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Liturgie - Page 221

  • Premier dimanche de la Passion

    Confitébor tibi, Dómine, in toto corde meo : retríbue servo tuo : vivam, et custódiam sermónes tuos : vivífica me secúndum verbum tuum, Dómine.

    Seigneur, je vous célébrerai de tout mon cœur. Bénissez votre serviteur : je vivrai, et je garderai vos paroles. Faites-moi vivre selon votre parole, Seigneur.

    L’antienne d’offertoire de la messe paraît « décalée ». Alors que toute la liturgie du temps de la Passion est tournée vers… la Passion du Seigneur et résonne de ses plaintes empruntées à Jérémie et aux psaumes les plus sombres, cet offertoire est ouvertement clair et joyeux, et il l’est d’un bout à l’autre.

    Il y a deux explications à cette apparente incongruité. La première est que, quelle que soit la substance tragique de la liturgie, la perspective céleste n’est jamais fermée, la résurrection est toujours présente, la joie du salut n’est jamais gommée. En témoigne la première antienne de la troisième partie de la liturgie du vendredi saint : « Nous adorons ta croix, Seigneur, et nous louons et glorifions ta sainte Résurrection, car voici, par le bois de la croix la joie est venue dans le monde entier. » La deuxième explication est que cette antienne reprend et prolonge remarquablement le propos de Jésus dans l’évangile. « Si quelqu’un garde ma parole, il ne verra jamais la mort », dit le Christ aux juifs qui répètent le propos pour le contester. Et l’antienne d’offertoire dit la même chose dans l’ordre inverse : « Je vivrai, et je garderai tes paroles, donne-moi la vie selon ta parole » : c’est le Christ qui parle par la bouche du psalmiste, mais le Christ donnera aussi la vie à ceux qui garderont sa parole. Les juifs auraient dû penser au psaume avant de contester un propos qui explicite un de leurs propres textes sacrés. Et l’on remarque la beauté particulière de la mélodie qui savoure « vivam ».

    Cela était renforcé au moyen âge, quand l’offertoire avait ses deux versets. Le premier était en effet (logiquement, mais la logique fait bien les choses) composé des deux premiers versets du psaume :

    Beati immaculati in via : qui ambulant in lege Domini.
    Beati, qui scrutantur testimonia eius: in toto corde exquirunt eum.

    Bienheureux sont qui sont immaculés sur la voie, qui marchent dans la loi du Seigneur. Bienheureux ceux qui scrutent ses témoignages, qui le cherchent de tout leur cœur.

    Avec une exubérante vocalise sur le premier Beatus (où l'on remarque que le copiste avait laissé un grand espace entre Bea- et -ti mais qui n'était pas suffisant pour mettre toutes les notes...) :

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    Et le second verset était composé d’expressions tirées d’autres versets du même psaume, soulignant le même message :

    Viam veritatis elegi, da mihi intellectum et scrutabor legem tuam: et custodiam illam in toto corde meo: inclina cor meum in testimonia tua et non in avaritiam: in via tua vivifica me, judicia enim tua jucunda: deprecatus sum vultum in toto corde meo quia dilexi legem tuam.

    J’ai choisi la voie de la vérité, donne-moi l’intelligence, et je méditerai ta loi : et je l’observerai de tout mon cœur : incline mon cœur à tes révélations et non pas à la cupidité : en ta voie vivifie-moi, car tes jugements sont agréables : j’ai imploré ton visage de tout mon cœur, car j’ai aimé ta loi.

  • Samedi de la quatrième semaine de carême

    Screenshot_2019-04-05 Paléographie musicale fac-similés phototypiques des principaux manuscrits de chant grégorien, ambrosi[...].png

    Graduel bénéventain du XIe siècle, codex 10 673 de la Bibliothèque Vaticane, in "Paléographie musicale" XIV.

    Ce jour était souvent appelé « samedi Sitientes », au temps de la chrétienté, comme on appelait les dimanches du premier mot de l’introït. Car l’introït de ce jour commence par « Sitientes », qui annonce une liturgie d’eau et de lumière, déjà pascale. On lui donnait le nom du premier mot de l’introït parce que c’était un jour spécial : un jour de « scrutin » pour les catéchumènes, mais aussi et surtout parce que c’était – et c’est encore pour ceux qui respectent les temps traditionnels – un jour d’ordination. C’est le dernier jour avant le temps de la Passion. On doit voiler de violet toutes les images des églises avant les vêpres.

