » a prévalu, au point que les manuscrits en minuscules ont l’accent sur le premier ώ, et que c’est ce que l’on voit dans toutes les éditions actuelles de la Septante, chez les byzantins comme dans l’édition scientifique occidentale de Rahlfs.
Tant il est évident qu’il y avait un âne et un bœuf dans la crèche de Bethléem…