Dans le martyrologe de ce jour on lit notamment :
A Madaure, en Afrique, saint Namphamon martyr, et ses compagnons, qu'il encouragea au combat et conduisit au triomphe.
Madaure est aujourd’hui Mdaourouche, et il n’y a plus que quelques ruines. A l’époque de saint Augustin c’était une ville, où vivait notamment un philosophe païen du nom de Maxime. Dans une lettre à saint Augustin (XVI), il expliquait :
Quand la Grèce nous conte que le mont Olympe est la demeure des dieux, on n'est pas obligé de l'en croire. Mais nous voyons et nous croyons que la place publique de notre ville est habitée par des divinités bienfaisantes. Qui serait assez insensé, assez dépourvu d'esprit pour nier l'existence d'un Dieu unique, d'un Dieu sans commencement et sans lignée, père puissant et magnifique de tous ? Nous adorons sous des noms différents ses perfections répandues dans le monde qui est son ouvrage, car son nom véritable nous est inconnu, à tous tant que nous sommes ; car Dieu est un nom commun à toutes les religions; et tandis que la diversité de nos prières s'adresse en quelque sorte à chacun de ses membres en particulier, il semble que notre adoration le comprend tout entier.
Mais je ne vous cacherai pas qu’il est de grandes erreurs que je ne saurais supporter. Comment tolérer qu'on préfère un Mygdon à Jupiter qui lance le tonnerre, une Sanaë à Junon, à Minerve, à Vénus, à Vesta, et l'Archimartyr Namphamon (ô crime !) à tous les dieux immortels ? Parmi ces nouveaux et étranges personnages, Lucitas n'est pas en petit bonheur. Que d'autres dont on ne pourrait pas dire le nombre, et qui, portant des noms en horreur aux dieux et aux hommes, chargés de crimes et voulant en ajouter encore sur leurs têtes, ont trouvé une mort digne de leur vie avec les apparences d'une mort glorieuse ! Des fous, si tant est qu'on daigne le rappeler, visitent leurs tombeaux, en délaissant les temples, en négligeant les mânes de leurs ancêtres : ainsi s'accomplit le vers prophétique du poète indigné : « Rome, invoquant Dieu dans ses temples, a juré par des ombres. » Et quant à moi, il me semble retrouver cette bataille d'Actium où les monstres d'Égypte osaient lancer contre les dieux des Romains des traits peu redoutables. (…)
Saint Augustin lui répondit (lettre XVII) :
Faisons-nous quelque chose de sérieux ou bien voulons-nous nous amuser ? Votre lettre, soit par la faiblesse même de la cause qu'elle soutient, soit par les habitudes d'un esprit enclin au badinage, me fait douter si vous avez voulu rire ou chercher sincèrement la vérité. Vous avez commencé par comparer le mont Olympe à votre place publique, je ne sais pourquoi, à moins que ce ne soit pour me rappeler que Jupiter établit jadis son camp sur cette montagne, quand il était en guerre avec son père, comme l'enseigne cette histoire que les vôtres même appellent une histoire sacrée ; et pour me rappeler aussi qu'il y a sur votre place publique deux statues, l'une de Mars, tout nu, l'autre de Mars armé, dont le génie, ennemi des citoyens, est conjuré par une statue d'homme qui avance trois doigts vers les deux funestes images. Croirai-je jamais que vous m'ayez fait ressouvenir de cette place et de pareilles divinités autrement que pour vous moquer ? Quant à ce que vous dites de ces divinités qui seraient comme les membres d'un seul grand dieu, je vous avertis, puisque vous le permettez, qu'il faut se garder de ces plaisanteries sacrilèges. Ce Dieu unique sur lequel les savants et les ignorants s'accordent, comme l'ont dit les anciens, aura-t-il pour membres des divinités dont l'image d'un homme mort arrête la férocité, ou, si vous aimez mieux, la puissance ? Je pourrais dire ici bien des choses ; vous voyez vous-même combien cet endroit de votre lettre prête au blâme ; mais je me retiens, de peur d'avoir l'air de donner plus à la rhétorique qu'à la vérité.
Et ces gracieuses railleries adressées à notre religion, à l'occasion de certains noms puniques portés par des hommes qui maintenant sont morts, dois-je les relever ou les passer sous silence ? Si ces choses paraissent à votre gravité aussi légères qu'elles le sont, je n'ai pas assez de loisir pour en rire avec vous. Si, au contraire, elles vous semblent sérieuses, je m'étonne que, occupé comme vous l'êtes de la bizarrerie des noms, vous n'ayez pas songé que vous avez des Eucaddires parmi vos prêtres, et des Abbadires parmi vos divinités. Vous y songiez certainement quand vous m'avez écrit, et vous avez voulu me le remettre en mémoire avec l'aimable enjouement de votre esprit, afin de donner quelque relâche à la pensée en l'égayant aux dépens de tout ce qu'il y a de risible dans votre superstition. Vous avez pu vous oublier vous-même jusqu'à attaquer les noms puniques, vous, homme d'Afrique écrivant à des Africains, et lorsque l'un et l'autre nous sommes en Afrique. Si on recherche le sens de ces noms, on trouvera que Namphamon signifie un homme qui vient d'un bon pied, c'est-à-dire dont la venue apporte quelque chose d'heureux : c'est ainsi que nous avons coutume de dire en latin qu'un homme est entré d'un pied favorable lorsque son entrée a été suivie de quelque bonheur. Si vous condamnez le punique, il faut nier ce qui est dit par de très-savants hommes, que les livres puniques renferment beaucoup de bonnes choses dont on se souvient ; il faut regretter d'être né ici au berceau de cette langue. S'il n'est pas raisonnable que le son du mot nous déplaise et si vous reconnaissez que j'en ai bien marqué le sens, fâchez-vous contre votre Virgile qui invite en ces termes votre Hercule au sacrifice offert par Evandre : « Sois-nous propice, viens avec nous et vers tes autels d'un pied favorable. »
Il souhaite qu'Hercule vienne d'un pied favorable, comme Namphamon, au sujet duquel vous croyez devoir nous insulter. Pourtant, si vous aimez à rire, vous avez chez vous ample matière de facétie: le dieu Sterculius, la déesse Cloacine, la Vénus chauve, la déesse de la peur, la déesse de la pâleur, la déesse de la fièvre et une foule d'autres de cette sorte que les anciens Romains ont honorés par des temples et des sacrifices ; si vous ne les tenez pas tous en estime, vous manquez aux dieux de Rome ; vous passerez pour n'être pas initié aux mystères des Romains, et cependant vous méprisez et vous dédaignez les noms puniques, comme si vous étiez dévoué aux autels des divinités romaines. (…)