La Vulgate de Stuttgart, affirme dans les préfaces des diverses éditons Roger Gryson, le continuateur de Robert Weber, est une édition scientifique de la Vulgate. On a choisi les meilleurs manuscrits, on les a comparés, et on a déterminé le texte le plus exact possible.
On ne peut donc qu’être surpris de voir ici ou là dans les notes un « restituimus » : nous restituons. Pour dire que nous mettons un mot… qui ne se trouve dans aucun manuscrit, mais dont nous pouvons affirmer, scientifiquement bien sûr, que c’était le mot du texte originel - ce qui est affirmer du même coup que tous les manuscrits sont fautifs…
Un exemple particulier, dans la première épître aux Thessaloniciens (2,7). Le texte de la Vulgate d’avant les messieurs de Stuttgart, qui est le texte des manuscrits, dit : « facti sumus parvuli in medio vestrum ». Nous nous sommes faits petits au milieu de vous (thème fréquent dans les épîtres de saint Paul). La Vulgate scientifique de Stuttgart remplace « parvuli » par « lenes » : doux. Et elle renvoie au texte grec.
Que dit le texte grec ?
C’est là que c’est amusant. Le texte grec traduit dans toutes les Bibles modernes en français (sauf une) dit en effet « doux » (et les traduction font des variations : affables, bienveillants, aimables, etc.). Parce que l’on suit aveuglément le texte de l’édition Nestle-Aland, référence absolue pour tout exégète et traducteur qui se respecte. Le problème est que les manuscrits grecs sont très partagés, entre deux mots qui n’ont qu’une lettre de différence (νήπιοι et ήπιοι). Nestle-Aland avait en effet choisi « doux » (ήπιοι)… jusqu’à la 25e édition. Mais dans la 26e édition, les éditeurs ont changé d’avis. Ils ont remplacé « doux » par « petits »… Comme la Vulgate d’avant Stuttgart. Il semble qu’ils ont réévalué (ou simplement pris en compte) le Papyrus 65, qui donne deux fragments de cette épître, et qui est du IIIe siècle.
Et voilà toutes les Bibles en français en retard sur leur référence absolue Nestle-Aland. Toutes sauf une : la Nouvelle Bible Segond, qui, prenant acte de la modification, a donc abandonné « doux » pour « petits »… Mais les autres y viendront aussi dans leurs futures éditions… En espérant que Nestle-Aland ne change pas d’avis de nouveau…
Cela n’a aucune importance pour le sens de l’épître. Mais donne un éclairage particulier du travail des éditeurs. (Et ici c’est dans le sens habituel de la Vulgate de Stuttgart qui est de donner tort presque systématiquement à la Vulgate sixto-clémentine. En général c’est parce que les manuscrits sont partagés entre deux versions. Mais on voit que ça peut marcher aussi quand tous les manuscrits disent comme l’ancienne Vulgate.)
Dans la note, Weber ou Gryson donne toutefois une référence à UN manuscrit latin. Le Sangermanenis, qui a, non pas « doux », mais « doux petits ». Les deux mots juxtaposés. Et l’on nous dit qu’il « semble » que ce fût le texte archétypique : celui qu’avait dicté saint Paul. Mais on ne nous dit pas comment un unique manuscrit, du IXe siècle, aurait davantage d’autorité que tous les manuscrits qui l’ont précédé…