Livre publié en 1946 pour le deuxième centenaire de la canonisation, muni de la bénédiction apostolique de Pie XII.
Au temps de Camille, à Rome comme ailleurs, l’hôpital était l’ultime refuge pour les désespérés. Alors que les riches ou les personnes aisées étaient soignées dans leur maisons par des médecins privés, l’hôpital accueillait des pauvres de tous genres, abandonnés, vagabonds, personnes affamées et amaigries, ainsi qu’une marée de malades contagieux refusés par la société. Et lorsque ceux-ci ne pouvaient pas ou ne voulaient pas se rendre à l’hôpital, ils restaient dans leurs misérables habitations ; ou bien, lorsqu’ils n’en avaient pas, ils se réfugiaient dans les "grottes romaines, c’est-à-dire dans les anfractuosités des ruines de l’antiquité classique ou sous les arches de l’aqueduc de la campagne romaine. La société de la Renaissance les ignorait, les considérait comme les derniers et les tenait en marge. Saint Camille les recherchait ; il les assistait et en faisait "les premiers" dans un sens absolu.
"Servir les pauvres malades, enfants de Dieu et mes frères". Pour saint Camille, le malade est vraiment un "homme", un homme concret, un homme pauvre, pauvre de biens, mais surtout pauvre du bien qu’est la santé. D’abord il "voit" cet homme, et ensuite il "discute" sur ses droits. Les "droits du malade" ne sont pas, pour lui, des principes théoriques imprimés dans les constitutions ou dans les lois, mais ce sont des "nécessités concrètes" qui exigent une réponse de la part de ceux qui sont auprès du malade. La vision chrétienne enrichit mais ne brouille pas la perception humaine intégrale du malade comme homme, de l’individu qui, même dans sa pauvreté et son infirmité, garde toujours une "dignité" unique que l’on ne peut pas supprimer.
C’est au service de cet homme que Camille a consacré sa vie.
Il se consacre naturellement à "tout" l’homme, pas seulement à sa "maladie". Camille a compris que c’est l’homme tout entier qui entre à l’hôpital : il ne laisse rien dehors, ni de sa personne ni de sa personnalité ; il amène quelques loques, mais aussi son âme libre et immortelle. C’est ainsi qu’il institua son ordre religieux "avec deux ailes", comme il disait, pères et frères, d’égale dignité, dans des services distincts et complémentaires, qui retrouvaient leur unité du fait de l’unicité de la personne du malade. Mais ceci, la médecine psychosomatique moderne l’a compris elle aussi, au moins en théorie ! Ce qu’il convient surtout de faire ressortir ici, c’est le caractère de service total que Camille a imposé par rapport à la personne humaine, même dans le seul domaine de l’assistance que nous appelons corporelle ou de soins médicaux: il a fixé immédiatement des règles pour répondre à toutes les nécessités de la personne, en ne réduisant pas cette assistance à des prestations cliniques essentielles mais en les étendant à toutes les exigences que le personnel soignant d’alors — et peut-être aussi celui d’aujourd’hui — aurait pu être porté à négliger.
Lorsque, par exemple, Camille recommande de veiller à la propreté de la bouche et des dents des malades, lorsqu’il indique la manière de bien faire le lit, lorsqu’il écrit aux responsables d’un hôpital pour demander que l’on donne à chaque malade des tricots de laine ou une robe de chambre contre les rigueurs du froid, lorsqu’il recommande sur tous les tons l’hygiène dans l’environnement, il est clair que Camille vise à offrir au malade une "maison", un accueil et une assistance convenable, on pourrait dire familière, qui le soulage des désagréments et lui enlève la sensation d’être devenu un objet hors d’usage. L’hôpital doit être la maison de l’"hospitalité", avec toute l’épaisseur classique et chrétienne que comporte ce mot.
Mais qu’en est-il des services qui étaient fournis alors dans les hôpitaux romains ? Saint Camille s’en était rendu compte lorsque, comme il a été dit plus haut, il était entré à Saint Jacques des Incurables pour soigner une plaie à la jambe dont il souffrait depuis des années et qui l’avait empêché de revêtir la bure franciscaine. Cette plaie qui ne guérissait pas le cloua à l’hôpital. Il observa autour de lui et décida en premier lieu de se mettre volontairement au service de ses frères. Il y en avait de toutes les catégories, et il choisit les plus négligés : les malades atteints du typhus, de maladies vénériennes ou de la peste. Son empressement et son dévouement suscitèrent l’estime des administrateurs qui bientôt le nommèrent "maître de maison", c’est-à-dire... directeur sanitaire et administratif ainsi que responsable de l’ensemble du personnel !
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