Les faussaires de l’exégèse ont réussi à persuader les chrétiens, et même la hiérarchie de l’Eglise, et même les papes (officiellement à partir de Pie XII dans Divino afflante Spiritu) que le texte originel, original et authentique de l’Ancien Testament était le texte hébreu dit massorétique. Ainsi TOUTES les traductions modernes de la Bible sont-elles faites sur le texte massorétique, qui est pourtant… le plus récent des textes anciens de la Bible, puisqu’il date des IXe-Xe siècles de notre ère. Et le moins fiable, puisqu’il a été établi par des rabbins antichrétiens.
En ce moment je suis en train de comparer les textes du Cantique des cantiques dans la Septante et dans la Vulgate (qui sont les vrais plus anciens textes de la Bible). Et je trouve une preuve, une parmi d’autres, des erreurs des Massorètes, dont quelques-unes sont des falsifications destinées à atténuer ou masquer les prophéties christiques, mais ce n’est pas le cas ici. L’erreur est tellement flagrante qu’elle devrait faire l’objet d’une mise en garde dans les éditions de la Bible.
Il s’agit du tout début du Cantique des cantiques, chapitre 1, verset 2 (verset 2 parce que le verset 1 est le titre) :
Qu’il me baise des baisers de sa bouche, parce que tes seins sont meilleurs que le vin.
AUCUNE traduction moderne de la Bible ne traduit « tes seins » (ici comme dans les autres occurrences). C’est « ton amour », « tes amours », « tes caresses », « tes marques de tendresse », « ta tendresse »… et Chouraqui, toujours original, et sans doute le plus proche du texte massorétique : « tes étreintes ».
Cette diversité de traduction montre un certain embarras. Car le mot du texte massorétique n’est pas correct. Il se lit « dodeka ». Le suffixe « ka » est l’adjectif possessif masculin pluriel. Mais le mot « dod » ne s’utilise qu’au singulier. Pour désigner l’acte sexuel. Alors certains « spécialistes » inventent qu’il s’agirait d’un « pluriel abstrait » (ce sont les mêmes qui soulignent que l’hébreu est une langue concrète…). Bref le pluriel voudrait seulement dire « amour »… (Alors qu’il y a évidemment un autre mot qui dit amour, et qui est utilisé dans le Cantique.)
Face à toutes ces contorsions (ici très résumées), nous avons une parfaite unanimité de la tradition antérieure aux Massorètes. Alors le mot, le même mot, dont on n’écrivait que les consonnes, était lu « daddeka » : tes seins. C’est ce que dit en grec la Septante. C’est ce que dit en latin la Vulgate. C’est ce que disent tous les commentateurs orientaux et occidentaux du Cantique, d’Origène à saint Bernard, d’Hippolyte à saint Grégoire le Grand, de saint Grégoire de Nysse à Guillaume de Saint-Thierry. C’est aussi ce que dit… la tradition juive, comme en témoigne le célèbre midrash Rabba sur le Cantique, ou « Cantique Rabba ».
Pourquoi les Massorètes ont-ils décidé de briser cette tradition unanime et d’imposer leur vocalisation bancale ? Parce qu’ils ont décidé qu’il était non seulement inconvenant mais absurde qu’une jeune femme dise à son amoureux que ses seins (à lui) sont meilleurs que le vin.
On voit là que déjà au IXe siècle les érudits juifs ne comprenaient plus la Sainte Ecriture et l’interprétaient de façon rationnelle.
Il y a pourtant un autre exemple de ces seins masculins et allaitants, dans Isaïe 60, 16. Ce chapitre est le magnifique chant messianique de lumière et de joie repris sans cesse dans la liturgie de l’Epiphanie : « Lève-toi, resplendis, Jérusalem, car elle est venue, ta lumière, et la gloire du Seigneur s’est levée sur toi », etc. Avec son fameux verset 6 : « Une inondation de chameaux te couvrira, des dromadaires de Madian et Epha, tous viendront de Saba, apportant de l’or et de l’encens, et annonçant la louange du Seigneur. » Plusieurs images ont des correspondances dans le Cantique des cantiques, et l’on arrive au verset 16 : « Et tu suceras le lait des peuples, et tu seras allaitée par la mamelle des rois. »
Ainsi parle la Vulgate, « selon la vérité hébraïque », comme dit saint Jérôme. La Septante a traduit : « les richesses ». Dans son commentaire d’Isaïe, saint Jérôme utilise l’expression « ubera regum », les seins des rois, comme les seins du bien-aimé (« ubera tua ») du Cantique. Il écrit :
« Ces richesses sont, selon la vérité hébraïque, les seins des rois et des docteurs, par lesquels est formée et nourrie la petite enfance de ceux qui naissent dans le Christ. Quand tu les auras sucés et seras parvenu à la nourriture solide, afin de manger aussi de cette façon les richesses des rois, alors tu sauras que je suis ton Sauveur, qui t’a racheté de mon sang, à savoir le Dieu fort de Jacob. »
Et l’on pense alors bien sûr à saint Paul qui dit aux Corinthiens :
Je vous ai donné du lait, non de la nourriture solide, car vous ne pouviez pas la supporter. (I Cor 3,2)
Je vous ai donné du lait : je vous ai allaités, de mes seins spirituels. C’est la même image que celle du Cantique, sauf qu’il s’agit ici de la source même du lait spirituel, l’Epoux, c’est-à-dire le Christ (l’Epouse étant à la fois l’Eglise et l’âme du croyant).
« Désirez, comme des enfants nouveau-nés, le lait spirituel et pur, afin que par lui vous croissiez pour le salut », dit aussi saint Pierre (I Pierre 2,2).
Pour terminer je voudrais citer ce magnifique paragraphe de mon cher Guillaume de Saint-Thierry :
Tant qu’on vit ici-bas, tant qu’on y peine, quels que soient les charismes, quelles que soient les sortes de consolations qui sont données aux fils de la grâce, dans la distribution des grâces, le développement du progrès, ou la marche des vertus, dans la splendeur de l’illumination divine, les élans de la pieuse componction, les transports de la contemplation divine, tout cela, ô Sagesse éternelle, ce sont tes seins nourrissant la sainte enfance de tes tout-petits, et témoignant jusqu’à la consommation du siècle que ta présence ne leur manquera jamais. Mais à Dieu ne plaise que lorsque leur temps sera venu, le temps de ton bon plaisir, leur bouche soit jugée indigne du baiser de ta bouche, dans la plénitude de la parfaite connaissance de toi, leur bouche à laquelle, au temps de leur patience et de leur persévérance, par le moyen de ces seins, tu offres le lait de ton cœur en aliment de science spirituelle et pour avancer vers ta perfection. D’autant que si elle a sucé parfois, venu d’ailleurs, quelque poison, il lui faut se guérir et se purifier au contact de ces seins sacrés, et par la vertu et l’odeur de tes parfums salutaires. Donc, puisque l’Epouse est privée de cette union pérenne et bienheureuse et de ce baiser d’éternité, à cause de la condition de l’infirmité humaine, elle s’attache à tes seins, et, ne parvenant pas à ta bouche, elle ramène sa bouche à tes seins et s’y repose en disant : parce que tes seins sont meilleurs que le vin.