Extrait d’un article de Laurent Héry dans les Annales de Bretagne, 1996.
Le procès d'Angers nous révèle qu'au moins onze miraculés ont, au moment d'implorer Charles de Blois, insisté dans leur invocation sur le fait qu'ils avaient été à son service pendant un certain nombre d'années, soit dans son ost, soit près de lui à sa cour. Ainsi, Guillaume Bricton, sur le point d'être pendu, se voua au comte de Penthièvre en ces termes : « Saint Charles, moi je t'ai servi, j'étais à la bataille d'Auray où tu es mort. C'est pourquoi je te demande d'intercéder pour moi auprès de Dieu ». Il semblait, aux yeux de cet homme, que le saint était en quelque sorte son débiteur ; il devait le récompenser pour le temps passé sous ses ordres. L'intercesseur paraît donc lié par-delà la mort à ceux qui l'ont aimé et servi de son vivant. Aussi Charles de Blois créait-il la surprise en intervenant en faveur de ses anciens ennemis, et ceux-ci étaient justement les premiers étonnés.
Pas moins de cinq partisans des Montfort, dont trois Anglais, bénéficièrent des faveurs du comte de Penthièvre. Ce dernier s'attaquait en fait, à l'aide du miracle, aux bastions de ses opposants ; il essayait de les convertir et y réussissait d'ailleurs fort bien.
Gui de Trévil, par exemple, promit à l'ancien duc que s'il l'aidait à retrouver ses écus il croirait alors à sa sainteté. À peine eut-il fini de prononcer ces paroles que l'or perdu réapparut. Charles de Blois se fit donc en la personne de ce chevalier breton un nouvel et fidèle allié. Nous trouvons également, dans les actes de l'enquête angevine, le cas d'un Anglais avouant à Guillaume Le Juste qu'il avait été l'ennemi du comte de Penthièvre et qu'alors il ne l'aimait pas. Cet Anglais s'empresse cependant d'ajouter que depuis que Charles de Blois l'a guéri d'une ancienne et douloureuse blessure, il ne cesse de répéter que celui-ci avait été un homme saint.
Ces revirements instantanés sont très spectaculaires. Un certain Jamien, qui avait combattu le comte de Penthièvre, affirmait ainsi - après avoir été guéri par celui-ci d'une hémiplégie - être prêt à se battre en duel contre ceux qui nieraient sa sainteté. Finalement Charles de Blois continuait après sa mort la guerre contre Jean IV en éclaircissant les rangs de ses alliés, mais avec cette fois le miracle pour seule arme. Il en usait d'ailleurs avec une extrême habileté : à deux reprises il intervint en faveur de militaires anglais aux fonctions importantes. Charles de Blois guérit par exemple la jambe d'Antoine Houlz, le capitaine de Cesson - il est maître d'hôtel du nouveau duc de Bretagne au moment du procès. Celui-ci devint dès lors l'un de ses ardents défenseurs : à ceux de ses compatriotes anglais qui lui reprochaient de croire en la sainteté du vaincu d'Auray, il répondait que s'ils avaient été comme lui malades et guéris, ils croiraient. En 1367 c'est le capitaine du château de Léhon, un Anglais nommé Comiton, que Charles de Blois convainquit de sa sainteté. Sa fille était morte après avoir chu d'une tour de la forteresse. La mère de la jeune défunte, craignant les réactions de son époux, n'osa pas la vouer au prince breton. Finalement elle demanda la permission de son mari, l'obtint et fit le vœu : l'enfant retrouva immédiatement la vie. Comiton était définitivement conquis.
Ce sont ici deux places fortes qui tombent sous les coups de boutoir miraculeux du comte de Penthièvre. Mais parfois les anciens adversaires du saint se montraient plus récalcitrants, n'hésitant pas à l'insulter publiquement, à blasphémer son nom.
