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Ecriture sainte - Page 10

  • Premier dimanche de l’Avent

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    Psautier de Saint-Alban, vers 1125

    Ad te… Vers toi. Les deux premiers mots de la première messe de l’année liturgique indiquent l’orientation, l’attitude, le chemin, le but, le regard. Pour toute l’année qui vient. Une trentaine de fois dans les psaumes l’orant dit : « Vers toi ». Le plus souvent « vers toi j’ai crié », ou « ils ont crié », et aussi « j’ai prié », ou « ils ont prié », et enfin comme ici « j’ai élevé mon âme ».

    Ad te, Domine, levavi animam meam… Ce sont les premiers versets du psaume 24, qui seront repris à l’offertoire.

    Le psaume 24 est un psaume de l’Avent déjà par son numéro. Le 2 vient sur le 4. Le Fils de Dieu en deux natures vient dans le monde (les 4 points cardinaux, les 4 éléments, les 4 saisons, les 4 membres de l’homme, la Croix…).

    Le psaume 24 est un psaume alphabétique. Chaque verset commence par une lettre de l’alphabet hébraïque. Il commence donc par la première. Mais il omet mystérieusement la dernière. Car le but n’est pas de terminer l’année liturgique comme on termine l’alphabet, mais d’entrer dans la vie. C’est pourquoi le dernier verset commence par « Délivre-moi », qui en hébreu commence par la lettre P, comme le verset 16 où la lettre P était la première lettre de « Regarde-moi ».

    Le psaume 24 commence par 7 versets de prière. Il se termine de même par 7 versets de prière. Entre les deux prières il y a ce que l’on peut appeler une méditation, de 8 versets, ou plus précisément de 7 versets autour du verset 11 qui est le verset central : « A cause de ton nom Seigneur tu pardonneras mon péché car il est grand. » (Donc une structure analogue à celle du psaume 28).

    Ce psaume est le premier du psautier qui parle du péché et demande à Dieu de le pardonner. Et c’est ce qui importe aussi de faire en ce début d’année liturgique.

    Or ce psaume de pénitence est d’abord un psaume de confiance : dès le deuxième verset il dit : « Mon Dieu en toi j’ai confiance, je ne rougirai pas. » Il chante la bonté, la douceur, la miséricorde de Dieu.

    Et ce psaume du regard (« mes yeux sont toujours vers le Seigneur ») est le psaume de l’attente, avec trois fois ce verbe "sustinere" qui indique une attente… soutenue, intense, une ferme espérance que le Seigneur viendra (mais dans cet introit et l'offertoire, qui viennent du vieux psautier romain, on a "exspectare").

    Et bien sûr comme tout psaume celui-ci est aussi un psaume que dit le Seigneur qui vient. Il vient dans l’humilité d’une crèche, dans l’extrême indigence de la condition humaine abîmée par le péché, et il vient pour mourir sur la Croix, et le Fils unique dit à son Père : « Regarde-moi et aie pitié de moi, car je suis unique et pauvre. »

  • Le troisième jour

    Osty traduit ainsi le début du chapitre 6 du prophète Osée :

    « Venez et revenons vers Yahvé. Il a déchiré, il nous guérira, il a frappé, il pansera nos plaies ; il nous fera revivre après deux jours, le troisième jour il nous relèvera, et nous vivrons devant Lui. »

    En note, il nous explique que le prophète « imagine une liturgie » de pénitence où « le peuple s’exhorte à revenir » à Dieu. Quant aux deux jours et au troisième jour, cela « désigne un court laps de temps ». Et il ajoute : « L’expression est peut-être empruntée au culte d’Hadad, dieu qui ressuscitait trois jours après sa mort (?). »

    Sic. Je pense que c’est là le sommet de l’impiété du chanoine Osty. Pour lui, non seulement il n’y a dans ce texte aucune allusion à la résurrection du Christ (et à la nôtre), mais il fait semblant d’y voir l’éventuelle résurrection d’un dieu païen. Et cela dans le texte d’un de ces prophètes qui hurlent en permanence contre les Hébreux qui se prostituent avec les dieux païens… C’est ajouter l’absurde à l’impiété.

