L‘homme éprouve une difficulté naturelle à se recueillir et encore plus à vivre uni à Dieu, parce que son esprit est de nature vagabonde et ne peut se fixer sur une seule et même chose. Mais c'est surtout pour celui qui a la mauvaise habitude de la dissipation que cette union est particulièrement difficile.
C‘est spécialement difficile quand nous sommes obligés de nous occuper de choses qui, du moins à mon avis, par elles-mêmes nous entraînent à la dissipation, sans pourtant nous y laisser entraîner. Qui donc jugerait possible de rester dans l'eau sans se mouiller ? C‘est vraiment une chose impossible, mais ce qui de soi paraît impossible peut devenir très facile avec l‘aide de Dieu, si nous ne Lui refusons pas notre collaboration avec la diligence et l'engagement spirituel que Dieu a bien voulu nous accorder.
Si donc nous voulons poursuivre ce double objectif : vivre unis à Dieu tout en travaillant, en parlant, en lisant, en réfléchissant, en traitant les affaires qui se présentent, élevons souvent vers Lui notre pensée, longuement ou ne fût-ce qu‘un instant, comme ferait quelqu'un avec son ami. Ne pouvant pas interrompre son travail pour parler avec lui, à causes d'affaires importantes à expédier, par exemple l'enregistrement des comptes d'un envoi de marchandises à faire sur le champ, il lui dirait d'abord : « Pardonnez-moi si je puis pas vous tenir compagnie, j‘ai des travaux urgents à terminer. À peine libre, je serai tout à vous, si vous pouvez attendre. »
Puis, tout en écrivant, il tournerait parfois les yeux vers lui, lui dirait de temps en temps un mot de son travail en cours. Il lui dirait parfois : « J‘ai fini dans un instant. » En agissant ainsi, tout en n'ayant pas le temps de consacrer beaucoup de temps à son ami, il ne le négligerait pas et, d‘autre part, cette gentille manière d‘agir ne le dérangerait guère et même pas du tout dans ses occupations.
Voilà, cher ami, comment il faut faire ; vos études et vos affaires n'en souffriront presque pas.
Avant de commencer votre travail, dites-en un mot au Christ ; puis, pendant votre travail, élevez souvent votre esprit vers Dieu. Vous en retirerez un grand profit sans que votre travail en pâtisse. Ainsi donc, accordez un soin particulier au commencement de vos affaires ou de celles d‘autrui, qu'il s‘agisse d'actions ordinaires ou imprévues, d'entretiens avec le prochain ou de travail personnel. Tout d‘abord, orientez-les vers Dieu par une petite prière, selon ce qu‘il vous inspirera, qui pourra rester intérieure ou exprimer par des paroles, vos désirs et vos préférences ou de toute autre manière.
Puis, pendant votre travail - qu‘il s'agisse d'actes, de réflexion ou d'organisation de vos activités, peu importe - élevez souvent votre esprit vers Dieu ; si votre travail se prolonge, interrompez-le, par exemple le temps de dire un Ave Maria ou comme bon vous semblera, et dites à Dieu la prière qu'il vous inspirera. Pareille interruption peut se renouveler une ou plusieurs fois selon la durée plus ou moins longue de votre travail.
Si vous adoptez cette méthode, vous vous habituerez à prier facilement, sans préjudice pour vos occupations ni pour votre santé. Vous arriverez ainsi à prier si continuellement que vous prierez même en mangeant, en buvant, en travaillant, durant vos entretiens, vos études, vos écritures, etc. Votre activité extérieure n'empêchera pas votre prière intérieure et vice versa. Si vous agissez autrement, vous pourrez, bien sûr, être un honnête homme mais vous ne serez pas le bon chrétien que le Christ désire que vous soyez et qu'il vous a appelé à devenir : vous le comprendrez facilement si vous examinez le moyen qu‘il a employé pour vous ramener à Lui. Je vous mets en garde et je vous donne des indications suffisantes pour devenir réellement ce que je pense que vous voudriez être - si vous le voulez, mais j'en suis convaincu - et pour que vous n'ayez pas un jour de tardifs regrets, ce qui me peinerait beaucoup.
Extrait d’une lettre à Carlo Magni, avocat et notaire de Crémone.