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Saint Pie X

Le moins qu’on puisse dire est que la messe de la fête de saint Pie X est « datée » (comme celle de saint Joseph le 1er mai). Le prêtre ou le fidèle qui connaît les psaumes n’est plus chez lui – on lui a changé la liturgie. Déjà. Eh oui. C’est une sorte de malédiction. Saint Pie X avait bouleversé le bréviaire de fond en comble, ce qui fut la première révolution liturgique de l’histoire chrétienne, qui ouvrait la voie à d’autres révolutions… Et saint Pie X lui-même allait « réformer » le missel, mais il mourut avant… Pie XII quant à lui avait entrepris de réformer le psautier, sans la moindre considération pour la tradition d’interprétation des psaumes par les pères et les docteurs (mentionnée comme une objection sans importance dans le Motu Proprio In cotidianis Precibus), ni pour le chant ecclésiastique qui ornait la version traditionnelle et ne pourrait pas, dans nombre de cas, s’adapter à la nouvelle version (objection même pas mentionnée dans le Motu Proprio).

En 1945, Pie XII publia donc son nouveau psautier, élaboré par une commission d’experts (déjà) que dirigeait le cardinal Bea. Psautier établi selon les principes de la « critique textuelle », comme disait le pape lui-même, et qui était censé supprimer les obscurités de l’ancien et dérouler un beau latin classique. L’un des soucis de Pie XII était aussi le rythme. Or il est flagrant que par rapport au vieux psautier le nouveau est heurté, chaotique, et, comme l’ont immédiatement vu les bénédictins, proprement inchantable. Il ne fut accepté à peu près par personne, mais c’est lui qui fut imprimé dans tous les bréviaires jusqu’à… la réforme de Jean XXIII qui ne supportait pas non plus cette version et rétablit (de facto) l’ancienne.

C’est donc ce psautier aussi qui servit aux messes et offices fabriqués en ce temps-là, dont la messe de saint Pie X.

Ainsi l’antienne d’introït fait-elle immédiatement dresser l’oreille, car elle commence par une expression qui n’existait pas dans la prière de l’Eglise :

Extuli electum de populo.

J’ai élevé celui que j’ai choisi du milieu du peuple.

Alors que l’on a toujours dit :

Exaltavi electum de plebe mea.

J’ai élevé, exalté, celui que j’ai choisi du milieu de mon peuple.

Tous les textes de la messe sont ainsi, entrecoupés d’expressions traditionnelles qui ont été laissées, pour ne perturber les clercs qu’à moitié ou aux trois quarts…

Mais toujours dans l’introït le début du psaume 88, tellement connu, tellement utilisé par les auteurs spirituels et les mystiques : Misericordias Domini in aeternum cantabo, est devenu : Gratias Domini in aeternum cantabo. Alors que dans le texte hébreu il s’agit de hesed, toujours traduit en latin par miséricorde. La soi-disant Néo-Vulgate a d’ailleurs rétabli « Misericordias »…

Un autre exemple, le verset de l’Alléluia, pris du célèbre psaume 22 :

Paras mihi mensam, inúngis óleo caput meum, calix meus ubérrimus est.

Tu me prépares une table, tu oins d’huile ma tête, mon calice est très abondant.

Alors que le psautier traditionnel chante :

Parasti in conspectu meo mensam ; impinguasti in oleo caput meum : et calix meus inebrians, quam præclarus est !

Tu as préparé devant moi une table, tu as graissé ma tête avec de l’huile, et mon calice enivrant, comme il est beau !

« Enivrant » ne figure pas dans le texte hébreu massorétique. Mais il se trouve dans le texte grec, et aussi dans la version de saint Jérôme, donc il se trouvait et dans le texte hébreu des Septante et dans le texte hébreu qu’avait saint Jérôme. Il est donc illégitime de supprimer ce mot, comme l’a fait également la soi-disant Néo-Vulgate. Sauf à considérer que les Massorètes sont l’autorité suprême, même quand ils falsifient le texte pour le rendre moins chrétien. Car c’est bien le cas ici. Cette table c’est la table eucharistique. Et ce calice est enivrant parce que le sang du Christ procure l’ivresse du Saint-Esprit.

