Il n’est pas rare que la liturgie s’empare de textes de l’Ecriture pour leur faire dire autre chose que ce qu’ils disent dans le contexte, ou au moins pour leur donner une couleur différente. Dans la messe de ce dimanche nous avons deux exemples de versets qui se suivent matériellement dans un psaume, mais qui ne se suivent pas quant au sens.
L’introït dit :
Protéctor noster, áspice, Deus, et réspice in fáciem Christi tui : quia mélior est dies una in átriis tuis super mília.
Dieu, notre protecteur, jetez les yeux sur nous, et regardez la face de votre Christ ; car un jour passé dans vos parvis vaut mieux que mille autres.
Le quia (car, parce que) paraît relier logiquement les deux parties de l’antienne. On constate toutefois que le lien n’est pas évident, ce qui permet de méditer sur la question… En réalité, dans le psaume (83), le quia relie ce verset à ce qui suit : « Parce que un jour dans tes parvis est meilleur que mille, j’ai choisi d’être abaissé dans la maison de Dieu, plutôt que d'habiter dans les tentes des pécheurs. »
On retrouve le phénomène dans l’antienne d’offertoire :
Immíttet Angelus Dómini in circúitu timéntium eum, et erípiet eos : gustáte et vidéte, quóniam suávis est Dóminus.
L’ange du Seigneur environnera de son assistance ceux qui craignent Dieu et les arrachera au danger ; goûtez et voyez combien le Seigneur est doux.
Ici il n’y a même pas de liaison entre les deux parties. Dans le psaume (33), la première partie est la suite du verset précédent : « Ce pauvre a appelé, et le Seigneur l’a exaucé, et de toutes ses tribulations il l’a sauvé ; l’ange du Seigneur enverra autour de celui qui le craint, et l’arrachera. »
Et la deuxième partie est le début de ce qui suit : « Goûtez et voyez combien suave est le Seigneur : bienheureux l’homme qui espère en lui. »
Il est remarquable que le chant unit étroitement les deux parties en une seule mélodie. Car s’il y a deux phrases musicales, la deuxième commence comme la première s’est terminée : par une variation sur la dominante. Le lien est ainsi fait : c’est à ceux-là (eos) que l’Ange du Seigneur a arrachés aux périls que l’antienne demande (instamment, en insistant sur la dominante) de goûter et de voir comme le Seigneur est suave.
On remarque aussi comment la mélodie montre que la vraie « crainte du Seigneur » est l’amour : les cinq do (deux plus trois : distropha et tristropha) de « timentium » renvoient aux mêmes notes d’Angelus. Or l’ange ne craint pas, il aime, et en outre cet Ange est le Seigneur lui-même, et Domini se termine par un accent de tendresse qu’on retrouve ensuite sur la dernière syllabe de timentium, par un demi-ton do-si qui devient, juste un peu plus bas (l'homme juste un peu plus bas que les anges, psaume 8), en se renversant, la-si bémol.
14th Sunday after Pentecost: Offertory from Corpus Christi Watershed on Vimeo.