    Sitiéntes, venite ad aquas, dicit Dóminus : et qui non habétis prétium, veníte et bíbite cum lætítia.

    Vous tous qui avez soif, venez aux eaux, dit le Seigneur, et vous qui n’avez point d’argent, venez et buvez avec joie.

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  • Vendredi de la quatrième semaine de carême

    Introït :

    Meditátio cordis mei in conspéctu tuo semper : Dómine, adjútor meus, et redémptor meus.

    La méditation de mon cœur sera toujours en votre présence ; Seigneur, vous êtes mon secours et mon rédempteur.

    L’introït est emprunté au psaume 18 : « La pensée de mon cœur est toujours tournée vers vous, Seigneur, ma forteresse, mon refuge. » La pensée elle-même de Dieu est pour nous une forteresse inexpugnable, dans laquelle nous pouvons toujours trouver un abri contre toutes les tentations et les difficultés de la vie. En effet, quand les tentations nous assaillent, quand la fascination de la volupté menace d’étouffer en nous cette aspiration innée à un bien infini que nous avons tous, quand le poids des iniquités commises nous fait voir comme désespéré notre atterrissage au port du salut, quand, dans la dernière agonie spécialement, Satan nous fera sentir toute la violence de sa tyrannie pour nous réduire définitivement en son pouvoir, il suffit de se souvenir de Dieu, de l’invoquer avec le cœur, et voici que la sérénité revient, que les ennemis s’enfuient honteux, et l’âme sent toute cette douceur qu’exprimé le saint Nom de Dieu, quand on l’invoque avec dévotion. En un mot, tout notre mal vient de ce que nous oublions Dieu, alors que selon la parole du Prophète : Memor fui Dei et delectatus sum [Je me suis souvenu de Dieu et je me suis délecté, psaume 76].

    Bienheureux cardinal Schuster

    (Je ne sais pas où le cardinal Schuster est allé chercher « refuge » pour traduire « redemptor ». Les traducteurs qui refusent tout caractère prophétique à l’Ancien Testament traduisent par « libérateur », ou « vengeur », ou « défenseur ». Mais le mot hébreu, grec, et latin, est clairement « rédempteur », et Chouraqui l’a respecté à sa façon : « racheteur ».)

    Sur l’antienne de communion.

    Sur l’icône de la résurrection de Lazare.

  • Jeudi de la quatrième semaine de carême

    L’évangile de la messe de ce jour est reprit du 15e dimanche après la Pentecôte. C’est la résurrection du fils de la veuve de Naïm, qui est mise ce jour en parallèle avec la résurrection du fils d’une veuve par Elisée. C’est une double annonce de la Résurrection pascale, mais c’est aussi un enseignement sur la pénitence, la résurrection du péché. Comme le souligne saint Ambroise dans son commentaire des matines (le 15e dimanche après la Pentecôte c’est un texte de saint Augustin) :

    Cet endroit de l’Évangile se rapporte à l’une et à l’autre grâce. Il a d’abord pour but de nous donner l’assurance que la miséricorde divine se laisse vite fléchir par les gémissements d’une mère veuve, et surtout d’une mère brisée par la maladie ou la mort de son fils unique, d’une veuve enfin dont le mérite et la gravité sont prouvés par la foule qui l’accompagne aux funérailles. Il est destiné encore à nous faire voir plus qu’une simple femme dans cette veuve, entourée d’une grande foule de peuple, qui mérita d’obtenir par ses larmes la résurrection d’un jeune homme, son fils unique ; parce que cette veuve est l’image de la sainte Église, qui, en considération de ses larmes, obtient de rappeler du sein des pompes funèbres ou des profondeurs du sépulcre, pour le faire revenir à la vie, un jeune peuple qu’on lui a défendu de pleurer, parce que la résurrection lui est promise.