Pas sûr que saint Pie X, le pape de l’eucharistie, eût apprécié cette censure…

Commentaires

  • Saint Jérôme lui-même était pour la veritas hebraïca, c'est-à-dire contre la Septante. C'est-à-dire pour le texte original hébreu. Mais nous ne disposerions plus aujourd'hui, selon vous, du texte originel hébreu depuis qu'il aurait été trafiqué par les massorètes. Alors dans ces conditions, où le trouver ? Dans une rétroversion de la Vulgate ?

  • De même que personne n'a jamais réellement vu Dieu face à face, il n'y a jamais eu réellement de texte originel de la Bible. Ce texte est caché en Dieu qui est caché: il est manifeste que le texte qu'avait saint Jérôme n'était pas le même que celui qu'avaient les Septante.

    Il est inutile de chercher ce qui n'existe pas.

    Mais il est profitable de comparer les versions qui existent.

  • Pie XII pourtant dans Divino afflente spiritu souhaitait nettement le recours aux textes originaux, par rapport à la Vulgate.

    "C'est en suivant la même méthode [que saint Jérôme] qu'il importe d'expliquer le texte primitif qui, écrit par l'auteur sacré lui-même, a plus d'autorité et plus de poids qu'aucune version, même la meilleure, ancienne ou moderne."

    Ce recours au texte primitif serait donc devenu impossible ?

  • J'ai répondu à ce propos de Pie XII dans ma note précédente.

    Et je ne sais pas comment vous dire autrement que le texte primitif N'EXISTE PAS.

  • Le texte primitif est le seul inspiré par l'Esprit-Saint. Les versions ne le sont pas.

  • Hé hé, pas bête, le Jean Ferrand. Et une fois qu'on a dit cela, qu'est-ce qu'on fait face aux différentes versions? Je ne sais pas d'où vous tirez votre assertion, mais (s Jérôme, bouchez-vous les oreilles!) pour s Hilaire, il était clair que la Septante était inspirée...
    Il ne s'agit pas de savoir si le chn Osty était inspiré lorsqu'il a traduit sa bible (les lecteurs de ce blog ont leur petite idée là-dessus...), mais si les diverses versions antiques, avec leurs différences parfois notables (surtout pour l'AT), peuvent être dites légitimement Parole de Dieu. C'est une question bien intéressante, et je voudrais simplement dire mon opinion : il me semble que pour un catholique, la question des divergences n'est pas dramatique : car nous savons que la Révélation nous est donnée par la Tradition de l'Eglise qui porte, interprète et transmet la Parole de Dieu. Les versions sont un aspect de cette Tradition, dans la mesure où elles sont authentifiées par l'Eglise.
    Vaste sujet dont j'ignore s'il a été traité, et qui demanderai plus d'un article...

  • Pour les pères grecs comme pour les orthodoxes, la Septante est un texte inspiré, puisque la tradition dit que les traducteurs ont été inspirés et ont donné une traduction miraculeuse.

    Non seulement les divergences ne sont pas dramatiques, mais elles sont source de richesse exégétique et spirituelle. Origène se réfère souvent à des variantes, et même quand il considère que l'une d'elles est une erreur il en tire quand même un enseignement. L'un des exemples les plus virtuoses, dans le genre, est le commentaire du psaume 44 par saint Jérôme, qui explique simultanément quatre versions du texte et les tisse ensemble, sans exprimer de vraie préférence alors qu'il avait élaboré sa propre version selon "la vérité hébraïque"...

    Pour en revenir à Jean Ferrand, je ne comprends pas bien ce que veut dire "seul le texte primitif est inspiré", quand il n'y a pas de texte primitif.

    Et quand bien même il y aurait un texte primitif on ne serait pas beaucoup plus avancé, comme je l'ai précisément montré dans ma note sur le Cantique. Il est manifeste que dans le "texte primitif" il y avait "ddk". Mais fallait-il lire deddeka, tes seins, ou dodeka, tes étreintes ? Quelle interprétation rend compte du texte inspiré ?

