L'Ecriture ne nous parle que de trois morts ressuscités par le Christ. Il est sûr que le Sauveur a ressuscité beaucoup d'autres morts, mais ce n'est pas sans motif qu'il n'est fait mention que de trois.
Il a ressuscité d'abord la fille du prince de la synagogue qui le priait de venir la délivrer de sa maladie. Il ressuscita aussi ce jeune homme, fils de veuve, qui nous a donné occasion de faire à votre charité ces réflexions, que le Sauveur même daigne nous inspirer. On vient de vous rappeler comment eut lieu cette résurrection. Il ressuscita enfin Lazare, dans lé tombeau même.
Ces trois morts désignent trois espèces de pécheurs, ressuscités par le Christ, maintenant encore. La fille du chef de synagogue était restée dans la maison de son père, elle n'en avait pas encore été emportée publiquement. C'est dans l'intérieur de la demeure qu'elle fut ressuscitée et rendue vivante à ses parents. Quant au jeune homme, il n'était plus dans sa maison, et pourtant il n'était pas encore dans le tombeau; il avait quitté le foyer, mais il n'était pas encore déposé dans la terre; et la même puissance qui avait ressuscité la jeune fille encore sur son lit, ressuscita ce jeune homme qu'on avait sorti du sien, sans l'avoir encore Inhumé. Une troisième chose restait à faire, c'était de ressusciter un mort dans le tombeau : Jésus fit ce miracle sur Lazare.
Venons à l'application. Il y a des hommes qui ont le péché dans le cœur, quoiqu'il ne paraisse pas encore dans leur conduite. Ainsi quelqu'un ressent un mouvement de convoitise; et comme le Seigneur dit lui-même : « Quiconque aura regardé une femme pour la convoiter, a déjà commis l'adultère dans son cœur » ; quoique le corps ne l'ait pas approchée, dès que le cœur consent au crime, il est mort ; mais ce mort reste encore dans sa demeure, et on ne l'a point emporté. Or, il arrive quelquefois, nous le savons et plusieurs l'expérimentent chaque jour, que ce mort soit frappé en entendant la parole dé Dieu, comme si le Seigneur lui disait en personne Lève-toi. Il condamne alors le consentement qu'il a donné au mal, et ne respire plus que salut et justice. C'est le mort qui ressuscite dans sa demeure, c'est un cœur qui recouvre la vie dans le sanctuaire de sa conscience, et cette résurrection de l'âme qui s'opère en secret, se produit en quelque sorte au foyer domestique.
Il en est d'autres qui après avoir consenti au mal l'accomplissent. Ne dirait-on pas qu'ils emportent un mort, et qu'ils montrent en public ce qui était dans le secret? Faut-il, toutefois, désespérer d'eux? Mais ce jeune homme n'a-t-il pas aussi entendu cette parole: « Lève-toi, je te le commande? » N'a-t-il pas, lui aussi, été rendu à sa mère ? C'est ainsi que même après avoir commis le crime, on ressuscite à la voix du Christ, on revient à la vie, lorsqu'on se laisse toucher et ébranler par la parole de vérité. On a pu faire un pas de plus vers l'abîme, mais on ne saurait périr éternellement.
Il en est enfin qui en faisant le mal s'enchaînent dans des habitudes perverses; ces habitudes ne leur laissent déjà plus voir la malice de leurs actes; ils justifient le mal qu'ils font, et s'irritent quand on les reprend. Ceux qui sont ainsi accablés sous le poids de la coutume, sont déjà comme inhumés; il y a plus, mes frères, on peut même dire d'eux, comme de Lazare, que déjà ils sentent mauvais. La pierre qui pèse sur le sépulcre est comme la tyrannie de l'habitude qui pèse sur l'âme, sans lui permettre, ni de se relever, ni de respirer. Après avoir consenti au mal, on le commet; puis le péché devient habitude; on est alors comme dans un état désespéré, on est un mort de quatre jours, sentant déjà mauvais. C'est alors que vient le Seigneur. Tout lui est facile, mais il veut te faire sentir combien pour toi la résurrection est difficile. Il frémit en lui-même, il montre combien il faut de cris et de reproches pour ébranler une habitude invétérée. A sa voix, néanmoins, se rompent les chaînes de la tyrannie, les puissances de l'enfer tremblent, Lazare revient à la vie. Le Seigneur, en effet, délivre de l'habitude perverse les morts même de quatre jours.
Saint Augustin, 44e sermon sur les paroles du Seigneur ou 98e sermon détaché sur l'Ecriture.