Voici donc l’encyclique « à quatre mains ». En effet : celles de Joseph Ratzinger et de Benoît XVI. Le pape Franciscus qui signe cette encyclique ne parle plus des quatre mains, mais reconnaît que Benoît XVI avait « pratiquement achevé une première rédaction » du texte. Disons simplement : la rédaction du texte. François dit avoir ajouté « quelques contributions ». Elles sont si discrètes qu’elles sont totalement invisibles (1). Alors que l’on reconnaît partout les thèmes de prédilection, les références, le style de Joseph Ratzinger théologien, exégète et pasteur, et du pape Benoît.
Bref, nous avons ici le dernier texte magistériel de Benoît XVI. Un vrai chant du cygne pontifical : un chef-d’œuvre.
Cette encyclique, profondément paulinienne (car en effet plus on lit saint Paul et plus on voit qu’il a tout dit), s’appuie aussi sur les pères de l’Eglise, et une fois encore on voit Joseph Ratzinger poursuivre dans cette voie, au même niveau, notamment au n. 23, quand il commente de front le texte hébreu et la traduction grecque d’une phrase d’Isaïe, comme le faisaient saint Jérôme ou saint Jean Chrysostome.
Le thème de la lumière de la foi conduit Ratzinger-Benoît, dans la lignée de son cher saint Bonaventure et d’un courant qui remonte à Origène (et d’abord à l’Ecriture), à apporter sa contribution à la doctrine des cinq sens spirituels, ce qui est sans doute une première dans un texte magistériel. Et c’est le cœur même de l’encyclique, sa partie centrale, qui a été préparée par ce qui précède, et qui va ensuite irriguer ce qui sera l’application de la doctrine.
Et cela commence en outre par une citation de (mon cher) Guillaume de Saint-Thierry, le chantre éminent des sens spirituels dans le monde monastique médiéval (de concert avec son maître et ami saint Bernard) : dans le Cantique des cantiques, les yeux de colombe de la bien-aimée « sont la raison croyante et l’amour, qui deviennent un seul œil pour parvenir à la contemplation de Dieu, quand l’intellect se fait “intellect d’un amour illuminé” » (intellectus amoris illuminati).
Suit alors un développement magistral – et magistériel – sur la synthèse entre les deux approches de la connaissance qu’on a abusivement séparées : l’écoute, qui serait biblique, et la vision, qui serait grecque.
Mais notre foi est foi dans le Fils de Dieu incarné, que l’on écoute et que l’on voit. « La connexion entre la vision et l’écoute, comme organes de connaissance de la foi, apparaît avec la plus grande clarté dans l’Évangile de Jean. » Et c’est aussi saint Jean qui ajoute le toucher : « (…) ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux (…) ce que nos mains ont touché du Verbe de vie ».
Et Benoît XVI cite saint Augustin : « Toucher avec le cœur, c’est cela croire. »
La suite de l’encyclique, sur la formulation, la transmission et les bienfaits de la foi sur le plan pratique et du bien commun, découle de ces considérations. A commencer bien sûr par les sacrements, par lesquels nous touche le Verbe incarné et par lesquels nous le touchons.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette encyclique, d’autant qu’elle est très concentrée. On remarque de même qu’elle contient l’expression ramassée, ciselée, comme définitive, des principaux thèmes personnels de Ratzinger-Benoît. Il faut la lire. Elle est ici.
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(1) On peut hésiter, au n. 46, sur l’expression : « sortir du désert du moi autoréférentiel, renfermé sur lui-même ». Mais c’est bien Benoît XVI qui disait, le 7 janvier, aux diplomates, que « la personne qui devient autoréférentielle n’est plus ouverte à la rencontre avec Dieu et avec les autres et se replie sur elle-même »…