Le pape Benoît XVI a prononcé samedi, devant le congrès des juristes catholiques italien, une importante allocution sur la laïcité. Le texte n’est aujourd’hui disponible qu’en italien sur le site du Saint-Siège. En voici de larges extraits, donnés par l’agence APIC.
Interdire les symboles religieux dans les lieux publics ne correspond pas à une idée "saine" de la laïcité, a martelé samedi le pape Benoît XVI en recevant en audience les participants à une conférence nationale des juristes catholiques italiens.Le pape a ainsi fustigé le laïcisme et donné la définition d’une "laïcité saine", devant ces juristes.
Benoît XVI a condamné la “dégénérescence“ de la laïcité en “laïcisme“, lors d’une intervention devant plusieurs centaines de juristes catholiques italiens, le 9 décembre 2006 au Vatican. Dénonçant “l’exclusion des symboles religieux des lieux publics“, le pape a donné la définition d’une “laïcité saine“ où l’Eglise ne soit pas confinée dans la sphère privée, où elle puisse se prononcer sur les questions morales et exercer librement le culte.
“L’hostilité à toute forme d’importance politique et culturelle de la religion, particulièrement à la présence de tout symbole religieux dans les institutions publiques, n’est certainement pas une expression de la laïcité, mais de sa dégénérescence en laïcisme“, a ainsi affirmé le pape devant les participants au 56e congrès de l’Union des juristes catholiques italiens, reçus en audience au Vatican. “Refuser à la communauté chrétienne et à ceux qui la représentent légitimement le droit de se prononcer sur les problèmes moraux qui interpellent aujourd’hui la conscience de tous les êtres humains, particulièrement des législateurs et des juristes, n’est pas non plus le signe d’une laïcité saine“, a ajouté Benoît XVI. A ses yeux, “sans Dieu, l’homme est perdu“ et “l’exclusion de la religion de la vie sociale, en particulier la marginalisation du christianisme, mine les bases mêmes de la coexistence humaine“.
Benoît XVI a noté qu’aujourd’hui “la laïcité est communément considérée comme l’exclusion de la religion des divers domaines de la société et comme son confinement dans le domaine de la conscience individuelle“. Ainsi, a-t-il regretté, “la laïcité s’exprimerait dans la totale séparation entre l’Etat et l’Eglise, sans que cette dernière n’ait le droit d’intervenir sur des thématiques relatives à la vie et au comportement des citoyens“. De même, “la laïcité comporterait aussi l’exclusion des symboles religieux des lieux publics destinés au déroulement des fonctions propres à la communauté politique : les bureaux, les écoles, les tribunaux, les hôpitaux, les prisons…"
A partir de ces multiples manières de concevoir la laïcité, a encore expliqué le pape, “on parle aujourd’hui de pensée laïque, de morale laïque, de science laïque, de politique laïque“. Il s’agit selon lui d’une “vision dans laquelle il n’y a pas de place pour Dieu“ et il semble que cette laïcité soit devenue “l’emblème qui qualifie la post-modernité, en particulier la démocratie moderne“. Pourtant, selon Benoît XVI, “le devoir de tous les croyants“, en particulier des chrétiens, est de “contribuer à élaborer un concept de laïcité qui, d’une part, reconnaisse à Dieu et à sa loi morale, au Christ et à son Eglise, la place qui leur revient dans la vie humaine, individuelle et sociale, et, de l’autre, qui affirme et respecte l’autonomie légitime des réalités terrestres“.
Le pape a alors proposé la définition d’une “laïcité saine“. “L’Eglise, a-t-il expliqué, ne peut indiquer quel système politique et social il faut préférer, mais c’est le peuple qui doit décider librement les modalités les meilleures et les plus aptes à organiser la vie politique“. “Toute intervention directe de l’Eglise dans tel domaine serait une ingérence illégitime“. D’un autre côté, selon Benoît XVI, “une ‘laïcité saine' implique que l’Etat ne considère pas la religion comme un simple sentiment individuel que l’on pourrait confiner uniquement dans la sphère privée“.
“Ceci implique que le libre exercice des activités de culte - spirituelles, culturelles, éducatives et caritatives - de la communauté des croyants soit garanti pour chaque confession religieuse (tant qu’elle n’est pas contraire à l’ordre moral et n’est pas dangereuse pour l’ordre public)“, a encore souligné le pape devant les juristes catholiques italiens.
Dans sa longue intervention autour du thème choisi par les juristes italiens lors de leur congrès - ‘la laïcité et les laïcités’ - le pape a indiqué qu’il n’y avait pas “une seule laïcité, mais plusieurs“, et même “de multiples manières de considérer et de vivre la laïcité, des manières parfois opposées et même contradictoires entre elles“. Benoît XVI a ainsi expliqué qu’au Moyen-Âge, la laïcité marquait “l’opposition entre les pouvoirs civils et les hiérarchies ecclésiastiques“. “A l’époque moderne“, a précisé le pape, elle prend le sens de “l’exclusion de la religion et de ses symboles de la vie publique au moyen de leur confinement dans la sphère du privé et de la conscience individuelle“. Selon le pape, “c’est ainsi qu’a été attribué au terme de laïcité une acception idéologique opposée à celle qu’il avait à l’origine“.
La distinction entre laïcisme et laïcité revient souvent dans la bouche de Benoît XVI. Il avait aussi déjà établi cette distinction avant même d’être élu pape. Plus récemment, dans l’avion qui le menait en Turquie, le 28 novembre dernier, Benoît XVI avait affirmé devant les journalistes qui l’accompagnaient que le laïcisme était “une idée qui sépare totalement la vie publique de toutes les valeurs des traditions“ et “une voie sans issue“. Il invitait alors à “redéfinir le sens d’une laïcité qui souligne et conserve la vraie différence et l’autonomie des sphères mais aussi leur cohérence et leur responsabilité commune“.