    Néanmoins Osty parle de « résurrection », pour son dieu païen (qui serait Baal selon la TOB… chacun son dieu…). Pourtant il commente « le troisième jour il nous relèvera ».

    La vraie traduction est : « il nous ressuscitera ». C’est ce qu’avaient déjà compris les Septante, qui ne peuvent pas être accusés de christianiser le texte, puisqu’ils œuvraient au moins deux siècles avant le Christ. Or ils emploient le verbe qui servira spécifiquement à caractériser la résurrection du Christ… et la nôtre (la Septante dit : « nous ressusciterons »).

    Dans sa première épître aux Corinthiens, saint Paul résumant l’évangile qu’il prêche dit de Jésus qu’il est « ressuscité le troisième jour selon les Ecritures ». Cette formule passera dans le Credo, et tous les chrétiens disent et chantent qu’il est « ressuscité le troisième jour selon les Ecritures ».

    Mais où est-il écrit qu’il ressusciterait le troisième jour ? Dans ce texte d’Osée. C’est le seul texte biblique qui parle explicitement et littéralement d’une résurrection le troisième jour.

    Et c’est le Christ lui-même qui dit à ses apôtres, à la toute fin de l’Evangile de saint Luc : « Et il leur dit : Ainsi il est écrit que le Christ souffrirait et qu’il ressusciterait le troisième jour. »

    La référence à Osée vient de ce que le propos de ce prophète récapitule et surélève tous les passages de la Bible où il est question d’un salut le troisième jour. Il s’agit chaque fois d’un salut temporel et éphémère, mais la huitième fois, celle qui se trouve dans le texte d’Osée, le troisième jour est associé non à un salut temporel provisoire, aussi symbolique soit-il, mais explicitement à la résurrection et à la vie près de Dieu.

    (C’est pourquoi ce texte d’Osée est l’un des trois « cantiques » du troisième nocturne des matines des dimanches du temps pascal dans le bréviaire monastique. Un autre de ces cantiques est le passage de Sophonie où Dieu dit: « Attendez-moi, au jour de ma résurrection » en latin "resurrectio", en grec "anastasis", et Osty, comme les autres, traduit « le jour où je me lèverai ».)

  • 25e dimanche après la Pentecôte

    Les deux brèves paraboles de ce dimanche sont des aperçus des paradoxes du christianisme. Pour avoir la vie éternelle il faut mourir, le royaume commence par l’humiliation, la gloire par l’anéantissement. L’infini et rayonnant « royaume des cieux », c’est une toute petite chose enfouie : la plus petite des graines qu’on met dans la terre, le levain qu’on cache dans la pâte. Or c’est en mourant ainsi à la vue de tous que la graine devient un arbre et que la pâte amorphe devient un gros pain savoureux.

    « Quiconque s’élèvera sera abaissé, quiconque s’abaissera sera élevé »… Cette phrase de Jésus se retrouve d’une certaine façon chez Ezéchiel (17) quand il évoque un petit rameau qui devient un grand arbre où tous les oiseaux viennent faire leur nid (comme le sénevé de l’évangile) afin que chacun sache que « Je suis le Seigneur, c’est moi qui abaisse l’arbre élevé et qui élève l’arbre abaissé, et qui dessèche l’arbre plein de sève, et qui fait fleurir l’arbre sec »… Ce que l’on retrouvera dans l’Evangile, quand Jésus maudira un figuier parce qu’il n’a pas de figues alors que ce n’est pas la saison des figues, et que le figuier se dessèche aussitôt. Cette malédiction apparemment absurde est typiquement un geste prophétique, comme celui qu’il accomplit entre le moment de la malédiction et celui de la découverte de l’arbre desséché, à savoir l’éviction des marchands du temple. Jésus explique à ses apôtres qu’il s’agit de la foi. Si vous avez la foi vous pouvez dessécher un arbre ou déplacer une montagne.

