Dans l’histoire d’Abraham, que l’Eglise nous donne à lire depuis la Quinquagésime, il y a la mystérieuse apparition de Mambré, quand Abraham voit trois hommes qui viennent à sa rencontre et qu’il l’adore, au singulier.
La Bible de Jérusalem, dans son édition de 2001, « augmentée de clefs de lecture », disait exactement ce qu’il faut dire. Dans la note en fin de chapitre : « Ce n’est pas une “adoration”, un acte de culte, mais une simple marque d’hommage. Abraham ne reconnaît d’abord dans les visiteurs que des hôtes humains, et leur témoigne une magnifique hospitalité. Leur caractère divin ne se révélera que progressivement, vv. 2, 9, 13, 14. » Et dans la note en marge (la « clef de lecture ») : « 18, 3 : Il dit Monseigneur : Abraham adore et prie un seul Seigneur, alors même qu’il s’adresse à trois personnes. Il annonce ainsi la révélation du mystère de la Trinité divine. »
Mais c’était trop beau. Dans l’édition de 2005, les « clefs de lecture » ont été supprimées, et la note de fin de chapitre, devenue note de bas de page, est un long exposé où l’on tente de nous expliquer (je résume) qu’il a pu y avoir un texte avec le seul « Yahvé » et un texte avec trois hommes ou avec trois anges et que l’auteur du texte final a tout mélangé… On ajoute toutefois : « Dans ces trois hommes auxquels Abraham s’adresse au singulier, beaucoup de pères ont vu l’annonce du mystère de la Trinité, dont la révélation est réservée au NT. » Vu ce qui précède, et ce qui suit immédiatement sur la « vieille légende de la destruction de Sodome », on suggère manifestement au lecteur de laisser aux pères la responsabilité de leurs propos…
Osty, lui, va plus loin, en maniant l’ironie dont il est coutumier dès qu’il évoque la tradition : « Un courant de tradition patristique chrétienne [pour la distinguer de la patristique bouddhiste, sans doute…] s’est plu (sic) à reconnaître dans ce texte une annonce du mystère de la Trinité. » N'en croyez rien...
Mais ce n’est pas un hasard si la TOB décroche le pompon : « Le récit est tantôt au singulier tantôt au pluriel puisqu’il se réfère parfois à Dieu seul et parfois aux trois hommes [rien de plus simple, donc] ; mais l’auteur reste discret sur la manière dont se manifeste la présence divine. On imagine souvent qu’il s’agit du SEIGNEUR, accompagné de deux anges. L’iconographie orthodoxe y voit fréquemment trois anges, figure de la Sainte Trinité. »
L’intérêt d’une traduction œcuménique, c’est qu’il y a eu un orthodoxe pour montrer l’icône de la Trinité d’Andrei Roublev. Alors, pour lui faire plaisir, on l’a ajouté à la note. Mais même l’orthodoxe de service ne voulait pas savoir que de nombreux pères grecs voient dans l’apparition de Mambré une figuration de la Trinité (sinon il n’y aurait pas l’icône). Et les catholiques n’en ont pas dit un mot non plus, et n’ont pas signalé la tradition patristique latine qui s’est cristallisée dans le mot de saint Ambroise plusieurs fois repris par saint Augustin : « Tres vidit et unum adoravit » : Abraham vit trois (personnes) et adora un seul.
On remarque enfin, comme d’habitude, dans les trois Bibles, le refus absolu de toute référence à la liturgie. En l’occurrence au répons de la Quinquagésime, qui a malheureusement été supprimé de l’office du dimanche en 1960, mais qui était (de nouveau) chanté aux matines d’hier :
℟. Dum staret Abraham ad ilicem Mambre, vidit tres viros ascendentes per viam:
* Tres vidit, et unum adoravit.
℣. Ecce Sara uxor tua pariet tibi filium, et vocabis nomen ejus Isaac.
℟. Tres vidit, et unum adoravit.