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Ecriture sainte - Page 14

  • Jeudi de la deuxième semaine de carême

    L’évangile est la parabole « du mauvais riche et du pauvre Lazare ».

    Ce mauvais riche peut conduire à de mauvaises interprétations moralisantes. Car rien ne dit que ce riche ait acquis ses richesses de façon malhonnête. Rien ne dit non plus qu’il soit méchant.

    De même, rien ne dit que le pauvre Lazare soit vertueux, et qu’il ne soit pas responsable de sa misère.

    Pourtant leur sort éternel est bien celui d’un riche méchant et d’un pauvre vertueux.

    L’explication est que le riche ne peut même pas être méchant avec Lazare, parce que tout simplement il ne le voit pas. Il vit tellement dans ses richesses qu’il est enfermé en lui-même, coupé des autres, coupé de Dieu.

    L’épître l’illustre : « Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme, qui met sa force en la chair, et dont le cœur s'éloigne du Seigneur. » Le sort de cet homme est celui du riche de la parabole : « Il habite les lieux brûlés du désert, une terre salée, solitaire. »

    En revanche, « heureux est l'homme qui se confie dans le Seigneur, et dont le Seigneur est l'espoir. Il est comme un arbre planté au bord des eaux. »

    Cette parabole est la seule qui présente un personnage qui ait un nom : Lazare.

    Or le nom de Lazare veut dire : Dieu aide, Dieu a secouru, Dieu est mon secours. Le pauvre Lazare est un vrai pauvre selon les béatitudes, qui met son espérance dans le seul secours de Dieu.

    La parabole se termine par cette réponse d'Abraham au riche : « S'ils n'écoutent pas Moïse et les prophètes, même si quelqu'un ressuscite des morts, ils ne croiront pas. »

    Or, à Béthanie, « maison du pauvre », quelqu'un est ressuscité des morts : Lazare...

    Et ils n'ont pas cru.

  • Melchisédech

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    La lecture des matines est le chapitre 14 de la Genèse. C’est le récit de la curieuse guerre des « cinq rois contre quatre », qui se termine par le rapt de Lot et de tous ses gens et de tous ses biens, mais, l’apprenant, Abraham mobilise 318 serviteurs et va libérer Lot, ses gens et ses biens.

    Et c’est alors qu’au détour du récit apparaît brièvement un personnage appelé Melchisédech. Il est le roi de Salem, il offre du pain et du vin parce qu’il est prêtre du Très-Haut, il bénit Abraham, et Abraham lui donne la dîme de toutes choses. Point final. On n’entendra plus jamais parler de ce Melchisédech, qui est pourtant au-dessus d’Abraham, patriarche du peuple élu et père des croyants, puisque c’est lui qui bénit et qui reçoit la dîme.

    Plus mystérieux encore que cette fugitive apparition est le psaume 109 où, brusquement, Dieu dit « à mon Seigneur », et le « jure » : « Tu es prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech. » Propos incompréhensible, puisqu’il ne peut pas y avoir d’autres prêtres en Israël que des descendants d’Aaron.

    C’est évidemment le Christ qui donnera la clef du mystère, en sa personne, en son propre corps. L’épître aux Hébreux explique pourquoi et comment Jésus est prêtre selon l’ordre de Melchisédech, et Melchisédech va être cité au canon de la messe, dans une sublime prière qui l’associe à Abel et à Abraham. A eux trois ils sont la prophétie totale du Saint Sacrifice de la messe : Abel sacrifie un agneau qui est cet Agneau immolé depuis le début du monde dont parle l’Apocalypse à l’autre extrémité de la Sainte Ecriture, Abraham sacrifie son fils bien aimé mais c’est un sacrifice non sanglant, et Melchisédech offre le pain et le vin, qui sont l’Agneau, le Fils, le corps et le sang de la Nouvelle Alliance, qui dépasse infiniment l’ancienne.

    C’est ce qu’exprime admirablement la mosaïque de Ravenne.