    Le mort était porté au tombeau dans un cercueil par les quatre éléments matériels ; mais il avait l’espoir de ressusciter puisqu’il était porté dans du bois. Bien que le bois ne nous ait pas été utile autrefois, il a néanmoins, depuis que Jésus-Christ l’a touché, commencé à servir pour la vie ; afin de montrer que le salut devait être rendu au monde par le gibet de la croix. En entendant la parole de Dieu, ils s’arrêtèrent donc, ces impitoyables conducteurs de convois funèbres qui poussaient le corps humain vers la dissolution, par suite du cours mortel de la nature matérielle. Et nous, ne gisons-nous pas inanimés sur la civière mortuaire, c’est-à-dire sur un instrument des dernières pompes funèbres, lorsque le feu des passions déréglées nous brûle, ou que la froideur inonde nos âmes ou bien quand nous sentons la vigueur de notre esprit s’émousser sous le poids de ce corps terrestre et paresseux, ou encore lorsque la pure lumière faisant défaut à notre esprit, il nourrit notre âme d’un air épais et vicié ? Voilà les porteurs qui nous mènent au tombeau.

    Mais quoique les derniers devoirs rendus aux morts aient enlevé toute espérance de vie, et que les corps des défunts gisent déjà près du tombeau, cependant, à la parole de Dieu, les cadavres ressuscitent aussitôt, la voix leur revient, un fils est rendu à sa mère, il est rappelé du tombeau, arraché du sépulcre. Quel est pour toi ce tombeau, sinon les mauvaises habitudes ? Ton tombeau, c’est ta déloyauté ; ton gosier est un sépulcre : « C’est un sépulcre ouvert que leur gosier » [psaume 5], d’où sont proférées des paroles de mort. Le Christ te délivre de ce sépulcre ; tu sortiras de ce tombeau si tu écoutes la parole de Dieu. Et s’il est un péché grave que tu ne puisses laver toi-même par les larmes de la pénitence, que l’Église ta mère pleure pour toi, elle qui intervient en faveur de chacun de ses enfants, comme une mère veuve pour son fils unique, car elle est pleine de compassion et éprouve une douleur spirituelle qui lui est propre, lorsqu’elle voit ses enfants entraînés à leur perte par des vices mortels.

  • Mercredi de la quatrième semaine de carême

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    Lutum fecit ex sputo Dóminus, et linívit óculos meos : et ábii, et lavi, et vidi, et crédidi Deo.

    Le Seigneur a fait de la boue avec sa salive et en a oint mes yeux. Je m’en suis allé, je me suis lavé et j’ai vu et j’ai cru en Dieu.

    L’antienne de communion de la messe de ce jour est aussi simple que parfaite dans son expression, tant littéraire que musicale. Le texte est un résumé du long évangile, un concentré de l’histoire du miracle de guérison, ne retenant que l’essentiel, depuis la fabrication de l’onguent jusqu’à la foi du miraculé : il y a 32 versets entre le premier mot et le dernier mot de l’antienne. La mélodie est le chant naïf et émerveillé de l’aveugle qui raconte comment il a été guéri et trouvé la foi. La « foi en Dieu », explicite-t-il ici, quand le thaumaturge s’est seulement dit « fils de Dieu ».

    Par les moines de l’abbaye du Mont des Anges, dans l’Oregon (Mount Angel, fondé par les moines d’Engelberg en Suisse), en 1965 (album Chants of the Church) :

  • Mardi de la quatrième semaine de carême

    Troisième oraison des matines du bréviaire mozarabe en ce jour :

    Usquequo, Domine, exaltabitur inimicus animae nostrae, qui nos quotidiana vitiorum abrodit rubigine? Respice jam, et exaudi nos: ac nequando inimicus noster adversum nos praevaluisse se jactet; victoria crucis tuae semper ad superna nos erige: et eum qui nos conatur rapere, sub nostris pedibus conterendum immerge. ℟. Amen.

    Jusques à quand, Seigneur, s’exaltera l’ennemi de notre âme, qui nous ronge chaque jour de la rouille de nos vices ? Tourne tes regards vers nous et exauce-nous ; et de peur que notre ennemi se vante d’avoir prévalu contre nous, redresse-nous toujours vers le ciel par la victoire de ta croix, et celui-là qui essaie de nous emporter, immerge-le sous nos pieds en le réduisant à néant.

