Le culte de sainte Cécile a sans doute donné lieu au plus étonnant quiproquo de l’histoire de l’Eglise, et de la musique.
Elle est la sainte patronne des musiciens à cause de la première antienne des laudes et des vêpres :
Cantantibus organis Caecilia Domino decantabat, dicens : Fiat cor meum immaculatum, ut non confundar.
Tandis que résonnaient les instruments de musique, Cécile répétait sans cesse au Seigneur : Que mon cœur soit sans tache, afin que je ne sois pas confondue.
Le verbe « decantare » veut dire d’abord chanter sans discontinuer, mais il perd le plus souvent son origine musicale et ne veut plus dire que « répéter tout le temps la même chose », ce qui est le cas ici.
Donc sainte Cécile répète, plutôt qu’elle ne chante. Elle répète « dans son cœur », comme le précise le premier répons des matines (qui reproduit le texte exact de la Passion de sainte Cécile). Donc en silence. Quoique dans ce répons le mot le plus chanté soit decantabat...
« Cantantibus organis » : pendant que jouaient les instruments de musique. A partir du moyen âge on a même pris « organis » pour des orgues (de fait le mot vient de là), et l’on a commencé à représenter sainte Cécile jouant de l’orgue, et on l’a ensuite représentée sur des buffets d’orgues.
Or, non seulement elle ne jouait d’aucun instrument de musique, mais elle n’écoutait pas cette musique dont parle l’antienne. Cette musique était celle du cortège de ses noces. Et elle ne voulait pas se marier. Pendant que jouait la musique, elle s’enfermait à l’intérieur d’elle-même pour répéter : Seigneur, faites que je reste pure de cœur et de corps : « Fiat, Domine, cor meum et corpus meum immaculatum », comme le chante le répons.
Bref, non seulement sainte Cécile n’est pas musicienne, mais elle ne veut pas entendre la musique...
Voici le répons, dans le codex 611(89) d’Einsiedeln, début du XIVe siècle :

℟. Cantantibus organis Caecilia virgo in corde suo soli Domino decantabat, dicens: * Fiat, Domine, cor meum et corpus meum immaculatum, ut non confundar.
℣. Biduanis et triduanis ieiuniis orans, commendabat Domino quod timebat.
℟. Fiat, Domine, cor meum et corpus meum immaculatum, ut non confundar.
Au son des instruments de musique, la vierge Cécile répétait en son cœur au seul Seigneur, disant : Que mon cœur et mon corps soient purs, Seigneur, pour que je ne sois pas confondue. Elle recommandait au Seigneur, par des prières et des jeûnes de deux et trois jours, ce qu’elle craignait (de perdre).