Voici en résumé ce que je retiens du contenu du motu proprio sur la messe de saint Pie V, et de la lettre qui l’accompagne, avec quelques brefs commentaires.
Le missel de Paul VI est l’expression ordinaire de la lex orandi de l’Eglise catholique de rite latin. Le missel de saint Pie V (dans sa version promulguée par Jean XXIII) doit être considéré comme l’expression extraordinaire de la même lex orandi « et être honoré en raison de son usage vénérable et antique ». « Il est donc permis de célébrer le Sacrifice de la Messe » suivant ce missel « jamais abrogé », en tant que « forme extraordinaire de la Liturgie de l’Église ».
Aux messes célébrées sans peuple, tout prêtre peut utiliser le missel qu’il veut. [Il est intéressant que le pape commence par ce cas de figure. Car cela bat en brèche le discours ultra-dominant chez les liturgistes qu’une « vraie » messe ne peut être que « communautaire ». C’est l’ordo missae de Paul VI qui a inventé cette (absurde) distinction entre « messe avec peuple » et « messe sans peuple », faisant de cette dernière une sorte de messe de deuxième classe, pas vraiment normale, tant le texte a insisté auparavant sur l’aspect communautaire de la messe. Et ceci conformément à une « norme » édictée par Vatican II (Sacrosancto Concilium, 27), qui prend ici du plomb dans l’aile.]
Les communautés religieuses peuvent célébrer selon le missel de saint Pie V, avec l’accord de leurs supérieurs majeurs si cela doit être habituel.
« Dans les paroisses où il existe un groupe stable de fidèles attachés à la tradition liturgique antérieure, le curé accueillera volontiers leur demande de célébrer la Messe selon le rite du Missel romain édité en 1962. »
Si le curé refuse, les fidèles en informeront l’évêque diocésain. Celui-ci « est instamment prié d’exaucer leur désir ». « S’il ne peut pas pourvoir à cette forme de célébration, il en sera référé à la Commission pontificale Ecclesia Dei. »
Le curé « peut concéder l’utilisation du rituel ancien pour l’administration des sacrements du Baptême, du Mariage, de la Pénitence et de l’Onction des Malades, s’il juge que le bien des âmes le réclame ».
Les évêques peuvent célébrer le sacrement de la Confirmation en utilisant le Pontifical romain ancien.
« Tout clerc dans les ordres sacrés a le droit d’utiliser aussi le Bréviaire romain promulgué par le bienheureux Pape Jean XXIII en 1962. »
[Il est important que le pape précise qu’il ne s’agit pas seulement de la messe, mais de tous les rituels sacramentaux — sans aucun doute aussi de l’ordination, curieusement absente du texte —, et aussi du bréviaire, ce qui constitue une dérogation (sans le dire) à ce que le Concile avait « décrété » (Sacrosanctum Concilium 87 ss).]
L’évêque peut ériger une paroisse personnelle pour la célébration de la messe de saint Pie V.
Le pape « ordonne que cela ait une valeur pleine et stable, et soit observé à compter du 14 septembre de cette année ».
Dans sa lettre d’accompagnement, destinée aux évêques, Benoît XVI reconnaît ouvertement que son texte, avant même qu’il soit connu, a suscité des réactions allant « de l’acceptation joyeuse à une dure opposition », et il voudrait dissiper deux craintes, dont il affirme qu’elles ne sont pas fondées : celle d’amenuiser ainsi l’autorité du Concile Vatican II, et que la faculté d’utiliser l’ancien missel « puisse porter à des désordres, voire à des fractures dans les communautés paroissiales ».
Pour ce qui est de la première, il répète que le missel de Paul VI est la forme normale de la liturgie eucharistique, et que le missel antérieur est la forme extraordinaire du même rite latin. Il attire l’attention « sur le fait que ce missel n’a jamais été juridiquement abrogé, et que par conséquent, en principe, il est toujours resté autorisé ». Cela ne nous apprend rien, mais il est capital que ce soit dit par le pape. La messe de saint Pie V n’avait pas été interdite, mais Paul VI avait rendu obligatoire son nouveau missel. Ce qui en pratique revenait au même, et permettait à nombre d’évêques et de prêtres de prétendre que l’ancienne messe était interdite.
