On parle beaucoup d’une « interview de Benoît XVI dans l’Avvenire », dans laquelle le pape émérite « soutient François » et se déclare « entièrement d’accord avec lui ».
Cette façon de présenter les choses est un bel exemple de fabrication médiatique. Que les franciscolâtres répètent cela en boucle n’en fait pas une vérité.
D’abord il ne s’agit pas d’une interview au sens où on l’entend habituellement, mais d’un entretien, non pas avec un journaliste mais avec un théologien, non pas pour un journal mais pour un colloque théologique qui a eu lieu en octobre 2015. Un entretien écrit, qui paraît aujourd’hui dans les actes du colloque, publiés en Italie. Enfin l’auteur est très clairement le théologien Joseph Ratzinger, et non le pape Benoît XVI – qui ne s’exprimerait assurément pas ainsi s’il s’adressait à des fidèles.
Le texte (traduction intégrale chez Benoît et moi, évidemment) est d’abord une nouvelle réflexion sur la foi, le baptême et l’Eglise, un thème que n’a cessé de méditer le théologien Ratzinger. Cela se poursuit par une réflexion sur la possibilité de la foi dans un monde qui a perdu le sens de la justification (c’est le cœur du thème du colloque). Sur ce sujet, Ratzinger constate que l’idée de la miséricorde de Dieu peut être d’un grand secours. L’insistance sur la miséricorde est un signe des temps, dit-il, depuis sainte Faustine, « dont les visions, à bien des égards, reflètent profondément l'image de Dieu propre à l'homme d'aujourd'hui et son désir de la bonté divine » - sainte Faustine qui eut une grande influence sur Jean-Paul II.
Vient alors la phrase partout répétée comme si elle était l’essentiel alors qu’elle n’est qu’une incidente (même l’Osservatore romano le fait remarquer) :
Seulement là où est la miséricorde finit la cruauté, finissent le mal et la violence. Le Pape François est totalement en accord avec cette ligne. Sa pratique pastorale s'exprime justement dans le fait qu'il nous parle continuellement de la miséricorde de Dieu.
Ce que l’on voit, c’est que Joseph Ratzinger a d’abord défini le sens de la miséricorde pour l’évangélisation aujourd’hui, et qu’il continue ensuite sa réflexion sur ce thème, une réflexion tout entière orientée sur la nécessité de l’évangélisation et de la foi qu’il faut faire naître – à chacun de voir si cela correspond vraiment toujours à ce que dit François… Il me semble qu’il s’agit plutôt d’un recadrage.
Il est difficile de résumer ensuite ce que dit Joseph Ratzinger. Au-delà de sa réfutation des théologies hétérodoxes de notre époque sur la question du salut, je retiens son recours au thème iconographique, que je ne connaissais pas, de ce qu’on appelle en allemand « die Not Gottes », littéralement « la détresse de Dieu » - en fait sa com-Passion, parfois appelé en français « la Pitié de Notre Seigneur » ou « le Trône de grâce ». Mais la Pitié de Notre Seigneur montre aussi la Sainte Vierge, et le Trône de grâce est une Pietà où la Sainte Vierge est remplacée par Dieu le Père, tandis que dans « die Not Gottes » Dieu le Père est debout et affecté d’une très visible compassion.
Enfin, la dernière phrase, sur le sacrement de pénitence, est vraiment très belle : « Il signifie que nous nous laissons toujours façonner et transformer par le Christ et que nous passons constamment du côté de ceux qui détruisent à celui qui sauve. »
Dans tout cet entretien on sent la présence de saint Bonaventure, bien qu’il ne soit pas cité. Ce qui en ressort aussi est que le pape émérite n’a rien perdu de sa carrure intellectuelle… qui manque cruellement à la tête de l’Eglise.
Fresque de l’église paroissiale de Tainach (en slovène Tinje), en Carinthie, montrant côte à côte la Nativité et « die Not Gottes » (et un saint évêque).