    C’est aussi par la foi que le grain de sénevé devient un arbre, que l’Eglise s’épanouit à partir du tombeau du Christ mort et pourtant vivant.

    Mais quand il reviendra, trouvera-t-il un arbre verdoyant plein d’oiseaux, ou un arbre sec abandonné ?

  • A latere dextro

    Je termine ce mois-ci la lecture de la Bible Osty, avec les prophètes, conformément au bréviaire. Il y a un certain temps que je n’en avais pas parlé, mais je ne peux pas passer mon temps à relever toutes les incongruités, et les invraisemblables inventions, du chanoine. Mais là je ne peux pas laisser passer cet attentat antichrétien. Au chapitre 47 d’Ezéchiel, cette sublime vision du Temple d’où jaillit la source qui va féconder le nouvelle terre promise, Osty termine ainsi le verset 2 : « et voici que de l’eau ruisselait du coté méridional ».

    En latin c’est : « a latere dextro ». C’est ce que l’on chante avant chaque messe au temps pascal, à l’aspersion d’eau bénite : « Vidi aquam egredientem de templo a latere dextro, alléluia », j’ai vu l’eau qui sortait du temple, du côté droit, et tous ceux à qui arrivait cette eau étaient sauvés et disaient alléluia, alléluia. Car il s’agit de l’eau qui sort du côté droit du Christ en Croix, l’eau du baptême.

    Si l’on parle de l’eau qui « ruisselle du côté méridional », on supprime toute référence possible à l’évangile de saint Jean, et l’on insulte (une fois de plus) la liturgie et toute la tradition latine.

    Et pas seulement. Car il se trouve que le grec dit lui aussi : « du côté droit », bien évidemment, puisqu’il s’agit clairement d’une prophétie de l’évangile écrit en grec. Mais le plus fort est que le texte massorétique, le texte hébreu sacro-saint des exégètes modernes, dit lui aussi : « du côté droit ». Sans aucune ambiguïté.

    La seule autre traduction qui parle du « côté méridional » est la Bible Pirot-Clamer. Elle dit exactement : « et voici, les eaux ruisselaient du mur méridional ». Là, non seulement on remplace « droit » par « méridional », mais on remplace même « côté » par « mur »… Alors qu’il s’agit de la porte…

    Pourquoi « méridional » ? On vous explique : le prophète, dit le texte, est placé devant le Temple, à l’ouest : le Temple, devant lui, est à l’est. DONC ce que vous voyez à droite est au sud…

    Sic.

    Voilà comment d’une façon qu’on croit magnifiquement subtile et intelligente, on détruit une réellement magnifique et subtile prophétie.

    J’ajoute que le verbe « ruisseler », qu’on trouve tant chez Pirot-Clamer que chez Osty (et dans aucune autre traduction à ma connaissance) est une invention qui ne correspond pas au sens du texte, puisque cette eau devient aussitôt un grand fleuve qui irrigue tout le désert. Nul ne sait, aujourd’hui, ce que veut dire le verbe hébreu du texte massorétique, qui ne figure nulle part ailleurs. « Ruisseler » permet d’éloigner encore davantage toute référence au Christ en Croix. L’antienne pascale dit « egredientem », qui sortait. Le grec dit katéphéréto, qui veut dire proprement « se précipiter ». Le latin dit « redundantes », c’est-à-dire qui jaillissent, de façon « redondante ». On notera la traduction de Samuel Cahen, le premier à avoir traduit le texte massorétique en français : « et voici que les eaux venaient en abondance du côté droit ». En abondance, c’est bien dit, pour désigner l’eau qui sort du côté du Christ pour conférer le baptême, ce que Samuel Cahen hélas ne reconnut pas.