  • Lundi de la quatrième semaine de carême

    Nous avons vu déjà, au Mardi de la première semaine, le Seigneur chasser les vendeurs du Temple ; il accomplit en effet deux fois cet acte de justice et de religion. Le récit que nous lisons aujourd’hui se rapporte à la première expulsion de ces profanes du lieu saint. L’Église insiste sur ce fait dans le Carême, parce qu’il nous présente la sévérité avec laquelle Jésus-Christ agira contre l’âme qui se sera laissé envahir par les passions terrestres. Que sont, en effet, nos âmes, sinon le temple de Dieu ? de Dieu qui les a créées et sanctifiées pour y habiter ? Mais il veut que tout y soit digne de cette sublime destination. En ces jours où nous scrutons nos âmes, combien de profanes vendeurs ne trouvons-nous pas établis dans la demeure du Seigneur ? Hâtons-nous de les expulser ; prions même le Seigneur de les chasser lui-même avec le fouet de sa justice, dans la crainte qu’il ne nous arrive de trop ménager ces hôtes dangereux. Le jour où le pardon descendra sur nous est proche ; veillons à être dignes de le recevoir. Avons-nous remarqué dans notre Évangile ce qui est dit de ces Juifs qui, plus sincères que les autres, se mirent à croire en lui, à cause des miracles qu’ils lui voyaient faire ? Jésus cependant ne se fiait pas à eux, parce qu’il les connaissait tous. Il y a donc des hommes qui arrivent à croire, à reconnaître Jésus-Christ, sans que pour cela leur cœur soit changé ! O dureté du cœur de l’homme ! ô anxiété cruelle pour la conscience des ministres du salut ! Des pécheurs, des mondains assiègent, en ces jours, les tribunaux de la réconciliation ; ils croient, ils confessent leurs péchés : et l’Église n’ose se fier à leur repentir. Elle sait d’avance que, bien peu de temps après le festin pascal, ils seront redevenus ce qu’ils étaient le jour où elle leur imposa les cendres de la pénitence ; elle tremble en songeant au danger que ces âmes, partagées entre Dieu et le monde, encourent en recevant sans préparation, sans conversion véritable, le Saint des Saints ; d’un autre côté, elle se souvient qu’il est écrit de ne pas éteindre la mèche qui fume encore, de ne pas achever de rompre le roseau déjà éclaté. Prions pour ces âmes dont le sort est si inquiétant, et demandons pour les pasteurs de l’Église quelques rayons de cette lumière par laquelle Jésus connaissait tout ce qu’il y avait dans l’homme.

    Dom Guéranger

  • 4e dimanche de carême

    L’offertoire de la messe de ce jour est le seul chant propre qui n’évoque pas Jérusalem. C’est du moins ce qu’on voit dans les livres depuis saint Pie V. En réalité, cet offertoire – comme tant d’autres - a été amputé de ses versets. Dans les livres du moyen âge il a trois versets, et le dernier se termine sur Jerusalem (comme le psaume 134 d’où tout le texte est repris).

    D’autre part, la somptueuse mise en scène de « Laudate » laisse prévoir des mélismes développés, or la suite est très sobre et s’inscrit dans un faible ambitus. Au début de la troisième phrase, « Omnia » paraît vouloir commencer un développement plus brillant, et on se retrouve dans la même configuration que précédemment. « C’est un chant calme, dit dom Johner, une prière joyeuse d’action de grâce pour la bonté de Dieu qui s’est manifestée dans le miracle de la multiplication des pains (évangile) et le miracle de l’eucharistie qui s’accomplit continuellement. »

    Mais les amorces de vocalises annoncent en fait la vocalise finale, sur… Jerusalem, qui est très développée comme on peut le voir sur ce graduel de Saint-Gall, ou celui de Porrentruy (au-dessus du trait rouge), et dans la transcription d’Anton Stingl :

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    Par les moines d’En-Calcat, en 1956 (sans les versets, hélas) :


    podcast

     Screenshot_2019-03-30 LU562.png

    Laudate Dominum quia benignus est :
    psallite nomini eius, quoniam suavis est :
    omnia quaecumque voluit, fecit in caelo et in terra.