  • Sodome et le paradis

    La lecture des matines, ce jour, est le chapitre 13 de la Genèse. Celui où Abraham et sa femme, son neveu Lot, leurs serviteurs, leurs esclaves et leurs troupeaux, sortent d’Egypte pour s’installer en Chanaan, c’est-à-dire la terre (déjà) promise à Abraham et sa descendance. Abraham et Lot sont extrêmement riches, notamment en troupeaux, et il finit par y avoir des bagarres entre les bergers de Lot et ceux d’Abraham, car il n’y a plus assez de place pour tout le monde en un même endroit. Abraham décide donc de se séparer de Lot, et il lui demande de choisir le lieu qu’il voudra : si tu vas à gauche j’irai à droite, si tu vas à droite j’irai à gauche. Lot leva les yeux, dit la Bible, et vit le pays autour du Jourdain, qui était entièrement irrigué, et qui, avant que le Seigneur eut détruit Sodome et Gomorrhe, était « comme le paradis du Seigneur ». Et c’est ainsi que Lot s’établit à Sodome.

    Le mot « paradis » est très rare dans la Bible en dehors des deux premiers chapitres de la Genèse. L’expression « paradis du Seigneur », ou « paradis de Dieu », se compte sur les doigts d’une seule main. Et cette expression avec l’article défini (dans le texte grec de la Septante) ne se trouve qu’ici et en Ezéchiel.

    Cet emploi exceptionnel attire donc l’attention. Il ne s’agit pas d’un guide touristique dont toutes les destinations sont commercialement paradisiaques. Sodome et Gomorrhe se trouvent dans un pays qui est réellement « comme le paradis du Seigneur », comme le jardin d’avant la chute.

    Or « les hommes de Sodome étaient très mauvais, et extrêmement pécheurs devant Dieu ».

    Et l’on sait quel était ce péché, même si aujourd’hui c’est un délit de dire publiquement que c’est un péché…

    Dans le Nouveau Testament, en dehors de Jésus en croix s’adressant au larron, seul saint Paul emploie le mot « paradis », pour dire qu’il y a été ravi et qu’il y a entendu des choses ineffables. Et saint Paul affirme explicitement (I Cor 5,10), dans une liste des péchés les plus graves, que les homosexuels ne posséderont pas le royaume de Dieu.

    Telle est l’antithèse fortement établie dans le texte de la Genèse : « pessimi », les pires hommes habitent le pays qui est comme le paradis de Dieu. A cause du péché des hommes, Dieu n’hésitera pas à détruire ce pays et à en faire un désert apocalyptique.

    N’en déplaise aux amis de François, la Sainte Ecriture est en noir et blanc. « Que votre parole soit oui oui, non non, ce qui est en plus vient du Mauvais », dit le Seigneur (Matthieu 5, 37).

  • Une perle du chanoine Osty

    La lecture biblique du jour, quoique occultée par la fête de sainte Agathe, c’est le début du chapitre 4 de la Genèse.

    Or Adam connut Eve, sa femme, qui conçut et enfanta Caïn (…) ; elle enfanta de nouveau, son frère Abel (…).

    Note du chanoine Osty : « Le texte actuel (sic) rattache ainsi à Eve Caïn et Abel, comme s’ils étaient ses fils »

    Sic : quel est le chrétien demeuré qui peut encore croire que Caïn et Abel soient les fils d’Eve ?

    Et ce n’est pas tout. Le chanoine Osty ajoute :

    « … et ses deux seuls fils. »

    Or la Genèse dit ensuite :

    Adam connut encore sa femme, et elle enfanta un fils, et elle l’appela du nom de Seth. (...) Et les jours d'Adam, après qu'il eut engendré Seth, furent de 800 ans, et il engendra des fils et des filles.

    Même la Bible de Jérusalem ne va pas aussi loin dans le négationnisme primaire.

    Plus amusante est la note sur le mot « connut » : « Euphémisme qui exprime les relations de la vie conjugale ». Bref, on explique un euphémisme par un autre euphémisme…

    Le grand leitmotiv de la Bible Osty, c’est : « le texte est corrompu ». On finirait par se demander à quoi ça sert que l’Eglise conserve un texte si souvent corrompu. Mais ce n’est pas le texte de l’Eglise, c’est le texte soi-disant original, c’est-à-dire le texte des rabbins du IXe siècle. Chaque fois je dis intérieurement au chanoine Osty : mais va donc voir la Vulgate et la Septante, le texte n’y est pas corrompu…

    Variante du « texte corrompu » : le « texte actuel ». Comme le chanoine ne comprend pas que la Genèse, dans un génial raccourci (qui est une synthèse de la suite du péché originel), nous raconte en même temps la naissance de Caïn et Abel premiers enfants du premier couple, et la vie de Caïn et Abel dans un monde où il y a d’autres hommes et même une civilisation, il en déduit que, donc, Caïn et Abel n’étaient pas les enfants d’Adam et Eve…

    Par ce raisonnement primaire, permanent, on détruit méthodiquement toute la Bible.