  • 24e dimanche après la Pentecôte

    L’évangile, comme l’épître et les oraisons, est celui du 5e dimanche après l’Epiphanie, qui n’a pas été célébré cette année. C’est l’évangile du bon grain et de l’ivraie (Matthieu 13, 24-30), sans son explication donnée par Jésus lui-même, ensuite, à ses disciples. Il peut paraître bizarre, d’ailleurs, que les disciples demandent cette explication, puisque d’une part la parabole n’est pas difficile à comprendre, et que, surtout, Jésus vient déjà de leur donner l’explication de la parabole de la semence semée sur le chemin, sur les pierres, dans les épines, et dans la bonne terre.

    Mais son explication souligne le côté eschatologique de la parabole, qui devient une prophétie sur la fin du monde : « Le Fils de l'homme enverra ses anges, qui arracheront de son royaume tous les scandales et ceux qui commettent l'iniquité : et ils les jetteront dans la fournaise ardente, où il y aura des pleurs et des grincements de dents. Alors les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour entendre entende. »

    C’est ce qui donne tout son poids à la parabole en cette saison. Car après l’Epiphanie, on y voit surtout le développement de l’Eglise, au sein de laquelle vont cohabiter des bons et des méchants ; mais en cette fin d’année liturgique c’est l’épilogue qui nous presse, et qui fait de la parabole un enseignement qui ne concerne plus seulement l’Eglise, mais chacun de nous individuellement. Ce champ est aussi notre âme, dans laquelle poussent le bon grain des vertus et l’ivraie du diable. Après avoir semé il ne faut pas dormir, mais veiller toujours, car l’esprit est prompt mais la chair est faible, comme dira Jésus à ses apôtres à Gethsémani. La différence est que si dans l’Eglise on ne doit pas tenter d’éradiquer l’ivraie avec une violence qui nuirait au froment, dans notre âme il en va tout autrement : c’est même un labeur constant, et ce sont les violents qui s’emparent du royaume des cieux.

  • 20e dimanche après la Pentecôte

    La péricope évangélique de ce dimanche est amputée de la première partie du premier verset, pour une raison évidente qui est de focaliser l’attention sur le miracle sans s’encombrer de précisions qui pourraient paraître anecdotiques.

    Il se trouve cependant que ces précisions ne sont pas anecdotiques (d’ailleurs il n’y a rien d’anecdotique chez saint Jean) :

    « Il alla de nouveau à Cana de Galilée, où il avait changé l’eau en vin. »

    De nouveau : il va faire quelque chose d’analogue à ce qu’il avait déjà fait au même endroit.

    Et de fait le second miracle de Cana est parallèle au premier. Ils s’expliquent l’un l’autre.

    Les deux commencent par un dur reproche de Jésus.  Aux noces, c’était envers sa mère. Ici c’est envers les juifs de son temps en général, représentés par l’officier royal qui vient solliciter la guérison de son fils : « Si vous ne voyez pas des miracles et des prodiges, vous ne croyez pas. » (Les verbes sont au pluriel.)

    Dans les deux cas il se voit donc en quelque sorte « contraint » de faire un miracle.

    La fin est presque identique. Aux noces : « ses disciples crurent en lui ». Ici : l’officier royal « crut, lui et toute sa maison ».

    On remarque ici le mot « croire », employé absolument. C’est le degré ultime de la foi. Le premier degré est la démarche de l’officier royal, qui va voir Jésus pour qu’il vienne chez lui. Le deuxième degré est sa réaction quand Jésus lui dit simplement que son fils vit : « L’homme crut en la parole que Jésus lui avait dite. » La parole, dans le texte grec, c’est « logos ». La parole, et aussi le Verbe, et aussi la raison : l’homme s’appuie sur le Verbe et sur sa raison pour croire. Le degré ultime est la fin de l’histoire, après la guérison : sa foi est devenue absolue. Il crut.