    Louez le Seigneur, car il est bienveillant :
    psalmodiez pour son nom, car il est doux :
    tout ce qu’il a voulu, il l’a fait, au ciel et sur la terre.

    Vers.  1

    Qui statis in domo Domini,
    in atriis domus Dei nostri:
    quia ego cognovi, quod magnus est Dominus
    et Deus noster prae omnibus diis.

    Vous qui vous tenez dans la maison du Seigneur,
    dans les parvis de la maison de notre Dieu :
    car moi, j’ai reconnu que le Seigneur est grand,
    et que notre Dieu est au-dessus de tous les dieux.

    Vers.  2

    Domine, nomen tuum in aeternum
    et memoriale tuum in saecula saeculorum:
    judicabit Dominus populum suum
    et in servis suis consolabitur.

    Seigneur, votre nom subsiste éternellement :
    Seigneur, votre souvenir s’étend pour les siècles des siècles :
    le Seigneur jugera son peuple,
    et en ses serviteurs, il sera consolé.

    Vers.  3

    Qui timetis Dominum benedicite eum:
    benedictus Dominus ex Sion,
    qui habitat in Jerusalem.

    Vous qui craignez le Seigneur, bénissez-le :
    béni soit le Seigneur depuis Sion,
    lui qui habite dans Jérusalem.

    La liturgie de ce dimanche.

    L'introït.

    Le trait.

    L'évangile.

    Le dimanche de la rose.

  • Samedi de la troisième semaine de carême

    La première lecture de la messe de ce jour est, selon la Bible grecque, un livre entier : le livre de Suzanne. Il est le premier des trois derniers livres de la Bible : Suzanne, Daniel, Bel, qui sont dans le canon latin regroupés sous le nom de Daniel et placés à la fin des grands prophètes, avant les 12 « petits prophètes ».

    Dans les Bibles grecques, le texte de Suzanne, Daniel et Bel n’est pas celui de la Septante mais celui de Theodotion (qui avait retraduit toute l’Ancien Testament dans la deuxième moitié du IIe siècle). Et Theodotion avait (logiquement) placé Suzanne avant Daniel (puisque Daniel y est très jeune), alors que saint Jérôme le mit en appendice de Daniel.

    Il s’agit d’un des textes grecs de l’Ancien Testament (donc non pas traduit, mais transmis par Theodotion), et pour cela rejeté du canon de l’Ecriture par les juifs (puis par les protestants).

    Contrairement à d’autres textes que nous n’avons plus qu’en grec mais qui furent originellement en hébreu (ou en araméen), le texte de Suzanne paraît bien être originellement grec (bien que les noms soient hébreux, à commencer par Suzanne qui veut dire lis). On en a une preuve par le jeu de mots de Daniel confondant les vieillards lubriques. Pour disculper la chaste Suzanne, Daniel interroge séparément les deux hommes et leur demande sous quel arbre ils ont vu Suzanne commettre l’adultère. Ils se contredisent, et Daniel utilise le nom de chaque arbre comme prédiction de leur condamnation à mort. Le premier dit que c’était sous un lentisque (skhinos), Daniel lui dit qu’il sera fendu (skhisi). Le second dit que c’était sous un chêne vert (prinos), Daniel lui dit qu’il sera scié (prisai).

    Saint Jérôme souligne le fait dans la préface à sa traduction, et il dit qu’on pourrait trouver en latin des équivalents : c’était sous le chêne vert (ilice), tu périras illico (que saint Jérôme écrit avec un seul “l”), sous un lentisque (lentisco), tu seras réduit en lentille (lentem), ou ce n’est pas sans hâte (non lente) que tu périras.

    Mais dans sa traduction il ne cherche pas du tout à adapter les jeux de mots, par respect envers le texte, alors qu’on ne comprend plus ce que veut dire Daniel. C’est d’autant plus curieux qu’il garde les noms grecs des arbres : sub schino, sub prino (ce texte est la seule référence que donne le Gaffiot), comme s’il en avait besoin pour des jeux de mots… qui ne viennent pas.

