Extrait de la vie de saint Josaphat dans le supplément « Vies des saints » du Pèlerin, 1881.
Josaphat était archevêque depuis trois ans quand il fut convoqué avec plusieurs autres évêques à la Diète qui s’ouvrit à Varsovie en 1620. Le diable profita de l’absence des pasteurs pour envoyer les loups dévaster le bercail. Théophane, patriarche schismatique de Jérusalem, revenant de Moscou, où le sultan l’avait envoyé pour une négociation politique, passa par l’Ukraine et arriva à Kiev. Sur les instances des Cosaques il consacra autant d’évêques schismatiques qu’il y avait de prélats catholiques du rit gréco-uni. Le siège de Polotsk fut donné à Mélèce Smotriski, esprit cultivé, mais surtout ambitieux et intrigant.
L’intrus se hâta d’envoyer ses émissaires dans toutes les villes du diocèse, avec des lettres pleines d’invectives contre l’apostat et papiste Josaphat et contre le Saint-Siège. Josaphat s’empressa de revenir, porteur d’un décret de Sigismond roi de Pologne, enjoignant à ses sujets de respecter l’autorité de leur évêque et de cesser toute communication avec le perturbateur et intrus Mélèce.
Mais déjà les masses, poussées par d’habiles meneurs étaient en fermentation ; quand le palatin Sokolinski eut notifié le décret royal à l’hôtel de ville, l’archevêque essaya de prendre la parole et de rappeler les rebelles à l’obéissance due à l’Eglise ; sa voix fut couverte par les vociférations des schismatiques, la foule se rua sur lui, et il aurait été infailliblement massacré, si la force armée n’était venue le dégager et le ramener sous bonne escorte au palais épiscopale.
L’archevêque répondit à ces violences par un redoublement de douceur et de bonté pour ses ennemis ; l’un d’eux fut touché et reconnut sa faute. C’était le conseiller Terlikowski. Quand il se présenta à la cathédrale pour demander pardon à Dieu et à l’évêque, Josaphat le serra contre sa poitrine et le conduisant à l’autel : « Seigneur, dit-il en versant des larmes de joie, voici une brebis égarée que je viens de retrouver et que je vous recommande. » Bolotsk recouvra un peu de calme ; mais ce n’était qu’une trève. Au reste la propagande schismatique continuait activement dans le reste du diocèse.
Dans le courant d’octobre 1623, Josaphat voulut aller faire sa visite pastorale à Vitebsk. Craignant pour sa vie, ses amis le supplièrent de remettre sa visite à plus tard, ou tout au moins d’accepter une escorte. L’archevêque ne voulut pas différer, ni voyager autrement qu’avec la mansuétude épiscopale. Il lui ordonna de préparer un tombeau dans la cathédrale, et partit après avoir fait cette prière au pied de l’autel : « Seigneur, je sais que les ennemis de l’Union en veulent à ma vie ; je vous l’offre de tout mon cœur, et puisse mon sang éteindre l’incendie causé par le schisme. »
On le reçut à Vitebsk avec des démonstrations hypocrites de respect, mais on tramait des complots contre sa vie : « Vous désirez ma perte, leur dit publiquement Josaphat du haut de la chaire ; sur les fleuves, sur les ponts, dans les rues, dans les cités, partout vous me tendez des pièges. Me voici maintenant au milieu de vous ; plaise à Dieu que je puisse donner ma vie pour vous qui êtes mes brebis, pour la sainte Union, pour le siège de Pierre qu’occupent les Souverains Pontifes ses successeurs. »
Le soir du onze novembre, il parlait au souper de sa mort prochaine, comme s’il se fût agi d’un festin. Monseigneur, dit l’archidiacre Dorothée, Vous devriez bien nous laisser un peu manger. – Ne craignez rien, reprit l’archevêque, ce n’est pas de votre mort, mais de la mienne que je parle. »
Le lendemain matin, pendant que Josaphat priait à la chapelle de la sainte Vierge, un prêtre apostat, qui traversait en proférant des menaces et malgré la défense qui lui en avait été faite, la cour du palais épiscopal, fut arrêté par les serviteurs et enfermé à la cuisine. Aussitôt la foule s’ameute autour de l’évêché, envoie sur les serviteurs une grêle de pierres et de bâtons.
Informé du tumulte, l’archevêque fait mettre le détenu en liberté et rentre au palais. La foule un moment satisfaite paraît se calmer, mais ce n’est pas ce que voulaient les chefs, bientôt elle revient plus nombreuse, force l’entrée du palais, envahit le vestibule, l’archidiacre Dorothée reçoit dix-huit blessures à la tête ; Cantacuzène, majordome du palais tombe noyé dans son sang et on le croit mort.
Au cris des victimes, Josaphat accourt : « Mes enfants, dit-il aux assassins, pourquoi maltraitez-vous mes serviteurs, qui ne vous ont fait aucun mal ? Si vous en voulez à ma personne, me voici ! » Les sicaires demeurent immobiles et stupéfaits. Tout à coup deux misérables s’élancent à travers la foule en criant : « A bas le suppôt des latins ! à bas le papiste ! » L’un d’eux armé d’une perche frappe le front de l’archevêque, l’autre lui assène un coup de hallebarde qui lui fend la tête. L’archevêque tombe, trouve encore la force de faire le signe de la croix et dit : « O mon Dieu ! » Ce furent ses dernières paroles. Les bourreaux s’acharnaient sur leur victime et lui déchiraient le visage, enfin deux coups de fusil lui percèrent le crâne. Ainsi mourut Josaphat, le 12 novembre 1623 ; il n’avait que quarante-quatre ans. (…)
Beaucoup de miracles se sont opérés par l’intercession du glorieux martyr ; l’un des plus consolants fut la conversion de l’intrus Mélèce. A partir du 12 novembre 1623, son âme n’eut plus de repos jusqu’au jour où, s’armant de courage, il fit le pas décisif ; il consacra le reste de sa vie à la pénitence, à la prière et à la défense de l’Union.