Vous me dites, mon frère, de demander pour vous la grâce du martyre ; cette grâce, je l'ai bien souvent sollicitée pour moi, mais je n'en suis pas digne et vraiment on peut dire avec St Paul : Ce n'est pas l'ouvrage de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. Puisque le Seigneur semble ne vouloir m'accorder que le martyre de l'amour, j'espère qu'Il me permettra par vous de cueillir l'autre palme que nous ambitionnons. Je vois avec plaisir que le bon Dieu nous a donné les mêmes attraits, les mêmes désirs. Je vous ai fait sourire, mon cher petit Frère, en chantant «mes Armes», eh bien ! je vais vous faire sourire encore en vous disant que j'ai, dans mon enfance, rêvé de combattre sur les champs de bataille... Lorsque je commençais à apprendre l'histoire de France, le récit des exploits de Jeanne d'Arc me ravissait, je sentais en mon cœur le désir et le courage de l'imiter, il me semblait que le Seigneur me destinait aussi à de grandes choses. Je ne me trompais pas, mais au lieu de voix du Ciel m'invitant au combat, j'entendis au fond de mon âme une voix plus douce, plus forte encore, celle de l'Epoux des vierges qui m'appelait à d'autres exploits, à des conquêtes plus glorieuses, et dans la solitude du Carmel j'ai compris que ma mission n'était pas de faire couronner un roi mortel mais de faire aimer le Roi du Ciel, de lui soumettre le royaume des cœurs.
Lettre à l’abbé Maurice Bellière, 25 avril 1897 (extrait).
(Quelques mois plus tard, Maurice Bellière entrera au noviciat des Pères Blancs à Alger, puis il sera missionnaire au Malawi. Il ne mourra pas martyr mais d’une maladie non déterminée, à l’âge de 33 ans.)