    On trouve des représentations de l’histoire de Suzanne dès les catacombes, et sur des sarcophages (comme en Arles celui qui est dit « de la chaste Suzanne » bien que ce soit qu’une des quatre scènes bibliques représentées). Voici la miniature de la Bible mozarabe de 960 conservée à la basilique Saint-Isidore de Leon. On voit Suzanne en orante, comme dans les catacombes, avec à droite les très laids vieillards au visage déformé par la luxure et la haine, et à gauche Daniel siégeant en juge.

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  • Vendredi de la troisième semaine de carême

    La lecture de cette semaine est l’histoire de Joseph, qui termine la Genèse. Les répons de l’office des matines sont des agencements de versets de cette histoire pris dans la Vulgate, sauf deux d’entre eux : le cinquième, chanté aujourd’hui, qui reprend des expressions de psaumes, et le dernier, qui conclura donc aussi les matines de demain, et ne correspond à aucun texte de l’Ecriture.

    Voici le dernier. On a vraiment l’impression d’une citation de la Genèse, mais on ne l’y trouvera pas.

    . Lamentabátur Jacob de duóbus fíliis suis: Heu me, dolens sum de Joseph pérdito, et tristis nimis de Bénjamin ducto pro alimóniis:
    * Precor cæléstem Regem, ut me doléntem nímium fáciat eos cérnere.
    . Prósternens se Jacob veheménter cum lácrimis pronus in terram, et adórans ait.
    . Precor cæléstem Regem, ut me doléntem nímium fáciat eos cérnere.

    Jacob se lamentait à propos de ses deux fils : Malheureux que je suis, je souffre de la perte de Joseph, et je suis triste à l’excès à propos de Benjamin emmené pour avoir des vivres. Accablé de douleur, je prie le Roi céleste qu’il me les fasse revoir. Se prosternant instamment avec larmes jusqu’à terre et adorant il dit : Je prie le Roi céleste qu’il me les fasse revoir.

    Le cinquième répons reprend des expressions des paumes 80 et 104, mais en les transformant. Au début il dit même le contraire. Le psaume 80 dit : « Quand Joseph sortit d’Egypte, il entendit une langue qu’il ne connaissait pas. » Joseph est mis ici pour le peuple d’israël, qui sort d’Egypte et entend pour la première fois la voix de Dieu dans le désert. Le répons le transforme de façon à le faire correspondre à l’histoire de Joseph : « Quand Joseph entra en Egypte il entendit une langue qu’il ne connaissait pas. » Et alors que le psaume dit que « Joseph », c’est-à-dire Israël, se déchargea alors du fardeau des travaux, le répons dit que ses mains furent asservies aux travaux. La suite (et lingua ejus…) est inspirée de versets du psaume 104 qui viennent après le verset « Humiliaverunt… » qui est une citation exacte du psaume 104.

    . Joseph dum intráret in terram Ægýpti, linguam quam non nóverat, audívit: manus eius in labóribus serviérunt:
    * Et lingua ejus inter príncipes loquebátur sapiéntiam.
    . Humiliavérunt in compédibus pedes ejus: ferrum petránsiit ánimam eius, donec veníret verbum eius.
    . Et lingua eius inter príncipes loquebátur sapiéntiam.

    Joseph, tandis qu’il entrait en terre d’Égypte, entendit une langue qu’il ne connaissait pas ; ses mains furent asservies aux travaux : et sa langue exprimait la sagesse parmi les princes.
    Ils ont humilié en mettant ses pieds dans des ceps, le fer a traversé son âme, jusqu’à ce que vienne sa parole. Et sa langue exprimait la sagesse parmi les princes.

    Pour le scribe de l’antiphonaire de la cathédrale de Płock, en Pologne (XVe siècle), le I initial de Ioseph était un trop triste bâton, alors il en a fait un gracieux Y bleu…

    Screenshot_2019-03-28 Plock35_059v jpg Plainchant sources in Poland.png

    • Sur l'épître de la messe, voir ici.

    • Sur l'évangile voir saint Augustin 1, 2, et saint Jean Chrysostome.