    Aux noces, l’eau est changée en vin. Ici, l’enfant presque mort est rendu à la vie. « Va, ton enfant vit », se contente de dire Jésus à l’officier royal. Donc il est guéri. Mais toutes les très nombreuses autres fois que Jean utilise le mot « vie » ou « vivre », c’est pour parler de la vie éternelle. Donc ici aussi, bien que ce soit le seul endroit où ce n’est pas explicite. La foi donne la vie éternelle, de même qu’aux noces Jésus a fait de l’eau nécessaire à la vie biologique le vin qui annonce l’eucharistie, le vin de la vie éternelle, le Sang répandu pour la vie du monde.

    C’est à la septième heure que l’enfant a été guéri. C’est au septième âge du monde, quand les temps furent accomplis, que Jésus vint guérir les hommes. Pour les faire entrer dans le huitième âge, celui de la résurrection, celui de la vie éternelle, celui du vin nouveau des noces du Royaume.

  • 19e dimanche après la Pentecôte

    « Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit des noces pour son fils. »

    D’emblée il y a ici une différence essentielle avec la parabole plus ou moins parallèle de saint Luc : « Un homme fit un grand dîner. »

    Le roi qui fait des noces pour son fils, c’est Dieu qui organise le mariage du Fils. Ce mariage, c’est d’abord celui de la nature divine avec la nature humaine, par l’incarnation. C’est aussi le mariage du Christ et de son Eglise, image et type du mariage humain : « C’est pourquoi l’homme quittera son père et sa mère, et s’attachera à sa femme, et les deux seront une seule chair. Ce mystère est grand, je dis cela par rapport au Christ et à l’Eglise. » Et je cite ce propos de saint Paul aux Ephésiens (5, 31-32) par rapport au synode qui s’ouvre aujourd’hui…

    Mais, dans la parabole, il n’y a pas la moindre allusion à la mariée… Qui est-elle ? Avec qui se marie le Fils du Roi ?

    Avec moi. Avec vous. Tous ceux à qui s’adresse l’Evangile. Tous ceux du moins qui ont le vêtement de noces.

    C’est le mariage de l’Epoux et de l’Epouse du Cantique des cantiques. L’union du Verbe de Dieu avec l’âme qui le reçoit. « Car je vous ai fiancés à l’unique Epoux, comme une vierge pure à présenter au Christ » (II Corinthiens, 11, 2). Mais pour que cette union déifiante ait lieu, l’âme doit porter le vêtement de noces. La robe blanche de son baptême. « Vous tous qui avez été baptisés dans le Christ, vous avez revêtu le Christ. » (Galates 3, 27) Cette phrase – avec un alléluia final - est le chant très solennel qui, aux grandes fêtes, remplace le Trisagion, avant la proclamation de l’évangile, dans la divine liturgie de saint Jean Chrysostome. Elle est donc chantée trois fois, suivie d’une doxologie, et encore une fois.

    « Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel, ayez pitié de nous », est remplacé par l’affirmation que les baptisés ont revêtu le Christ et donc participent aux noces préparées par le Père, dans la surabondance de lumière du Saint-Esprit : le vin des noces de Cana.

  • 18e dimanche après la Pentecôte

    L’évangile est celui de la guérison du paralytique, où Jésus affirme qu’il a le pouvoir de remettre les péchés. L’Eglise a choisi le texte de saint Matthieu, dépouillé de la plus grande partie du pittoresque de saint Marc (qui bien évidemment n’est pas seulement pittoresque). Est-ce pour permettre au prédicateur de raconter toute l’histoire et de la mettre en scène ?

    Ou peut-être est-ce plutôt pour que l’attention se porte sur l’essentiel. L’essentiel que seul Matthieu dit explicitement et de façon exhaustive alors qu’il est si elliptique dans sa narration.

    L’essentiel, c’est que Jésus est Dieu et qu’il s’est incarné pour donner aux hommes le pouvoir divin de remettre les péchés.

