L’un des noms traditionnels du quatrième dimanche de carême est le « dimanche de la rose », à cause de la rose d’or que le pape bénit en ce jour avant de la donner à quelqu’un qu’il veut spécialement honorer.
Cette tradition de la rose d’or paraît anecdotique, mais elle est « immémoriale », ce qui est le signe d’une vraie tradition. Et il est toujours réjouissant de voir la critique historique mise en échec. Le premier témoignage que nous en ayons est celui du pape Léon IX, en 1051, mais il en parle comme d’une ancienne coutume.
Au moyen âge, le pape bénissait la rose en son palais du Latran (en l’oignant du Saint-Chrême), se rendait à cheval, accompagné des cardinaux, à la basilique de Sainte-Croix-en-Jérusalem, tenant la rose à la main, prononçait un discours sur la rose, célébrait la messe, puis revenait au Latran, et donnait la rose au préfet de Rome qui tenait l’étrier et l’aidait à descendre de cheval. Puis ce fut à un prince qui se trouvait là. Par la suite la rose fut envoyée à un roi qui avait rendu un grand service à la papauté. Puis, à partir du XVIIIe siècle, elle ne fut plus donnée qu’à une reine ou une princesse, sans doute parce qu’on n’offre des fleurs qu’à une femme… On perdait de vue le symbolisme de la rose. Et après la Seconde Guerre mondiale, comme on n’avait plus guère de reines ou de princesses catholiques à honorer, la tradition s’étiola. Paul VI ne donna que cinq roses d’or, à des sanctuaires (dont Fatima). Jean-Paul II poursuivit en ce sens, mais ne donna que quatre roses d’or au cours de son très long pontificat. En revanche, Benoît XVI les a multipliées. On passe d’un extrême à l’autre… Certes, rien ne s’oppose à ce que le pape bénisse plusieurs roses, mais on perd le symbole de l’unicité de la rose, de son caractère exceptionnel ; et c’est le dimanche de la rose, pas des roses…
La prière de bénédiction de la rose fait allusion à la liturgie du jour : c’est le dimanche de Laetare, où la joie change la couleur des ornements du violet en… rose. Le pape porte cette rose « si agréable par son aspect et son parfum », qui est « signe de joie spirituelle », afin que le peuple de Dieu, « étant arraché au joug de la captivité de Babylone par la grâce de votre Fils unique qui est la gloire et l’allégresse d’Israël, représente d’un cœur sincère les joies de cette Jérusalem supérieure qui est notre mère ».
La joie, c’est le Fils. La rose d’or, ointe du Saint-Chrême, c’est le Christ (la fleur issue de la tige de Jessé). Il fut un temps où la rose d’or était teinte de rouge, car il s’agit d’une rose rouge : le rouge du sang du sacrifice. Les roses représentées dans les églises sont des roses à plusieurs rangs de cinq pétales – et la fleur de l’églantine, de fait, a cinq pétales – ce qui représente les cinq plaies du Christ, la corolle étant la coupe recueillant le sang. Mais cette rose est en or, parce que le Christ est ressuscité.
Dieu est amour, et la rose est le symbole de l’amour, l’amour qui se donne, mais qui fleurit sur les épines : la Passion.
La rose est bénie le quatrième dimanche de carême parce que le printemps est là, qui fait refleurir la nature, et parce que s’annonce la Pâque du vrai printemps spirituel qui fait refleurir les âmes et rétablit l’entrée du paradis, le jardin primordial.
La rose est le Christ, aussi, parce que le Christ est la rosée. En latin, comme en français, c’est presque le même mot. Or la rosée est la bénédiction venue du ciel. La Bible fait plusieurs fois écho au fait naturel qu’au Proche Orient la rosée est nécessaire à la vie des plantes dans les longues périodes où il ne pleut pas, et en souligne la charge symbolique. Jusqu’à désigner la rosée comme symbole du Verbe. « Que ma parole s’écoule comme la rosée », dit Moïse au début de son cantique. « Je serai comme la rosée, Israël germera comme le lis », dit Dieu par Osée. Faisant référence au double miracle de la toison de Gédéon (Juges, 6), une antienne de la fête de la Circoncision chante : « Comme la rosée sur la toison, tu es descendu pour nous sauver. » Y fait écho le chant de l’Avent : « Rorate cæli » : Cieux, faites descendre la rosée.
La rose bénie est la rosée de bénédiction. Celle que chante le psaume 132 : « Ah ! comme il est bon et comme il est joyeux d’habiter en frères, ensemble ! C'est comme un parfum sur la tête, qui descend sur la barbe, la barbe d’Aaron, qui descend sur le bord de son vêtement. C'est comme la rosée de l'Hermon, qui descend sur la montagne de Sion. Car c'est là que le Seigneur a envoyé la bénédiction, et la vie à jamais. »
La rose d’or offerte par Jean XXII au prince Rodolphe de Nidau (de Neuchatel), en 1330, parce qu’il avait chassé l’empereur Louis IV de Rome et d’Italie. Elle fut confectionnée en Avignon par Minucchio, l’un des meilleurs orfèvres siennois de la cour du pape. C’est la seule que l’on puisse voir en France (au Musée de Cluny), et l’une des trois roses médiévales qui subsistent : les bénéficiaires les fondaient pour récupérer l’or…