    Et il y a même des tradis qui croient que la Bible Osty est une Bible catholique…

  • Saint Jude et les tuniques

    L’épître de saint Jude est assez peu lue et commentée. Elle a un côté étrange, avec ses deux citations de textes apocryphes comme arguments d’autorité, et ses tournures de phrase recherchées. Et l’on ne fait guère attention au verset 23, lui aussi assez bizarre :

    « Sauvez-en d’autres en les arrachant au feu, ayez pour d’autres pitié avec crainte, haïssant jusqu’à la tunique souillée par la chair. »

    La dernière expression est également traduite : « haïssant même le vêtement souillé par la chair », ou, souvent, « par leur chair » (Bible de Jérusalem, Pirot-Clamer, TOB, Bible de la liturgie…), en ajoutant un adjectif possessif qui ne se trouve pas dans  texte et qui n’a aucune raison d’être.

    Même les traductions dites de la Vulgate (Glaire, Fillion) traduisent ainsi. Lemaistre de Sacy quant à lui fait une glose : « haïssez comme un vêtement souillé tout ce qui tient de la corruption de la chair » pour montrer qu’il a compris mais qu’il n’ose pas dire carrément ce que dit la Vulgate. La Vulgate, qui traduit correctement le texte grec, à la différence de toutes les traductions françaises :

    « Illos vero salvate, de igne rapientes. Aliis autem miseremini in timoré, odientes et eam, quæ carnalis est, maculatam tunicam. »

    Littéralement : « haïssant aussi cette tunique tachée qui est de chair ».

    C’est littéralement ce que dit le grec : « μισοῦντες καὶ τὸν ἀπὸ τῆς σαρκὸς ἐσπιλωμένον χιτῶνα. »

    Pour traduire « souillée par la chair », on fait de « apo » une préposition introduisant un complément d’agent. Mais « apo » est une préposition qui indique une origine, que ce soit de temps, de lieu, de matière… La préposition qui introduit un complément d’agent est « hypo », comme l’épître en donne d’ailleurs un exemple quelques lignes avant. « Apo » indique donc l’origine de la tunique, la… matière de la tunique. C’est une tunique de chair. C’est la tunique de chair qui est tachée. Nous devons haïr la tunique de chair qui est tachée. Notre tunique de chair souillée par le péché.

    Cela renvoie à la Genèse, lorsque Dieu, chassant Adam et Eve du paradis de l’origine, les revêt de « tuniques de peau ». La chute originelle, le péché de l’origine, fait tomber le corps humain dans la lourdeur, l’épaisseur, la chair sujette à la maladie, à la souffrance, à la mort.

    Et ainsi, cette mention de la « tunique souillée de chair », la tunique maculée de notre chair, à la fin de l’avant-dernier livre de la Bible, fait une grande inclusion avec la Genèse, avec l’expulsion de l’homme du paradis de l’origine, juste avant le dernier livre, celui de la Révélation de la Jérusalem céleste, du rétablissement du paradis de l’origine, devenu un super-paradis par l’Incarnation et la Rédemption.

  • Un gag de la Bible de Jérusalem

    La lecture biblique de cette semaine (selon le bréviaire traditionnel) est la première épître aux Corinthiens. Et voici que je découvre un véritable gag dans la Bible de Jérusalem. Dans l’édition 2000. Ils ne l’avaient pas encore inventé dans les éditions précédentes.

    Voici la chose (I Corinthiens 4, 6) :

    « En tout cela, frères, je me suis pris comme exemple avec Apollos à cause de vous, pour que vous appreniez, en nos personnes, à ne pas (le « ne pas » est écrit au-dessus du texte) vous enfler d’orgueil en prenant le parti de l’un contre l’autre. »

    Et il y a une note qui dit : « Texte difficile. La phrase entre parenthèses a été ajoutée par un copiste scrupuleux qui signale que la négation a été ajoutée à son exemplaire. »

    Donc, à l’époque où œuvrait ce copiste, il n’y avait qu’un seul exemplaire de cette épître. Puisque tous les copistes ont ensuite recopié ce texte. Et ils ont tous stupidement recopié la parenthèse qui n’avait plus de raison d’être. Mais personne ne s’est rendu compte que c’était une parenthèse avant l’arrivée d’un génial collaborateur de la Bible de Jérusalem… Alors même que pour ses premières éditions les glorieux traducteurs de la Bible de Jérusalem eux-mêmes n’y avaient vu que du feu.

