Dans sa traduction du livre de l’Exode, le chanoine Osty parle (cinq fois) de « peaux de dauphins » utilisées pour couvrir le tabernacle.
Comme sa traduction, surtout de ces chapitres de l’Exode, est quelque peu fantaisiste, je me suis demandé comment il avait pu inventer cette histoire triplement absurde de peaux de dauphins. (Triplement parce que 1 s’il y avait des dauphins dans le désert ça se saurait, 2 le dauphin est dans la Loi un animal impur et il est inconcevable de s’en servir, a fortiori pour le sanctuaire, et en outre au moment même où la Loi est révélée, 3 on ne peut rien faire avec la peau du dauphin.)
Or, à ma grande surprise, le dauphin est très prisé chez les traducteurs modernes – qui ignorent donc la Loi qu’ils traduisent…
Pour s’en tenir aux traductions du site très pratique « Références bibliques », on trouve aussi des dauphins dans les Bibles Second, du Semeur, la Colombe, Pirot-Clamer, TOB, Neufchâtel…
Crampon se veut original et parle de « veaux marins », tandis qu’une autre traduction parle de « phoques », et que la « Bible des peuples » ne craint pas de voir de la « peau de poisson » !
Olivetan, ami de Calvin, auteur de la première traduction protestante, donc de la première sur les soi-disant « textes originaux », a vu des peaux de « taissons ». C’est le mot qui à l’époque désignait le blaireau. La King James a repris le blaireau. La traduction juive que donne le site Tanak-sources a également « blaireaux ». Petit problème : le blaireau vit dans les forêts, il a besoin d’un abondant sous-bois, et il n’y en a pas au sud du Liban et de la Syrie.
La Bible de Jérusalem parle de « cuir fin », comme la nouvelle Bible de la liturgie, qui a abandonné ses dauphins… mais il n’y a pas davantage d’explication pour « fin » que pour « dauphin »…
La Bible du rabbinat a gardé le mot hébreu du texte massorétique : « tahach ». Car en vérité personne ne sait ce que peut vouloir dire « tahach ». Selon une tradition juive c’est un animal que Dieu avait créé pour les tentures du tabernacle, et qui a disparu ensuite…
Alors d’où sont venus les dauphins du désert à peau tannée ? Je me demande si à force de chercher une signification à « tahach » on ne serait pas allé voir du côté de l’arabe (ou de l'araméen?). Certes, en arabe comme en hébreu, dauphin se dit « dolphin » (c’est le mot anglais), mais en arabe il y a un mot pour dire « marsouin », et ce mot est toukhas. Ce qui est très proche de « tahach » : le mot arabe s’écrit t-kh-s, et le mot hébreu t-h-sh. En arabe comme en hébreu, h et kh, s et sh sont extrêmement proches.
Or comme les marsouins sont des dauphins, les tahach sont des toukhas (ou un mot araméen encore plus proche)…
Et voilà comment on vous fabrique la Bible…
Mais on n’est pas plus avancé.
Pour savoir de quoi il retourne, il suffit de se référer aux vrais textes de la Bible. A savoir la Septante et la Vulgate.
La Septante nous dit que ce sont des peaux « couleur de jacinthe », qui contrastent avec les « peaux teintes en rouge » qui précèdent immédiatement. Dans la plupart des manuscrits de la Vulgate, il s’agit aussi de peaux « couleur de jacinthe ». Donc teintes en bleu, ou d’un bleu tirant sur le violet. Le « Pentateuque de Tours » dit : « couleur de violette », ce qui a été repris dans la Vulgate sixto-clémentine. En latin c’est presque le même mot : « hyacinthinas » et « ianthinas ».
Quant à la teinture elle-même elle pourrait fort bien provenir de l’indigotier, dont la culture est très ancienne au Proche Orient, et qui donne une couleur bleue tirant sur le violet…
On peut donc oublier les dauphins du désert et les laisser à l’imagination des faussaires…