Cependant, dès que la nuit fut venue, le mendiant s’en alla au forum de Vulcano pour recueillir les restes sacrés du saint évêque. La lune, qui venait de se lever, répandit sa lumière argentée sur la plaine jaunâtre de la Solfatare, de telle sorte qu’on pouvait distinguer le moindre objet dans tous ses détails.
Comme le vieillard marchait lentement et regardait autour de lui pour voir s’il n’était pas suivi par quelque espion, il aperçut à l’autre bout du forum une vieille femme à peu près de son âge qui s’avançait avec les mêmes précautions.
— Bonjour, mon frère, dit la femme.
— Bonjour, ma sœur, répondit le vieillard.
— Qui êtes-vous, mon frère ?
— Je suis un ami de saint Janvier. Et vous ma sœur ?
— Moi, je suis sa parente.
— De quel pays êtes-vous ?
— De Naples. Et vous ?
— De Pouzzoles.
— Puis-je savoir quel motif vous amène ici à cette heure ?
— Je vous le dirai quand vous m’aurez expliqué le but de votre voyage nocturne.
— Je viens pour recueillir le sang de saint Janvier.
— Et moi je viens pour enterrer son corps.
— Et qui vous a chargé de remplir ce devoir, qui n’appartient d’ordinaire qu’aux parents du défunt ?
— C’est saint Janvier lui-même, qui m’est apparu peu d’instants après sa mort.
— Quelle heure pouvait-il être lorsque le saint vous est apparu ?
— À peu près la troisième heure du jour.
— Cela m’étonne, mon frère, car à la même heure il est venu me voir, et m’a ordonné de me rendre ici à la nuit tombante.
— Il y a miracle, ma sœur, il y a miracle. Écoutez-moi, et je vous raconterai ce que le saint a fait en ma faveur.
— Je vous écoute, puis je vous raconterai à mon tour ce qu’il a fait en la mienne ; car, ainsi que vous le dites, il y a miracle, mon frère, il y a miracle.
— Sachez d’abord que j’étais aveugle.
— Et moi percluse.
— Il a commencé par me rendre la vue.
— Il m’a rendu l’usage des jambes.
— J’étais mendiant.
— J’étais mendiante.
— Il m’a assuré que je ne manquerai de rien jusqu’à la fin de mes jours.
— Il m’a promis que je ne souffrirai plus ici bas.
— J’ai osé lui demander un souvenir de son affection.
— Je l’ai prié de me donner un gage de son amitié.
— Voici le même linge qui a servi à bander ses yeux au moment de sa mort.
— Voici les deux fioles qui ont servi à célébrer sa dernière messe.
— Soyez bénie, ma sœur, car je vois bien maintenant que vous êtes sa parente.
— Soyez béni, mon frère, car je ne doute plus que vous étiez son ami.
— À propos, j’oubliais une chose.
— Laquelle, mon frère ?
— Il m’a recommandé de chercher un doigt qui a dû lui être coupé en même temps que sa tête et de le réunir à ses saintes reliques.
— Il m’a bien dit de même que je trouverai dans son sang un petit fétu de paille, et m’a ordonné de le garder avec soin dans la plus petite des deux fioles.
— Cherchons.
— Cela ne doit pas être bien loin.
— Heureusement la lune nous éclaire.
— C’est encore un bienfait du saint, car depuis un mois le ciel était couvert de nuages.
— Voici le doigt que je cherchais.
— Voici le fétu dont il m’a parlé.
Et tandis que le vieillard de Pouzzoles plaçait dans un coffre le corps et la tête du martyr, la vieille femme napolitaine, agenouillée pieusement, recueillait avec une éponge jusqu’à la dernière goutte de son sang précieux, et en remplissait les deux fioles que le saint lui avaient données lui-même à cet effet.
C’est ce même sang qui, depuis quinze siècles, se met en ébullition toutes les fois qu’on le rapproche de la tête du saint, et c’est dans cette ébullition prodigieuse et inexplicable que consiste le miracle de saint Janvier.
(Ceci est la fin de la légende de saint Janvier telle que la raconte Alexandre Dumas. On trouvera le texte intégral ici.)