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Un gag de la Bible de Jérusalem

La lecture biblique de cette semaine (selon le bréviaire traditionnel) est la première épître aux Corinthiens. Et voici que je découvre un véritable gag dans la Bible de Jérusalem. Dans l’édition 2000. Ils ne l’avaient pas encore inventé dans les éditions précédentes.

Voici la chose (I Corinthiens 4, 6) :

« En tout cela, frères, je me suis pris comme exemple avec Apollos à cause de vous, pour que vous appreniez, en nos personnes, à ne pas (le « ne pas » est écrit au-dessus du texte) vous enfler d’orgueil en prenant le parti de l’un contre l’autre. »

Et il y a une note qui dit : « Texte difficile. La phrase entre parenthèses a été ajoutée par un copiste scrupuleux qui signale que la négation a été ajoutée à son exemplaire. »

Donc, à l’époque où œuvrait ce copiste, il n’y avait qu’un seul exemplaire de cette épître. Puisque tous les copistes ont ensuite recopié ce texte. Et ils ont tous stupidement recopié la parenthèse qui n’avait plus de raison d’être. Mais personne ne s’est rendu compte que c’était une parenthèse avant l’arrivée d’un génial collaborateur de la Bible de Jérusalem… Alors même que pour ses premières éditions les glorieux traducteurs de la Bible de Jérusalem eux-mêmes n’y avaient vu que du feu.

Mais à qui veut-on faire croire ce grotesque bobard sorti du chapeau d’un « spécialiste » en veine d’originalité à tout prix ?

Certes, le texte n’est pas facile, mais c’est assez fréquent chez saint Paul. Ce n’est pas une raison pour l’inventer. Le texte dit littéralement : « afin que vous appreniez en nous le ne pas au-dessus de ce qui est écrit ». En grec, la proposition substantivée, qui commence donc par un article défini, ne donne pas la même impression étrange qu’en français. Mais dans ce cas l’article définit un verbe, et le verbe manque. Il est sous-entendu, mais on le trouve dans d’assez nombreux manuscrits : c’est un verbe qui veut dire penser, ou avoir telle ou telle opinion de soi, tel ou tel sentiment… d’orgueil, par exemple, ce qui est le cas ici. Pour beaucoup de traducteurs, saint Paul cite une sorte de proverbe qu’il introduit par l’article. Les anciennes versions de la Bible de Jérusalem le disaient explicitement (sans avoir recours au verbe) : « pour que vous appreniez, en nos personnes, la maxime : “Rien au-delà ce qui est écrit” ».

Avec le verbe, ces serait : « ne pas penser au-dessus de ce qui est écrit, ne pas élever vos pensées au-delà de ce qui est écrit », ce qui correspond aux mots suivants qui condamnent l’orgueil.

Reste à savoir de quels écrits parle saint Paul. Dans tous les autres cas où il parle de « ce qui est écrit », il s’agit de l’Ancien Testament. Mais il semble qu’ici il évoque ce qu’il a déjà écrit dans cette lettre à propos d’Apollos et de lui-même. C’est ce que dit explicitement Lemaistre de Sacy : « à n’avoir pas de vous d’autres sentiments que ceux que je viens de marquer ». La Bible Pirot-Clamer a peut-être raison de s’en tenir strictement au texte : « afin que vous appreniez, en nos personnes, le : “Pas au-delà de ce qui est écrit” ».

Quoi qu’il en soit, le coup du copiste qui trouvé la négation au-dessus du texte et qui le précise dans le texte, sans que personne le remarque, à commencer par les traducteurs latins qui parlaient grec, en passant par tous les pères et exégètes au long des siècles, c’est une blague grotesque qui écorne quelque peu (une fois de plus) le « sérieux » de la Bible de Jérusalem.

Il est vrai que la traduction et les notes de cette épître sont particulièrement gratinées. Un sommet est assurément la formulation de cette note : « Paul autorise ici le divorce au plein sens du terme, avec le droit de se remarier. » Sic. (C’est pour le passage où saint Paul évoque le cas où dans un couple un des conjoints devient chrétien, et l’autre ne le supporte pas : la seule solution est que le chrétien laisse partir l’autre.)

Quoique ce verset soit pas mal non plus : « N'avons-nous pas le droit d'emmener avec nous une épouse croyante comme les autres apôtres (...) ? » Alors que le sens obvie et que lui a donné toute la tradition est qu'il s'agit d'une servante (la bonne du curé), le mot grec se traduisant uniquement par "femme" (la femelle de l'homme, avant d'être son épouse), et accompagné du mot qui ne peut se traduire que par "soeur", à savoir une femme choisie dans la communauté chrétienne, et le mot prend ici un sens de "vivre comme frère et soeur", et surtout annonce l'emploi futur du mot pour dire "religieuse".

Et ces aberrations anticatholiques sont garanties par l'imprimatur du "cardinal Pierre Eyt, président de la Commission doctrinale des évêques de France", donné, par ironie sans doute, "en la fête de saint Jérôme"...

Commentaires

  • Cher Monsieur,
    sur le point du divorce, vous faites erreur : le privilège paulin, comme on l'appelle, est bien un divorce, une des très exceptionnelles (avec le privilège pétrinien) dérogations au principe. Il s'agit d'un vrai divorce : dissolution d'un vrai lien matrimonial existant auparavant, bien que cela soit un mariage seulement naturel.

  • Ce n'est évidemment pas ce que dit saint Paul que je conteste, mais la formulation de la note. Le lecteur lambda ne peut pas la comprendre comme vous l'expliquez.

    Il convient aussi de remarquer que le code de droit canonique ne parle pas de "divorce", mais de "dissolution", pour éviter justement la confusion.

    Une formulation catholique aurait été quelque chose comme ça : « Dans ce cas particulier d’un couple de païens dont l’un devient chrétien, si cette conversion indispose l’autre conjoint au point de rendre la vie conjugale réellement impossible, l’Eglise admet la dissolution du mariage (qui n’était pas sacramentel) : c’est ce qu’on a appelé le “privilège paulin“. »

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