Les discours de Nicolas Sarkozy à Rome, devant le pape et à Saint-Jean de Latran, peuvent surprendre les novices. Si on les écoute d’une oreille distraite, on a l’impression que le nouveau chanoine exalte la France chrétienne. En réalité, il combine de façon subtile et habile l’impératif circonstanciel (à Rome, on ne peut que dire du bien du christianisme et se montrer héritier de la tradition chrétienne) et l’impératif présidentiel de la laïcité républicaine.
En réalité, son discours est beaucoup plus « laïque » que celui de Jacques Chirac lors de sa visite similaire à Rome en janvier 1996. Nicolas Sarkozy, pourtant moins laïcard que Jacques Chirac (par américanisme, et parce qu’il faut une « laïcité positive » pour favoriser l’islam), n’a pas osé se faire écrire des discours aussi hypocrites que son prédécesseur : reprenant, au début, certains éléments du discours chiraquien, il a tenu aussi à exposer sa vision de la laïcité, alors que Chirac s’en était abstenu. On sait que Jacques Chirac était très attaché à la loi de 1905. Ses discours de Rome étaient des violations massives de la loi de 1905. Ils étaient surtout en contradiction patente, et tout aussi massive, avec sa politique. (N’auraient-ils pas été écrits par Jean-Paul Bolufer ? Si quelqu’un a la réponse...)
C’était tellement ahurissant que je n’ai pu résister, à cette occasion, de les relire, et de vous en faire partager de larges extraits, que voici.
Au Vatican, devant Jean-Paul II :
En septembre prochain, nous célébrerons, en Votre présence, le 1500è anniversaire du baptême de Clovis qui a été, c'est vrai, vous l'avez mentionné, l'un des actes fondateurs de la France. Cet événement marquera la force et la richesse du lien tissé au long des siècles entre la France et le Trône de Pierre.
"Fille aînée de l'Eglise", la France l'a été par sa fidélité catholique, par son dynamisme missionnaire et aussi, pour reprendre l'expression de Sa Sainteté Jean XXIII, par "l'admirable lignée de Saints" issus de notre sol. Une grande part de notre patrimoine est d'abord l'illustration d'une ferveur religieuse.
La récente canonisation de Monseigneur Eugène de Mazenod, les hautes fonctions assumées auprès de Vous par les prélats et les religieux français, l'accueil réservé par mes compatriotes aux messages de Votre Sainteté, sont autant de témoignages de ce lien qui unit la France et le Saint-Siège. Ils attestent la pérennité d'un appel, la réponse à une promesse, une convergence de pensées.
Rencontrant les Français dès le début de Son Pontificat, et tout récemment encore, dans Son adresse aux catholiques de France, Votre Sainteté les exhortait à la fidélité. Fidélité aux engagements personnels. Mais aussi fidélité à l'Eglise et fidélité à la France, à sa mission, aux principes de dignité, de solidarité humaines hérités de l'Evangile. Ces principes mêmes que la France républicaine s'est efforcée de défendre, chez elle et partout.
Il n'est pas, Très Saint-Père, de sujet touchant la vie de l'homme en société que Vous n'ayez abordé à l'occasion des grands textes qui ont jalonné Votre Pontificat. Qu'il s'agisse de la paix, des droits de la personne humaine, de sa liberté, de la famille et de l'éducation, toujours s'expriment Votre vigilance et Votre exigence. Toujours Vous invitez à discerner, dans l'écume et le vacarme des temps, l'homme, sa dignité, son épanouissement, sa vérité.
Sans relâche, Vous dénoncez les forces de mort, si présentes dans ce siècle. La guerre, la violence, l'oppression, bien sûr. Mais aussi un certain désespoir, une absence de confiance dans la vie et sa splendeur. Une quête jamais satisfaite des possessions matérielles, un goût pour les succès provisoires, l'éclat trompeur des choses, qui marquent notre temps. (...)
Dans les moments de doute, quand la respiration de nos existences se fait plus oppressante, chacun se pose les seules questions qui vaillent : celles des origines et de la fin, de la place de l'homme dans nos sociétés modernes.
C'est notamment auprès de l'Eglise, de Son message et de Son guide, dans le secours de la foi, que beaucoup d'hommes cherchent une raison d'espérer, la force de surmonter leurs souffrances. Et c'est auprès de la France, que beaucoup de peuples cherchent conseil et assistance.
<A l'occasion, Très Saint-Père, de Votre première visite pastorale dans notre pays, Vous lanciez à ceux des miens nourris de la foi catholique : "France, éducatrice des peuples, es-tu fidèle à ton alliance avec la Sagesse éternelle ?"
<Oui, Très Saint-Père, la France, sur laquelle comptent tant d'hommes et de femmes de par le monde, veut être fidèle à son héritage, à sa vocation spirituelle et humaine. (...)
Voilà pourquoi, Très Saint-Père, nos efforts se rejoignent. Voilà pourquoi la France et le Siège Apostolique ont vocation à travailler ensemble, toujours plus étroitement, pour ancrer la justice, la sérénité et la paix dans le cœur des hommes.
Très Saint-Père,
Dans quelques mois, Vous foulerez une nouvelle fois le sol de France. Votre visite pastorale Vous conduira à Auray, à Tours et à Reims. Vous y retrouverez la patrie de Saint Jean-Marie Vianney, le Curé d'Ars, dont Vous confiiez récemment combien son exemple Vous avait ému. Vous y mesurerez la vitalité, l'ardeur de l'Eglise de France, mais aussi l'attachement de l'ensemble des Français à Votre personne. Beaucoup de jeunes Vous accueilleront en "Champion de Dieu" comme disait le Cardinal Marty, avec chaleur et avec enthousiasme.
Profondément encouragé, dans la tâche difficile que m'ont confiée les Français, par l'accueil toujours bienveillant de Votre Sainteté, je forme les vœux les plus fervents pour Sa personne, pour le succès de Sa prochaine visite en France et pour l'accomplissement des desseins de Son pontificat.
Et au Latran :
Mon émotion est faite du souvenir des liens historiques qui, depuis Pépin le Bref et Charlemagne, unissent la nation française à la première Eglise de la chrétienté. Ici, plus que partout ailleurs, la France se souvient de son titre de "fille aînée de l'Eglise". Ici, plus que partout ailleurs, elle peut exprimer sa fierté et sa reconnaissance pour une fidélité réciproque, jamais démentie malgré le temps et les passions de l'Histoire.
La présence du chef de l'Etat français en ce lieu devant vous se veut bien davantage que la seule perpétuation d'une ancienne tradition. Elle entend témoigner de la fidélité de mon pays à ses origines, aux sources de sa culture et de sa civilisation.
Ma présence se veut aussi, Eminence, le gage de relations fécondes, de relations à poursuivre et nourrir entre la France et le Saint-Siège en même temps qu'entre l'Eglise et l'Etat. L'indispensable dialogue, pour difficile voire douloureux qu'il ait pu être dans l'Histoire, ne s'est jamais rompu. A l'épreuve de notre république laïque, passées la méfiance et les craintes, les catholiques de France savent désormais pouvoir vivre en citoyens sans rien renier de leur foi. Mieux, ils ont la conviction d'apporter leur pleine et généreuse contribution à la communauté nationale. Ils s'y emploient, je le sais, avec passion et avec loyauté.