L’épître de saint Jude est assez peu lue et commentée. Elle a un côté étrange, avec ses deux citations de textes apocryphes comme arguments d’autorité, et ses tournures de phrase recherchées. Et l’on ne fait guère attention au verset 23, lui aussi assez bizarre :
« Sauvez-en d’autres en les arrachant au feu, ayez pour d’autres pitié avec crainte, haïssant jusqu’à la tunique souillée par la chair. »
La dernière expression est également traduite : « haïssant même le vêtement souillé par la chair », ou, souvent, « par leur chair » (Bible de Jérusalem, Pirot-Clamer, TOB, Bible de la liturgie…), en ajoutant un adjectif possessif qui ne se trouve pas dans texte et qui n’a aucune raison d’être.
Même les traductions dites de la Vulgate (Glaire, Fillion) traduisent ainsi. Lemaistre de Sacy quant à lui fait une glose : « haïssez comme un vêtement souillé tout ce qui tient de la corruption de la chair » pour montrer qu’il a compris mais qu’il n’ose pas dire carrément ce que dit la Vulgate. La Vulgate, qui traduit correctement le texte grec, à la différence de toutes les traductions françaises :
« Illos vero salvate, de igne rapientes. Aliis autem miseremini in timoré, odientes et eam, quæ carnalis est, maculatam tunicam. »
Littéralement : « haïssant aussi cette tunique tachée qui est de chair ».
C’est littéralement ce que dit le grec : « μισοῦντες καὶ τὸν ἀπὸ τῆς σαρκὸς ἐσπιλωμένον χιτῶνα. »
Pour traduire « souillée par la chair », on fait de « apo » une préposition introduisant un complément d’agent. Mais « apo » est une préposition qui indique une origine, que ce soit de temps, de lieu, de matière… La préposition qui introduit un complément d’agent est « hypo », comme l’épître en donne d’ailleurs un exemple quelques lignes avant. « Apo » indique donc l’origine de la tunique, la… matière de la tunique. C’est une tunique de chair. C’est la tunique de chair qui est tachée. Nous devons haïr la tunique de chair qui est tachée. Notre tunique de chair souillée par le péché.
Cela renvoie à la Genèse, lorsque Dieu, chassant Adam et Eve du paradis de l’origine, les revêt de « tuniques de peau ». La chute originelle, le péché de l’origine, fait tomber le corps humain dans la lourdeur, l’épaisseur, la chair sujette à la maladie, à la souffrance, à la mort.
Et ainsi, cette mention de la « tunique souillée de chair », la tunique maculée de notre chair, à la fin de l’avant-dernier livre de la Bible, fait une grande inclusion avec la Genèse, avec l’expulsion de l’homme du paradis de l’origine, juste avant le dernier livre, celui de la Révélation de la Jérusalem céleste, du rétablissement du paradis de l’origine, devenu un super-paradis par l’Incarnation et la Rédemption.