Communiqué de la Secrétairerie d’Etat :
« En se référant aux dispositions contenues dans le Motu Proprio Summorum Pontificum, du 7 Juillet 2007, sur la possibilité d'utiliser la dernière rédaction du Missale Romanum, antérieur au Concile Vatican II, publié en 1962 avec l'autorité du bienheureux Jean XXIII, le Saint Père Benoît XVI a décidé que l'Oremus et pro Iudaeis de la Liturgie du Vendredi Saint contenu dans le Missale Romanum soit remplacé par le suivant texte :
Oremus et pro Iudaeis. Ut Deus et Dominus noster illuminet corda eorum, ut agnoscant Iesum Christum salvatorem omnium hominum. Oremus. Flectamus genua. Levate. Omnipotens sempiterne Deus, qui vis ut omnes homines salvi fiant et ad agnitionem veritatis veniant, concede propitius, ut plenitudine gentium in Ecclesiam Tuam intrante omnis Israel salvus fiat. Per Christum Dominum nostrum. Amen.
Ce texte devra être utilisé, à partir de l’année courante, dans toutes les Célébrations de la Liturgie du Vendredi Saint avec le Missale Romanum. »
On peut traduire ainsi cette prière :
Prions aussi pour les juifs, afin que notre Seigneur et Dieu illumine leurs cœurs, et qu’ils reconnaissent le sauveur de tous les hommes. (…) Dieu éternel et tout-puissant, qui veux que tous les hommes soient sauvés et viennent à la connaissance de la vérité, fais que, la plénitude des nations entrant dan ton Eglise, tout Israël soit sauvé.
Voici cette prière telle qu’elle figurait jusqu’ici dans le missel de 1962 :
Oremus et pro Judæis: ut Deus et Dominus noster auferat velamen de cordibus eorum; ut et ipsi agnoscant Jesum Christum Dominum nostrum. (…) Omnipotens sempiterne Deus, qui Judæos etiam a tua misericordia non repellis: exaudi preces nostras, quas pro illius populi obcæcatione deferimus; ut, agnita veritatis tuæ luce, quæ Christus est, a suis tenebris eruantur. Per eumdem Dominum nostrum (…).
C’est-à-dire :
Prions aussi pour les juifs afin que Dieu Notre Seigneur enlève le voile qui couvre leurs cœurs et qu'eux aussi reconnaissent Jésus, le Christ, Notre-Seigneur. (…) Dieu qui n'exclus pas même les juifs de la miséricorde, exauce nos prières que nous t'adressons pour l'aveuglement de ce peuple, afin qu'ayant reconnu la lumière de ta vérité qui est le Christ, ils sortent de leurs ténèbres.
Et voici la prière telle qu’elle figure dans le missel de 1970 :
Prions pour les Juifs : que le Seigneur notre Dieu qui les a choisis comme premiers parmi tous les peuples pour accueillir sa Parole, les aide à progresser toujours dans l’amour de son Nom et dans la fidélité à son Alliance. (prière en silence). Dieu tout puissant et éternel, qui a fait tes promesses à Abraham et à sa descendance, écoute avec bienveillance la prière de ton Église, pour que le peuple aîné de ton Alliance puisse parvenir à la plénitude de ta Rédemption.
Lors de la publication du motu proprio, plusieurs organisations juives, comme le Centre Simon Wiesenthal, s’étaient émues que le pape permette l’ancienne prière pour la conversion des juifs, ce qui constituait un grave « retour en arrière » dans les relations entre juifs et chrétiens. L'Anti-Defamation League inscrivit même cette affaire sur une liste des « 10 questions affectant le plus les Juifs en 2007 », mettant ainsi le motu proprio du pape Benoît XVI sur le même plan que les diatribes anti-israéliennes du président iranien Ahmadinedjad.
Le secrétaire d’Etat du Vatican, le cardinal Bertone, avait suggéré en juillet que l’on supprime purement et simplement cette prière, « ce qui résoudrait tous les problèmes ». Mais le mois suivant, on demandait à Mgr Angelo Amato, secrétaire de la congrégation pour la doctrine de la foi, s’il est « vraiment contraire à la lettre et à l’esprit du Concile de dire cette prière ». Il répondait : « Sûrement pas. A la messe, nous catholiques prions toujours, et en premier, pour notre conversion. Et nous nous frappons la poitrine à cause de nos péchés. Ensuite, nous prions pour la conversion de tous les chrétiens et de tous les non-chrétiens. L’Evangile est pour tous. »
On voit que le pape a enlevé les mots qui aujourd’hui peuvent paraître blessants (voile, aveuglement, ténèbres), mais qu’il a conservé le sens de la prière : pour la conversion des juifs, en remplaçant excellemment « enlève le voile de leurs cœurs » par « illumine leurs cœurs », et en modifiant la suite de façon à renvoyer (là aussi excellemment) à saint Paul.
Il ne reste plus à Benoît XVI qu’à changer aussi la prière du missel de 1970, c’est-à-dire la remplacer par celle qu’il vient d’imposer dans le missel de 1962. Car on voit qu’il juge normal de prier pour la conversion des juifs, or la prière de 1970 est déficiente, et d’une très grave ambiguïté, puisqu’elle sous-entend que les juifs sont fidèles à l’Alliance (dans laquelle ils doivent « progresser ») et qu’ils n’ont donc pas besoin de se convertir, alors qu’ils rejettent la (nouvelle) alliance qui est l’accomplissement, par le Fils de Dieu, de la précédente.
La différence entre la nouvelle prière du missel de 1962 et la prière du missel de 1970 est parfaitement illustrée par la réplique immédiate du grand rabbin de Rome : cette prière « constitue un obstacle à la poursuite du dialogue entre juifs et chrétiens », le maintien de la formule demandant « de façon explicite » la conversion des juifs « remet en question des décennies de progrès ».
Et ce n’est que la première réaction.
Soutenons le pape par nos prières de Carême.
Addendum
Dans la soirée, l’assemblée des rabbins d’Italie, dans un communiqué signé de leur président Giuseppe Laras, dénonce la nouvelle prière et annonce qu’elle interrompt le « dialogue » avec l’Eglise.
Les rabbins soulignent que le nouveau texte substitue à l'expression sur « l'aveuglement des juifs » une autre « conceptuellement équivalente » en dépit d'une formulation « apparemment moins forte ».
« Le fait le plus grave est qu'a été introduit un appel aux fidèles à prier pour que les juifs reconnaissent finalement “Jésus Christ sauveur“. Le pape est certes libre de décider ce qu'il juge le mieux pour son Eglise et ses fidèles, mais il n'en reste pas moins que l'adoption d'une telle formule liturgique contredit nettement et dangereusement au moins quarante ans d'un dialogue souvent difficile et tourmenté entre judaïsme et catholicisme, qui semble ainsi n'avoir donné aucun résultat concret. »
Cette prière traduit « une idée du dialogue ayant pour finalité la conversion des juifs au catholicisme, ce qui est pour nous évidemment inacceptable ».
Cette situation « nous impose pour le moins une pause de réflexion dans le dialogue avec les catholiques afin de comprendre vraiment quelles sont leurs intentions ».