Un Anglais appelé Jean François accomplissait en juin 1368, avec son épouse bretonne et quelques autres dévots, le pèlerinage de Tréguier. Lors d'une étape à Belle-Isle-en-Terre certains de ses compagnons de route proposèrent de modifier l'itinéraire : « Nous voici près de la ville de Guingamp. Allons ensemble visiter le tombeau du sieur Charles, le défunt duc de Bretagne, car il y fait de nombreux et très beaux miracles », dirent-ils. Cette initiative mit Jean en colère ; il leur répondit : « Et vous croyez, vous, qu'il est saint. Par saint Georges, il ne l'est pas, je suis convaincu que non ». Puis, se tournant vers sa femme qui insistait pour qu'il fît le détour par cette cité du Penthièvre, il ajouta : « Si le sieur Charles peut m'empêcher d'aller à saint Yves demain, je croirai qu'il est saint, autrement non ». Il en fallait moins pour irriter le défunt duc de Bretagne qui lui fit rapidement regretter ses paroles outrageuses. La nuit suivante, le pèlerin anglais fut en effet frappé par une grave et subite maladie : il ne pouvait ni se lever, ni parler. Pour tous ceux qui étaient présents il semblait évident que Jean François payait le prix de sa provocation. Son épouse et ses compagnons lui conseillèrent alors vivement de se repentir et de se vouer à Charles de Blois, ce qu'il fit sans remords et mentalement puisqu'il était muet. La guérison fut immédiate et totale. Convaincu de la sainteté du comte de Penthièvre, le miraculé prit sans attendre le chemin de Guingamp, nu-pieds, comme il l'avait promis dans son vœu, et, là-bas, conta sa mésaventure à des notaires qui la consignèrent. Force est de croire que les nouveaux sentiments qu'il éprouvait pour le prince défunt étaient sincères puisqu'à Carhaix il dit à des Bretons et à des Anglais qu'il était prêt à se battre contre tous ceux qui nieraient la sainteté de Charles de Blois.
Les anciens ennemis du duc n'étaient pas les seuls à être pris de doute en entendant le récit des miracles qui lui étaient attribués. Au sein même de l'Église les réactions étaient parfois très vives. Le frère Jean Louénan, bénédictin du monastère de Saint-Gildas-de-Rhuys, n'hésitait pas à affirmer, malgré les reproches de dom Laurent, l'abbé du couvent, que le duc défunt était damné en enfer, qu'il « avait été méchant durant sa vie » et qu'il « ne croirait pas à sa sainteté, à moins qu'il ne lui fît un long nez, lui qui l'avait camus ou court ». Ces propos déplaisaient à l'un de ses compagnons, le frère Olivier de Mausen : celui-ci espérait ouvertement qu'une punition divine châtierait le blasphémateur. Elle survint. En effet, peu après, le bénédictin tomba malade, perdit l'usage de l'ouïe et de la parole. Il recouvra la santé quand son propre frère le voua à Charles de Blois. De même, à Périgueux, Itérius Désolier et sa femme qui faisaient des gorges chaudes des miracles du prince breton perdirent la vue. Ils n'en retrouvèrent l'usage qu'après s'être voués, repentants, à celui dont ils se moquaient. Ils firent ensuite une offrande devant son image, pour le remercier.
Enfin, lors du siège de Bécherel, un écuyer de la compagnie du vicomte de Rohan, nommé Bertrand de Beaumont, répondit à ceux qui parlaient en bien du comte de Penthièvre : « Cessez de parler du sieur Charles, car en réalité ce n'est pas un saint et je ne croirai pas qu'il est saint tant que je ne l'aurai pas vu ». Outré par l'incrédulité de Bertrand, un de ses compagnons, un écuyer de Bretagne, répliqua : « Moi je demande au sieur Charles, s'il a pouvoir auprès de Dieu, de te le faire voir aujourd'hui ; qu'il fasse pour toi quelque miracle, et tu mourras d'un mauvais boulet, aussi sûr que tu mens ». Le blasphémateur acquiesça : « Amen ». À peine s'était- il écarté du groupe qu'un boulet anglais l'atteignit à la tête, mortellement. Le comte de Penthièvre usa ici d'un sévère châtiment pour punir l'incrédule. Ce fut aussi la mort qui surprit lors de ce même siège de Bécherel l'Anglais qui avait - suprême outrage ! - raclé en février 1368 l'image miraculeuse de Charles de Blois dans le couvent des cordeliers de Dinan.