Dans la lecture d’aujourd’hui, le Sauveur propose une similitude relative à son troupeau, et à la porte par laquelle on entre dans la bergerie. Que les païens disent : Nous vivons bien ! s’ils n’entrent point par la porte, à quoi leur sert ce dont ils se glorifient ? En effet, bien vivre doit servir à chacun à vivre toujours. Car à quoi cela lui sert-il de bien vivre, celui à qui il n’est pas donné de vivre toujours ? Evidemment, on ne peut pas dire qu’ils vivent bien, ceux qui sont assez aveugles pour ne pas voir la finalité de cette vie, ou assez orgueilleux pour ne pas s’en occuper. Quant à l’espérance vraie et certaine de vivre toujours, personne ne peut l’avoir s’il ne connaît préalablement la vie, qui est le Christ, et s’il n’entre dans la bergerie par la porte.
Les hommes dont nous parlons cherchent souvent aussi à persuader aux autres de bien vivre, sans être, pour cela, chrétiens. Ils veulent entrer par une autre porte, pour enlever les brebis et les tuer, et non, comme le pasteur, pour les conserver et les sauver. On a vu certains philosophes disserter subtilement sur les vertus et les vices; ils distinguaient , ils définissaient, ils établissaient des raisonnements très pointus, ils remplissaient des livres , ils vantaient leur sagesse à grand renfort de déclamations pompeuses; ils allaient jusqu’à dire aux hommes: Suivez-nous, entrez dans notre secte, si vous voulez vivre heureux. Mais ils n’étaient pas entrés par la porte; ils voulaient perdre, détruire et égorger.
Que dirai-je de ces autres ? Les Pharisiens lisaient les Ecritures, et ce qu’ils lisaient leur parlait du Christ; sa venue était l’objet de leurs espérances; il était au milieu d’eux, et ils ne le reconnaissaient pas; ils se vantaient d’être du nombre des voyants, c’est-à-dire du nombre des sages, ils refusaient de confesser le Christ et n’entraient point par la porte; eux aussi, par conséquent, s’ils parvenaient à séduire certains, c’était pour les égorger et les faire mourir, non pour les délivrer. Laissons-les donc pareillement de côté, pour savoir si ceux qui se glorifient de porter le nom de chrétiens entrent tous par la porte.
Ils sont innombrables ceux qui, non contents de se glorifier comme voyants, prétendent être regardés comme étant illuminés par le Christ, mais qui sont des hérétiques. Peut-être sont-ils entrés par la porte ? Non. Au dire de Sabellius, le Fils n’est autre que le Père; néanmoins, s’il est le Fils, il n’est pas le Père. Celui qui affirme que le Fils est le Père, n’entre point par la porte. Arius dit à son tour: Autre chose est le Père, autre chose est le Fils. Il s’exprimerait avec justesse, s’il disait: autre, et non autre chose. En disant: autre chose, il se met en contradiction avec celui qui a proféré ces paroles: « Mon Père et moi, nous sommes un ». Lui non plus n’entre point par la porte, puisqu’il parle du Christ, non dans le sens de la vérité, mais selon son sens propre. Tu profères un nom qui ne s’applique à aucune réalité. Il est évident que le nom de Christ doit s’appliquer à quelque chose de réel; crois donc à ce quelque chose, si tu veux que le nom de Christ ne soit point vide de sens. Un autre, venu je ne sais de quel pays, comme Photin, soutient que le Christ est un homme et qu’il n’est pas Dieu; celui-là n’entre pas. davantage par la porte, car le Christ est, en même temps, homme et Dieu. Mais il est inutile de citer un plus grand nombre d’erreurs; à quoi nous servirait d’énumérer tous les vains systèmes des hérétiques ? Tenez ceci pour certain: le bercail du Christ, c’est l’Eglise catholique; quiconque veut y pénétrer, doit passer par la porte et confesser hautement le vrai Christ, et il doit non seulement confesser le vrai Christ, mais chercher la gloire du Christ, et non la sienne propre; car en cherchant leur propre gloire, beaucoup ont plutôt dispersé les brebis du Sauveur, qu’ils ne les ont réunies ensemble. La porte, qui est le Seigneur Christ, ne s’élève pas bien haut; pour y passer, il faut s’abaisser, afin de pouvoir y entrer sans se blesser la tête. Celui qui s’élève au lieu de s’abaisser, veut escalader le mur; et celui qui escalade le mur, ne s’élève que pour tomber.
(Saint Augustin, traité 45 sur saint Jean)