    L’incarnation est soulignée dans le premier verset : « Et, étant monté dans une barque, il traversa et alla dans sa ville. » Pourquoi mentionner un fait aussi inintéressant, alors que l’on va omettre tout le début de l’histoire de la guérison du paralytique ? C’est pour montrer que Jésus est bien un homme comme les autres, au point même que comme les autres il est l’habitant d’une ville déterminée : il va dans « sa » ville, il est un citoyen de Capharnaüm.

    Mais cet homme a le pouvoir de remettre les péchés. Il dit bien qu’il a le pouvoir de remettre les péchés, et non de simplement « pardonner ». Il est significatif que toutes les traductions protestantes (et la soi-disant Bible de la liturgie catholique, bien sûr !) traduisent de façon fautive par « pardonner ». Mais remettre les péchés, c’est autre chose que pardonner. L’homme peut pardonner à son frère. Seul Dieu peut remettre, comme on remet une dette : elle n’existe plus, le chirographe est déchiré et détruit. Quand Dieu remet le péché c’est comme si le péché n’avait pas existé. Or il a existé. La remise des péchés est une re-création, dont seul Dieu est capable.

    Donc Jésus est Dieu. (Ou c’est un blasphémateur qui mérite la mort, et qui sera mis à mort pour cela même.)

    Et là vient la finale originale de saint Matthieu : les foules « glorifièrent Dieu qui a donné un tel pouvoir aux hommes ». En effet, Dieu, par Jésus-Christ, a donné aux hommes ce pouvoir divin de remettre les péchés, par le sacrement de pénitence. Ce que les protestants refusent de comprendre, alors que c’est en toutes lettres dans l’Evangile…

    parlalytique.jpg

    Illustration d’un lectionnaire syriaque de Mossoul – N’oublions pas les chrétiens de Mossoul qui ont tous dû fuir "leur ville" pour la première fois de l’histoire. Le paralytique guéri est assez marrant. Il n’en revient pas de ce qui lui arrive, mais il n’a pas l’air vraiment rassuré. Il a l’air d’avoir peur de recevoir sur la tête le personnage qui paraît tomber du toit… Je ne sais pas qui il est ni ce qu’il fait avec son espèce de baguette très fine. Ni d’ailleurs ce que représente l’espèce de tapis (?) aux arabesques…

    Addendum

    Excellente et très convaincante remarque de Gottschütz dans les commentaires: il ne s'agit pas du paralytique de ce dimanche mais de celui de la piscine probatique : ce n'est pas un tapis mais la piscine, et l'ange qui remue l'eau (sous les arcades du portique). C'est réconfortant d'avoir des lecteurs intelligents...

  • Tobie

    La lecture de la semaine, selon le Bréviaire, c’est le livre de Tobie. On a grosso modo trois textes de ce livre, assez différents les uns des autres. Deux textes grecs des plus prestigieux codex : celui du Sinaiticus, et celui du Vaticanus et de l’Alexandrinus (qui sont à peu près identiques) ; et le texte latin de la Vulgate.

    Saint Jérôme en raconte la genèse : il connaissait un rabbin qui avait un texte de Tobie en araméen. Mais le rabbin (semble-t-il) ne voulait montrer son manuscrit à personne. Alors saint Jérôme lui demanda de traduire le livre en hébreu, et lui le traduirait en latin. Cela se faisant oralement, avec des secrétaires. Et cela se fit en une seule journée. Quand on lit le résultat, on comprend ce qu’était le génie de saint Jérôme.

    Aujourd’hui, selon la Bible de Jérusalem, on pense que le texte originel était un texte araméen. Réaction logique : ce pourrait donc bien être celui de saint Jérôme (ou plutôt du rabbin). Réaction que n’a aucun spécialiste, car le b-a-ba de l’exégèse contemporaine est d’ignorer absolument la Vulgate. C’est pourtant le plus beau des trois textes.