    Mais à qui veut-on faire croire ce grotesque bobard sorti du chapeau d’un « spécialiste » en veine d’originalité à tout prix ?

    Certes, le texte n’est pas facile, mais c’est assez fréquent chez saint Paul. Ce n’est pas une raison pour l’inventer. Le texte dit littéralement : « afin que vous appreniez en nous le ne pas au-dessus de ce qui est écrit ». En grec, la proposition substantivée, qui commence donc par un article défini, ne donne pas la même impression étrange qu’en français. Mais dans ce cas l’article définit un verbe, et le verbe manque. Il est sous-entendu, mais on le trouve dans d’assez nombreux manuscrits : c’est un verbe qui veut dire penser, ou avoir telle ou telle opinion de soi, tel ou tel sentiment… d’orgueil, par exemple, ce qui est le cas ici. Pour beaucoup de traducteurs, saint Paul cite une sorte de proverbe qu’il introduit par l’article. Les anciennes versions de la Bible de Jérusalem le disaient explicitement (sans avoir recours au verbe) : « pour que vous appreniez, en nos personnes, la maxime : “Rien au-delà ce qui est écrit” ».

    Avec le verbe, ces serait : « ne pas penser au-dessus de ce qui est écrit, ne pas élever vos pensées au-delà de ce qui est écrit », ce qui correspond aux mots suivants qui condamnent l’orgueil.

    Reste à savoir de quels écrits parle saint Paul. Dans tous les autres cas où il parle de « ce qui est écrit », il s’agit de l’Ancien Testament. Mais il semble qu’ici il évoque ce qu’il a déjà écrit dans cette lettre à propos d’Apollos et de lui-même. C’est ce que dit explicitement Lemaistre de Sacy : « à n’avoir pas de vous d’autres sentiments que ceux que je viens de marquer ». La Bible Pirot-Clamer a peut-être raison de s’en tenir strictement au texte : « afin que vous appreniez, en nos personnes, le : “Pas au-delà de ce qui est écrit” ».

    Quoi qu’il en soit, le coup du copiste qui trouvé la négation au-dessus du texte et qui le précise dans le texte, sans que personne le remarque, à commencer par les traducteurs latins qui parlaient grec, en passant par tous les pères et exégètes au long des siècles, c’est une blague grotesque qui écorne quelque peu (une fois de plus) le « sérieux » de la Bible de Jérusalem.

    Il est vrai que la traduction et les notes de cette épître sont particulièrement gratinées. Un sommet est assurément la formulation de cette note : « Paul autorise ici le divorce au plein sens du terme, avec le droit de se remarier. » Sic. (C’est pour le passage où saint Paul évoque le cas où dans un couple un des conjoints devient chrétien, et l’autre ne le supporte pas : la seule solution est que le chrétien laisse partir l’autre.)

    Quoique ce verset soit pas mal non plus : « N'avons-nous pas le droit d'emmener avec nous une épouse croyante comme les autres apôtres (...) ? » Alors que le sens obvie et que lui a donné toute la tradition est qu'il s'agit d'une servante (la bonne du curé), le mot grec se traduisant uniquement par "femme" (la femelle de l'homme, avant d'être son épouse), et accompagné du mot qui ne peut se traduire que par "soeur", à savoir une femme choisie dans la communauté chrétienne, et le mot prend ici un sens de "vivre comme frère et soeur", et surtout annonce l'emploi futur du mot pour dire "religieuse".

    Et ces aberrations anticatholiques sont garanties par l'imprimatur du "cardinal Pierre Eyt, président de la Commission doctrinale des évêques de France", donné, par ironie sans doute, "en la fête de saint Jérôme"...

  • Saint Jean

    La lecture du premier nocturne des matines est le début de la première épître de saint Jean. Cette épître est donc par excellence le texte biblique du jour. Et cela pour une raison précise : elle commence par un véritable hymne à l’incarnation. Et saint Jean est tellement ému d’évoquer ce mystère qu’il en bafouille. D’autre part, les mots qu’il utilise sont à examiner de près, car ils sont d’une particulière richesse :

    Ce qui était (ce qui fut, dit la Vulgate)

    depuis le commencement (dès le commencement ; le deuxième mot est le même que le deuxième mot de son évangile, arkhè, et fait donc allusion au Principe, même si on ne peut pas vraiment traduire « dès le principe » - et c’est pourquoi la Vulgate, ne voulant pas confondre l’imparfait de « ce qui était » avec l’imparfait d’éternité des premiers mots de l’évangile, choisit le prétérite)

    ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux (les verbes sont au parfait, ce qui ici renforce l’affirmation : ce que nous avons réellement, parfaitement entendu de nos oreilles et parfaitement vu de nos propres yeux)

    ce que nous avons contemplé (le verbe est celui qui a donné le mot théâtre, il fut d’abord utilisé pour parler de choses qui suscitent l’étonnement ou l’admiration, d’où son sens d’être spectateur au théâtre, mais dans le Phédon Platon l’utilise pour dire : contempler le vrai et le divin)

    et que nos mains ont touché (le verbe n’est pas celui qui est utilisé habituellement pour dire toucher, il est celui qui veut dire d’abord tâter dans l’obscurité, puis palper, c’est celui qu’utilise le Christ après sa résurrection quand il demande aux apôtres de le palper pour constater qu’il n’est pas un fantôme)

    concernant le Verbe de la Vie

    La traduction fréquente de ces derniers mots : « la parole de vie » oublie qu’il y a l’article défini devant « vie ». Et elle est gravement fautive vu ce qui suit. Car saint Jean, à ces mots, rompt la phrase, et rebondit sur cette « Vie » qu’il vient d’évoquer. Il ne s’agit pas d’une parole de vie, il s’agit bien du Verbe de la Vie, sinon il ne s’interromprait pas pour s’exclamer :

    Et la Vie a été manifestée (ou : s’est manifestée, ou : est apparue – Mais oui ! la Vie s’est manifestée et nous est apparue !)

    et nous l’avons vue (au parfait : nous l’avons bel et bien vue, réellement),

    nous en témoignons (nous en rendons témoignage, nous l’attestons – c’est le mot habituel du témoignage, qui a donné « martyr »),

    et nous vous annonçons la vie éternelle, qui était auprès du Père (imparfait d’éternité) et qui a été manifestée (ou : s’est manifestée, ou : est apparue).

    Et alors saint Jean reprend le cours de sa phrase pour l’achever, en reprenant les verbes au parfait qui étaient restés en suspens :

    Ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous aussi vous soyez en communion avec nous. Or notre communion est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ.

    La Vie, dans ce texte, la Vie qui est éternelle et qui est le Christ, c’est zoè (ἡ ζωὴ). Par opposition à l’autre vie que l’on verra quelques versets plus loin (2, 16) : bios (βίος), mot utilisé pour parler de la vie bio-logique, pour dire passer sa vie, finir sa vie, etc. C’est dans l’énumération de ce qu’on a appelé les trois concupiscences : « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie ».

    Mais il y a là une anomalie : même un enfant qui apprend à lire peut constater qu’il n’y a pas trois, mais deux concupiscences. C’est le prurit très occidental de systématisation et de classification rationnelle qui a conduit à inventer trois concupiscences alors qu’il n’y en a que deux. Et du coup on en est même venu à ne pas comprendre ce que disait saint Jean, et à inventer des traductions fantaisistes. Par exemple celle de la Bible de Jérusalem : « l’orgueil de la richesse », ou la prétendue Bible de la liturgie : « l’arrogance de la richesse ». La TOB se permet de gloser et d’interpréter : « la confiance orgueilleuse dans les biens »… Quant à la soi-disant Bible des peuples, marquée par la soi-disant théologie de la libération, elle n’hésite pas à stigmatiser « l’arrogance des riches »…

    Mais le mot est bien « bios », traduit dans la Vulgate par « vita ». Il s’agit de la vie. Certes, le mot peut aussi désigner, éventuellement, selon le contexte, les moyens nécessaires à la vie, des moyens de subsistance, mais jamais les richesses.

    ἡ ἀλαζονεία τοῦ βίου (è alazoneia tou biou) est logiquement traduit dans la Vulgate par : « superbia vitae ». La superbe, ce n’est pas simplement l’orgueil. Le mot grec veut dire essentiellement vantardise, jactance. Saint Cyprien avait traduit : jactantia hujus vitae. La jactance de cette vie. L’expression utilisée par saint Jean désigne quelque chose de plus grave que les deux concupiscences qu’il vient d’évoquer, et qui dépendent de ce troisième élément. Le Père Spicq explique :

    « Si saint Jean n’a point mentionné une troisième épithumia : “la convoitise des richesses”, c’est précisément parce qu’il visait un vice plus grave que l’ostentation des riches ou leur arrogance vis-à-vis des pauvres. Il oppose à Dieu l’orgueil d’une créature, maîtresse de son existence, qui décide et dirige le cours de sa vie sans tenir compte de Dieu. Cette suffisance est la contradiction même du devoir absolu d’adorer Dieu et le servir religieusement. »

    Ce que vise ici saint Jean, ce n’est pas la cupidité, c’est l’illusion de se croire autonome, autosuffisant, ne devant sa vie et son salut qu’à soi-même.

