Extrait du prologue aux règles monastiques
Pour être bref, je distingue trois dispositions différentes qui nous portent inévitablement à obéir : ou bien nous nous détournons du mal par crainte du châtiment, et nous sommes dans la disposition de l’esclave ; ou nous poursuivons l’appât de la récompense en accomplissant les commandements pour l’avantage que nous en retirons, et ainsi nous ressemblons aux mercenaires ; ou enfin c’est pour le bien lui-même et l’amour de celui qui commande, que nous obéissons, heureux d’avoir été trouvés dignes de servir un Dieu si glorieux et si bon, et nous sommes alors dans la disposition des enfants.
Celui qui accomplit les commandements dans la crainte et voit sans cesse devant lui la peine qu’encoure la négligence, ne se contentera pas d’exécuter une partie des préceptes en négligeant les autres, mais il redoutera le châtiment qui s’attache aussi bien à n’importe quelle désobéissance. C’est pourquoi : « Bienheureux celui qu’anime en tout une crainte salutaire », il est solidement établi dans la vérité, car il peut dire : « Je voyais toujours le Seigneur devant moi, il se tient à ma droite afin que je ne sois pas ébranlé ». De cette façon il ne voudra rien omettre de son devoir. « Bienheureux l’homme qui craint le Seigneur », pourquoi ? « parce qu’il s’appliquera avec zèle à l’observance de ses commandements ». Ceux qui vivent dans la crainte ne pourront donc ni omettre ni observer négligemment un seul des commandements qui leur sont donnés.
Mais le mercenaire, lui non plus, ne voudra rien dédaigner de ce qui lui est prescrit. En effet, comment recevrait-il le prix de son travail dans la vigne, s’il n’a pas observé les conventions ? S’il a passé outre à quelque travail urgent, il l’a rendue inutile à son propriétaire. Qui donc accorderait un salaire pour un dommage qu’on lui a causé.
En troisième lieu vient le service rendu par amour. Quel fils désireux de plaire à son père le contentera dans les grandes lignes, en se réservant cependant de le chagriner dans les détails ? Surtout qu’il se souviendra des paroles de l’Apôtre : « Ne contristez pas l’Esprit de Dieu dont le sceau est imprimé en vous ».
Ceux qui violent la plupart des commandements, dans quelle catégorie les placerons-nous donc ? Ils n’exécutent pas les ordres de Dieu comme ceux d’un Père ; ils ne lui obéissent pas dans l’espoir d’une récompense ; ils ne le servent pas comme un maître… « Si je suis Père, dit le Seigneur, où est le respect qu’on me doit ? Et si je suis le Maître, où est la crainte que j’inspire ? ». En vérité : « Celui qui craint le Seigneur assujettira fortement son vouloir à ses lois », car il est dit : « En violant sa loi tu traites Dieu avec dédain ».
Si nous voulons vivre selon notre bon plaisir plutôt que selon les commandements, comment nous promettons-nous, pour plus tard, la vie bienheureuse, l’égalité avec les saints et la joie partagée avec les anges en présence du Seigneur ? Imaginations puériles ! Comment serai-je avec Job, si je n’ai pas accepté avec reconnaissance le malheur qui m’a frappé ? Comment serai-je avec David, quand je n’ai pas traité mon ennemi avec générosité ? Comment avec Daniel, sans avoir cherché Dieu dans la tempérance ininterrompue et la prière continuelle ? Comment avec chacun des saints, moi qui n’ai pas marché sur leurs traces ? Quel est le directeur de jeux assez dénué de jugement pour estimer dignes des mêmes couronnes le vainqueur et celui qui n’a même pas combattu ? Quel chef d’armée appellera ceux qui n’ont même pas paru dans la mêlée, à recevoir, avec ceux qui ont remporté la victoire, une part égale au butin ?
Dieu est bon, mais il est juste aussi ; or c’est le propre du juste de rendre à chacun selon son dû, ainsi qu’il est écrit : « Seigneur accordez vos bienfaits à ceux qui sont bons et ont le cœur droit, mais ceux qui s’engagent dans les voies détournées, anéantissez-les avec les méchants ».
Dieu est miséricordieux, oui, mais il est juste : « Le Seigneur aime la miséricorde et la justice » ; c’est pourquoi : « Je chanterai, Seigneur, ta miséricorde et ta justice ». Par l’Écriture nous savons aussi qui bénéficiera de sa miséricorde : « Bienheureux les miséricordieux, car il leur sera fait miséricorde ». Tu vois avec quel discernement Dieu use de la pitié ? Il ne fait pas miséricorde sans jugement et ne juge pas sans miséricorde, « car le Seigneur est miséricordieux et juste ». Ne nous faisons donc pas de Dieu une idée tronquée et ne cherchons pas dans sa bonté un prétexte à la négligence.