    Les Bibles modernes traduisent généralement le texte du Sinaiticus, le plus long. En flagrante contradiction avec un des principes majeurs de l’exégèse contemporaine, que le texte le plus court est le plus ancien, donc le plus authentique, parce qu’on a tendance à en rajouter, pas à élaguer. Cela dit, le texte du Sinaiticus est incontestablement meilleur que celui de deux autres grands codex. Mais ne comptez pas sur les traducteurs pour vous expliquer pourquoi ici ils transgressent leur règle…

    Deux petites choses maintenant pour montrer qu’il ne faut pas se laisser impressionner par les spécialistes.

    Le chapitre 13 est le chant d’action de grâces du père de Tobie. Vers la fin il parle de « pierres d’Ophir » (selon le Sinaiticus). Dans la Bible Osty il y a une note disant qu’habituellement dans la Bible on parle de « l’or d’Ophir », ce qui est vrai, et là il renvoie à d’autres textes, dont le premier est le livre de Job. Mais le chanoine oublie qu’il traduit un texte grec : or s’il se reportait au texte grec de Job, il y verrait aussi les « pierres d’Ophir », et non « l’or d’Ophir ».

    Au chapitre 12, l’ange Raphaël dit : « Mieux vaut la prière avec le jeûne, et l’aumône avec la justice, que la richesse avec l’injustice. » Note de la Bible Osty : « “avec le jeûne”, selon la vieille version latine, de préférence à “avec la vérité” S » (c’est-à-dire selon le Sinaiticus). Mais pourquoi aller chercher une « vieille latine », qui n’est de toute façon qu’une traduction d’un texte grec, alors qu’il suffit d’ouvrir la Septante pour voir que les deux autres grands codex grecs ont « jeûne », et non « vérité », ou de se permettre une folie (pour une fois) en ouvrant la Vulgate et de voir que là aussi il s’agit du « jeûne »…

  • 17e dimanche après la Pentecôte

    « Et personne ne pouvait rien lui répondre, et, depuis ce jour, nul n’osa plus lui poser des questions. »

    Cette phrase, qui est la fin de l’évangile de ce dimanche, est celle qui conclut le chapitre 22 de l’évangile de saint Matthieu, à savoir une longue controverse (commencée au chapitre 21),  à l’aube de la Semaine Sainte, entre Jésus et les grands prêtres, puis les pharisiens, puis les sadducéens, puis de nouveau les pharisiens. Or Jésus décide d’en rester là, et pour leur clouer définitivement le bec, il utilise le premier verset du psaume 109.

    Le Seigneur a dit à mon seigneur : Siège à ma droite, jusqu’à ce je fasse de tes ennemis l’escabeau de tes pieds.

    Jésus cite le psaume dans le texte exact de la Septante.

    Il va de soi que le premier Seigneur du psaume, c’est Dieu. Dieu qui parle à David. Et les pharisiens savent que le premier mot de ce psaume en hébreu est IHWH, le Nom ineffable, qu’on prononce « Adonaï » : le Seigneur, ho kyrios.

    « Le Seigneur a dit à mon seigneur. » Cet autre seigneur, c’est, selon la tradition juive interprétant ce psaume considéré comme messianique depuis toujours, le Messie qui doit venir. Or le Messie est le "fils de David", comme répondent les pharisiens à Jésus. Mais alors, reprend celui-ci, comment se fait-il que David, parlant de son fils, l’appelle son seigneur ?

    Et personne ne pouvait rien lui répondre.

    Car David était le roi d’Israël, il n’y avait personne au-dessus de lui. Personne sauf Dieu. Les pharisiens ne peuvent pas répondre à la question parce qu’il n’y a qu’une seule réponse possible et qu’ils ne peuvent pas l’admettre : si David dit que le Messie son fils est son Seigneur, c’est que le Messie est Dieu.

    Et personne ne peut donner cette interprétation, et la donner avec une telle autorité, s’il n’est lui-même le Messie. Ce qui implique non seulement de reconnaître que Jésus est le Messie, mais qu’il est Dieu.

    Et, depuis ce jour, nul n’osa plus lui poser des questions…