Illustration de Bue ar Zent (vie des saints) de l'abbé Perrot, 1912
Par Albert le Grand, dominicain de Morlaix (1637)
Saint Convoyon, premier Abbé du devot Monastere de S. Sauveur de Rhedon, estoit issu de parens Nobles & Illustres : Son Pere s'apelloit Conon, Senateur, homme de grande autorité et credit dans le païs, descendu de la race des parens de S. Melaine, Evesque de Rennes. Il nasquit en la paroisse de Comblessac prés la Ville-de-Guer, Diocese d'Aleth, à present S. Malo, où ayant passé les années de son enfance, il fut envoyé à Vennes, lors une des plus renommées & florissantes Villes de Bretagne, à cause que les Lieutenants de l'Empereur Louys le Debonnaire (qui dés l'an 817 avoit mis les Bretons en son obeïssance, ayant assisté en propre personne aux Estats) y demeuroient avec leur Cour ; là il étudia aux Humanitez, Philosophie & Theologie, menant une vie modeste & exemplaire, s'éloignant des occasions d'offenser Dieu, fuyant les compagnies vicieuses, s'adonnant à l'Oraison, lecture des saints Livres & à aprendre le Chant pour servir à l'Eglise.
II. Regnier (ou Regnauld), lors Evesque de Vennes, voyant les belles parties dont ce jeune homme estoit doué, le print en affection, & ayant reconnu qu'il estoit porté pour le service de l'Eglise, il luy confera les Ordres Mineurs & de Sousdiacre, lesquelles fonctions il exerça quelque temps, jusques à ce qu'estant parvenu à l'âge requis, il fut fait diacre par le mesme Prelat ; lequel connoissant son zele & erudition, luy enchargea l'Office de la Predication, le faisant Theologal de Vennes. Il commença donc à Prescher en la ville & aux champs, avec une ferveur extréme, reprenant le vice et persuadant la vertu, avec un grand fruit ; Estant Prestre, il contracta une sainte amitié avec cinq vertueux Clercs de l'Eglise Cathedrale de Vennes, trois desquels : sçavoir Condelok, Leomel & Winkalon, pour leur rare pieté, prudence & sçavoir, estoient fort bien venus & cheris de Neomene, Lieutenant de l'Empereur, & des Barons & Seigneurs du Païs. Ces saint personnages, considerans le peril auquel on est dans les villes, & au contraire le repos & tranquillité d'une vie retirée & solitaire, resolurent de quitter la ville & le monde, & de se retirer en quelque desert pour y servir Dieu en estant de plus grande perfection ; à condition que Convoyon (qu'ils nommerent tous unanimément) se voulût charger de leur conduite & direction.
III.Son humilité luy fit refuser constamment cette superiorité, mais les instantes suplications des cinq Confreres le presserent d'y donner consentement, voyant la volonté de Dieu estre telle ; Ils se deffirent de leurs Prebendes & Benefices, & ayant receu le congé & benediction de leur Evesque, qui regrettoit extrémement la perte qu'il faisoit de ces saint Hommes, la fleur de ses Ecclesiastiques, mais n'osoit les divertir de leur sainte resolution, crainte de resister à la vocation divine, ils sortirent de Vennes, & allerent se rendre sur le bord de la Riviere de Villaines, en une Forest épaisse, lequel lieu trouvant propre à leur dessein (pour estre retiré & éloigné de toute hantise des hommes), ils resolurent de s'y habituer. C'est pourquoy ils allerent trouver le Seigneur de cette Forest, nommé Ratwilus, lequel leur ordonna un canton de la Forest nommé Rhedon, & congé de prendre des materiaux en la Forest tant qu'il leur faudroit pour l'edifice & accomodation de leur Monastere.
IV. Cette permission obtenuë du Seigneur de la terre, S. Convoyon envoya à Vennes en obtenir le consentement & confirmation de Neomene, qui de bon cœur ratifia le tout au desir du saint, & luy donna autres revenus de son propre bien. Lors ils commencerent à se bastir l'an de grâce 826, ayans fait venir des ouvriers pour abattre du bois dans la Forest ; mais le diable, qui traverse perpetuellement les serviteurs de Dieu en leurs saints et pieux desseins, croignant ce qui arriva depuis, que ce lieu devint un Seminaire de saints Religieux qui lui feroient une guerre continuelle, incita quelques Seigneurs du Païs circonvoisin à s'oposer à l'establissement de ces bons Peres & à la construction de ce nouveau Monastere, pretendans ce lieu où ils bastissoient leur apartenir. S. Convoyon fut contraint d'avoir recours à son bien-faicteur Rathwilus, & au Lieutenant Neomene, vers lequel il dépescha le R. P. Lohemmellus à Vennes.
V.Ces deux Seigneurs maintinrent les bons Peres en la possession & paisible jouïssance de la terre de Rhedon, & firent tant envers ces Seigneurs mal-contens, qu'ils desisterent de troubler les Religieux, & les laisserent en patience. Ils continuerent donc leur ouvrage, &, à l'aide des Païsans du voisiné, édifierent une petite Chappelle qu'ils dedierent à Dieu, sous l'invocation & patronage de S. Estienne premier Martyr, &, tout auprés, de petites Cellules en carré pour se loger, un petit Cloistre & quelques autres Officines. Le tout mis en estat, les Religieux s'y logerent & commencerent à mener une vie si sainte & admirable, que le bruit en vola en moins de rien, non seulement par la Bretagne, mais aussi jusques en Poictou, d'où un pauvre homme aveugle vint à Rhedon trouver S. Convoyon, disant avoir esté adverty par un Ange de le venir trouver pour recevoir de luy la veuë. S. Convoyon dit la Messe à son intention, puis luy faisant le signe de la Croix sur les yeux, luy rendit la veuë. Ce miracle ayant éclaté, plusieurs bons Prestres moyennez vinrent trouver le S. & luy demanderent humblement l'habit de la Religion, donnans leurs biens & revenus au Monastere, entre lesquels le premier fut un jeune Gentil-homme de grande maison nommé Winkalon, qui donna tout son patrimoine.
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