Le pape dit ensuite que si l’on n’a pas publié de normes concernant la possibilité d’utiliser l’ancien missel c’est qu’on a supposé que cela ne concernerait que « quelques cas particuliers que l’on résoudrait facilement, au cas par cas » : les vieux nostalgiques qui s’éteindraient d’eux-mêmes. Mais il est apparu qu’ils étaient plus nombreux qu’on pensait, et « cela s’est produit avant tout parce qu’en de nombreux endroits on ne célébrait pas fidèlement selon les prescriptions du nouveau Missel ; au contraire, celui-ci finissait par être interprété comme une autorisation, voire même une obligation de créativité ; cette créativité a souvent porté à des déformations de la Liturgie à la limite du supportable. Je parle d’expérience, parce que j’ai vécu moi aussi cette période, avec toutes ses attentes et ses confusions. Et j’ai constaté combien les déformations arbitraires de la Liturgie ont profondément blessé des personnes qui étaient totalement enracinées dans la foi de l’Eglise. »
C’est pourquoi Jean-Paul II avait promulgué son motu proprio Ecclesia Dei. Or voilà que la demande de l’ancienne messe a continué, plus forte encore, malgré la disparition progressive des vieux nostalgiques : « il est apparu clairement que des personnes jeunes découvraient également cette forme liturgique, se sentaient attirées par elle et y trouvaient une forme de rencontre avec le mystère de la Très Sainte Eucharistie qui leur convenait particulièrement. C’est ainsi qu’est né le besoin d’un règlement juridique plus clair, que l’on ne pouvait pas prévoir à l’époque du Motu Proprio de 1988 ; ces Normes entendent également délivrer les Evêques de la nécessité de réévaluer sans cesse la façon de répondre aux diverses situations. » On retiendra ici la reconnaissance claire et nette par le pape que de nombreux jeunes souhaitent la messe de saint Pie V. Quant au fait de « délivrer les évêques », on ne peut s’empêcher d’y voir un sous-entendu ironique.
En ce qui concerne la crainte de désordres et de fractures, le pape répond que « l’usage de l’ancien Missel présuppose un minimum de formation liturgique et un accès à la langue latine » et que « ni l’un ni l’autre ne sont tellement fréquents ». « De ces éléments préalables concrets découle clairement le fait que le nouveau Missel restera certainement la Forme ordinaire du Rite Romain, non seulement en raison des normes juridiques, mais aussi à cause de la situation réelle dans lesquelles se trouvent les communautés de fidèles. »
Ces considérations sont étonnantes. On ne peut en rester là. Le pape ne peut que souhaiter que les fidèles aient une formation liturgique et un accès à la langue latine (pour le coup, cela se trouve même dans le texte du Concile). Si les fidèles sont de plus en plus nombreux à approfondir leur sens de la liturgie et à connaître le latin, et si ce sont donc ceux-là qui réclament la messe de saint Pie V, et s’ils deviennent majoritaires, comment pourra-t-on continuer de dire que cette messe est l’expression extraordinaire du rite latin, et que la messe suivie par une minorité en est l’expression normale ?
Le pape en vient ensuite à la « raison positive » de son motu proprio : « parvenir à une réconciliation interne au sein de l’Eglise ». Et il reconnaît ici que de nombreux pasteurs n’ont pas agi comme ils auraient dû le faire : « En regardant le passé, les divisions qui ont lacéré le corps du Christ au cours des siècles, on a continuellement l’impression qu’aux moments critiques où la division commençait à naître, les responsables de l’Eglise n’ont pas fait suffisamment pour conserver ou conquérir la réconciliation et l’unité ; on a l’impression que les omissions dans l’Eglise ont eu leur part de culpabilité dans le fait que ces divisions aient réussi à se consolider. Ce regard vers le passé nous impose aujourd’hui une obligation : faire tous les efforts afin que tous ceux qui désirent réellement l’unité aient la possibilité de rester dans cette unité ou de la retrouver à nouveau. »
En conclusion, le pape tient à souligner que ces nouvelles normes « ne diminuent aucunement » l’autorité des évêques, car chaque évêque est le « modérateur » de la liturgie dans son propre diocèse, et son rôle « demeurera de toute façon celui de veiller à ce que tout se passe dans la paix et la sérénité ». « Si quelque problème devait surgir et que le curé ne puisse pas le résoudre, l’Ordinaire local pourra toujours intervenir, en pleine harmonie cependant avec ce qu’établissent les nouvelles normes du Motu Proprio. »
On ne peut que remercier Benoît XVI, et de la plus vive façon, pour ce motu proprio et pour les explications qui l’accompagnent. On ne peut que rendre grâce à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, et à Marie Mère de l'Eglise, de les lui avoir inspirés.