Murillo, en reproduisant sur la toile la scène de Châteauneuf, nous a retracé le portrait traditionnel du thaumaturge portugais. Le Saint est à genoux, la Bible étendue devant lui, les yeux fixés sur l'Enfant Jésus, qui lui apparaît au sein d'une éblouissante clarté. Le visage, assez replet, a gardé quelque chose des charmes de la jeunesse. Le regard, ferme et limpide, reflète la pureté d'un cœur resté toujours jeune et le calme d'une âme qui n'a pas connu les orages de la vie, d'une âme qui n'a jamais aimé que Dieu ou par rapport à Dieu, d'une âme angélique en un mot.
Ame angélique ! C'est l'expression de saint Bonaventure. Le docteur séraphique ne peut contenir les élans de son admiration, et il ne craint pas de déclarer que le diadème de saint Antoine se compose de tous les diamants de la grâce, de toutes les perfections éparses dans les autres élus. « Il a, dit-il, la science des anges, la foi des patriarches, les vues supérieures des prophètes, le zèle des apôtres, la pureté des vierges, l'austérité des confesseurs, l'héroïsme des martyrs. » — « C'est un vase d'élection, un aigle pour la doctrine, un thaumaturge incomparable», s'écrie à son tour le savant ar chevêque de Florence, saint Antonin; « une violette d'humilité, un lys de chasteté, une rose de charité divine, répond la liturgie franciscaine. Ces éloges n'ont rien d'exagéré. Toutes les grandeurs surnaturelles resplendissent, en effet, au front du fils de Thérèse Tavéra; et quand on parcourt sa vie, on ne sait ce qu'il faut le plus admirer, de sa douceur exquise ou des brûlantes ardeurs de sa charité, de l'empire universel qu'il exerce sur les éléments ou de son esprit d'abnégation et d'humilité.
Cependant, comme tous les Saints, il a sa qualité dominante, sa vertu caractéristique et distinctive. Elle brille à toutes les pages de son histoire: c'est le zèle, un zèle supérieur à tous les motifs humains comme à tous les obstacles, le zèle des apôtres. A vingt-six ans, à l'âge où les autres ne font que se préparer aux luttes de l'avenir, il est prêt. Pendant le cours de dix années, il prêche sans repos, sans relâche, sur les côtes ensoleillées de la Provence, sur les cimes neigeuses des monts d'Auvergne, dans les plaines immenses de la Lombardie, en face d'Ezzélino et des Cathares aussi bien que devant les auditoires chrétiens. Il use ses pieds nus sur les chemins hérissés et brûlants, et va, d'un pas que rien n'arrête, où l'envoie l'obéissance, avec un front d'airain contre l'injustice, avec un cœur plein de tendresse pour le pécheur repentant. Quel est donc le tourment qui l'agite? Quel est donc le feu divin qui le dévore? Ce feu divin, c'est le zèle des âmes. Il entend une voix qui sort des plaies du Rédempteur, une voix mystérieuse qui retentit nuit et jour à ses oreilles et lui crie: «Da mihi animas: Donne-moi des âmes! » Des âmes! Ah! Il sait qu'elles sont la vraie richesse de la terre, plus précieuses que les diamants, plus brillantes que les étoiles. Il sait que le Fils de l'homme est monté sur le Calvaire pour les racheter, qu'il en est jaloux, et qu'elles sont la seule obole que nous puissions jeter dans le sein de Dieu. «Sitit animas: Il a faim et soif des âmes! » Et de là cette infatigable ardeur que Dieu récompense, tantôt par des torrents de félicité intime, tantôt par d'éclatantes conversions, dont nous avons rapporté quelques exemples.
Ce n'est point dans les livres des philosophes qu'il a puisé ses ardeurs séraphiques, pas plus que sa profonde connaissance du cœur humain. C'est au pied de la croix, dans la contemplation du mystère des anéantissements divins, à l'autel, en buvant à la coupe eucharistique. C'est aussi dans la dévotion au Cœur de Jésus, à ce Cœur sur lequel, comme saint Jean, il a reposé et qu'il chante dans une sorte d'hymne retentissante comme l'Hosanna des Chérubins. Notre autel d'or, c'est le Cœur du Christ. Là est l'encens qui monte vers le ciel; là sont les parfums suaves qui embaument la terre. — La méditation des souffrances extérieures de Jésus-Christ, ajoute-t-il, est sainte et méritoire sans doute; mais si nous voulons trouver de l'or pur, il nous faut aller à l'autel intérieur, au Cœur même de Jésus, et étudier les richesses de son amour. Nous devons conclure aussi que les pratiques extérieures les plus louables n'ont de valeur que par l'esprit qui les inspire et la piété qui les anime. »
Saint Antoine de Padoue par Léopold de Chérancé, 1895, chapitre 20.