Il faut se rappeler que cette communication avec Dieu étant une chose pleine de douceur et de délices, comme le dit le Sage, il en résulte que plusieurs personnes attirées par la force de cette merveilleuse suavité, qui surpasse tout ce que l'on en peut dire, s'approchent de Dieu et s'adonnent à tous les exercices spirituels, à la lecture des bons livres, à l'oraison, à l'usage des sacrements, à cause du goût extraordinaire qu'elles y trouvent ; de telle sorte que la principale fin qui les porte à ces exercices est le désir de cette merveilleuse suavité. Or, c'est là une très grande erreur, dans laquelle malheureusement l'on voit tomber un grand nombre de personnes. La fin principale de toutes nos œuvres devant être d'aimer Dieu et de chercher Dieu, ces âmes montrent par leur conduite qu'elles s'aiment et se cherchent elles-mêmes plutôt que Dieu, c'est-à-dire qu'elles cherchent leur propre goût et leur contentement, ce qui est la fin que les philosophes se proposaient dans leur contemplation. Cette conduite, comme dit un docteur, est une espèce d'avarice, d'incontinence, et de gourmandise spirituelle, qui n'est pas moins dangereuse que celle des sens.
Ce qui est encore plus grave, c'est que de cette erreur il en suit une autre qui n'est pas moindre, et qui fait que l'homme juge de lui-même et des autres par ces goûts et par ces sentiments, croyant que chacun a plus ou moins de perfection, selon qu'il a plus ou moins de goût de Dieu, ce qui est se tromper de la manière la plus grossière. Or, contre ces deux erreurs, un remède efficace sera cet avis et cette règle générale : Que chacun comprenne bien que la fin de tous ces exercices, et de toute la vie spirituelle, est l'obéissance aux commandements de Dieu, et l'accomplissement de la divine volonté ; et que pour cela, il est nécessaire que la volonté propre, qui lui est si contraire, meure, afin que de cette manière la volonté divine vive et règne en nous.
(Traité de la dévotion, V)