  • Il me semble, mais c'est à M. Ferrand de préciser son assertion, que 'primitif' renvoie au père de toutes les versions, au texte chronologiquement antérieur à toutes les variantes qui en dérivent par divergences de copies. Pour un historien, le travail face aux foisonnement de versions d'un même texte consiste à les collationner les regrouper et les ordonner en une généalogie désignant s'il existe encore le texte originel, en s'aidant du seul texte disponible. La question est donc explicitement: est ce que nous disposons de ce père de toutes les différentes versions hébraïques? Question qui renvoie à mon précédent commentaire au précédent post: comment le texte massorétique s'est il débarrassé des versions antérieures? Pour le reste, je suis Eric et accepte de recevoir les différentes versions antiques comme inspirées pour autant qu'elles soient reçues par la tradition de l'Église.

  • Je ne comprends pas votre propos. Le plus ancien manuscrit de la Bible hébraïque est le "codex de Leningrad" (sic), qui date de 1008 et qui est l'un des deux textes massorétiques (l'autre étant le codex d'Alep qui date de 910-930 mais dont il manque... toute la Torah.

    Je ne vois donc pas ce que vous appelez "toutes les différentes versions hébraïques", d'autant que le codex de Leningrad est essentiellement une copie du codex d'Alep.

    Les Bibles les plus anciennes sont la Septante et la Vulgate. C'est une vérité historique.

    Comment se débarrasser des versions antérieures ? Rien de plus facile. Il n'y avait de Bibles que dans les synagogues et les écoles rabbiniques. Il suffisait de leur expliquer qu'on avait enfin la bonne version et que les autres devaient être supprimées - exactement de même que, longtemps avant, ils avaient supprimé leurs exemplaires de la Septante, qui soulignait trop les prophéties christiques, au profit des nouvelles traductions grecques qu'ils avaient commandées à Aquila, Theodotion, Symmaque. Traductions qui elles-mêmes disparurent quand les synagogues abandonnèrent le grec. Et seule la Septante est restée, parce qu'elle était devenue la Bible officielle des Eglises byzantines...

  • Merci de votre réponse.
    Vous répondez ainsi aussi à mon autre question dans le précédent post. Il y avait donc bien monopole du texte hébraïque par les communautés juives, et volonté d'en incliner le sens contre le christianisme.
    Pour votre incompréhension à mon égard, j'aurai dû employer manuscrits à la place de versions, manuscrits hypothétiques dans la mesure où ils n'existent plus aujourd'hui mais qui ont dû exister avant le massorétique au moins pour en assurer la constitution.
    L'histoire des manuscrits est cependant difficile à établir. Par exemple comment expliquer qu'aucun manuscrit d'Aristote n'ait subsisté en occident pendant presque dix siècles (mont saint michel mis à part), alors qu'ils étaient régulièrement copiés et commentés en orient? C'est pourquoi n'importe quel historien auquel vous présenterez cette intention liée au massorétique vous traitera de complotiste, disqualification intellectuelle suprême aujourd'hui.

  • La différence est justement qu'il y a toujours eu des manuscrits de textes d'Aristote en Orient, qui ont même fait le tour de la Méditerranée pour arriver chez nous (en arabe), avant que saint Thomas d'Aquin s'avise tardivement d'aller en chercher... chez les byzantins, et la boucle était bouclée...

  • Mais c'est Pie XII lui-même qui le dit dans Divino Afflante Spiritu :
    "C'est en suivant la même méthode qu'il importe d'expliquer le texte primitif qui, écrit par l'auteur sacré lui-même, a plus d'autorité et plus de poids qu'aucune version, même la meilleure, ancienne ou moderne."

    La version peut errer, l'original inspiré ne le peut pas.

    C'est d'ailleurs en ce sens que l'entendait saint Jérôme en parlant de Veritas Hebraica. Le texte hébreu original est inspiré. La Septante, qui est une version, ne l'est pas.

    Mais ceci n'est qu'un principe. Vous voulez dire sans doute, vous, que le texte primitif, celui de l'hagiographe, est par endroit inaccessible ou perdu. C'est un autre problème. Le problème critique. On doit approcher au plus près le texte original. La leçon de la version grecque, ou même latine, peut parfois être plus proche de l'original que le texte massorétique, ou même grec. Dans ce cas c'est elle qu'il faut choisir.

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