  • Encore une prophétie supprimée par la Bible de Jérusalem

    Le verset 38 du chapitre 3 du livre de Baruch a toujours été considéré, et à juste titre puisqu’il l’est de façon éclatante, comme une prophétie christique. Le voici avec les deux versets précédents (pour ne pas recopier tout le chapitre, mais c’est encore plus impressionnant de lire le verset 38, qui est le dernier, comme la conclusion de tout le chapitre) :

    « C’est lui qui est notre Dieu, et aucun autre ne lui est comparable. Il a trouvé (ou : scruté) toute voie de connaissance, et l’a donnée à Jacob son serviteur, et à Israël son bien-aimé. Après cela il a été vu (ou : il a apparu) sur la terre, et il a conversé avec (ou : parmi) les hommes. »

    On fait immédiatement le rapprochement avec le prologue de l’Evangile de saint Jean : « Le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous. »

    C’est toujours ainsi que la tradition l’a compris, selon son sens obvie, et ce texte se trouve même deux fois dans la liturgie byzantine de Noël (aux « grandes heures » du 24 décembre et aux premières vêpres de la Nativité).

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  • Deux points ouvrez les guillemets

    La prophétie d’Isaïe 40, 3 est célèbre parce qu’elle est reprise dans les quatre évangiles, soit pour évoquer saint Jean Baptiste, soit mise dans la bouche même du Précurseur (par l’évangéliste saint Jean), et parce qu'elle se trouve aux laudes de tous les jours de l'Avent :

    Voix de celui qui crie dans le désert : « Préparez la voie du Seigneur… »

    En fait c’est tout le chapitre qui est une claire prophétie christique, puisqu’il annonce la consolation par la rémission des péchés, et la venue du Seigneur dans la puissance mais comme un pasteur qui va paître son troupeau, rassembler ses agneaux et les mettre dans son sein, et porter les brebis pleines.

    La Bible de Jérusalem dit :

    Une voix crie : « Dans le désert, frayez le chemin de Yahvé… »

    De nombreuses autres Bibles modernes (pas toutes, cependant) adoptent cette ponctuation. Parce que c’est celle de la Bible massorétique, stupidement considérée comme le « texte original ».

    La Bible de Jérusalem met une note pour dire que « les évangélistes (…), citant ce texte d’après les LXX (…), l’ont appliqué à Jean-Baptiste annonçant la venue prochaine du Messie ». Toujours cette distanciation, perpétuelle : c’est pas nous, c’est les évangélistes, nous on ne prend pas parti…

    Mais ce n’est pas seulement le texte des Septante. Lorsque saint Jérôme a effectué sa propre traduction (d’après un authentique original, comme l’avaient fait les Septante), il a lui aussi traduit de la même façon : Vox clamantis in deserto : Parate viam Domini.

    C’est un des nombreux exemples où la Bible juive cherche à amoindrir, à estomper, les prophéties christiques, ici à l’aide de la ponctuation.

    La « voix de celui qui crie dans le désert », cela renvoie immédiatement à Jean Baptiste, parce qu’il est la voix qui annonce le Verbe, et qu’il vit dans le désert, ce que soulignait Jésus dans l’évangile de dimanche dernier : « Qu’êtes-vous allé voir dans le désert ? »

    Mais si c’est une voix qui crie qu’il faut préparer le chemin de Dieu dans le désert, ce n’est plus du tout aussi évident.

    Or dans les vrais textes originaux (que nous n’avons pas) il n’y avait pas de ponctuation. La ponctuation qui s’impose naturellement est celle des Septante et de saint Jérôme, ou plutôt celle qu’on a traditionnellement et naturellement et unanimement ajoutée, puisqu’il n’y avait pas non plus de ponctuation dans les manuscrits grecs et latins.

    Non seulement la ponctuation massorétique découpe le texte de façon non naturelle, mais en outre elle met « deux points ouvrez les guillemets » au beau milieu de l’expression qui est devenue en hébreu celle qui veut dire « prêcher dans le désert ». Ce qui souligne encore le côté artificiel de l’entreprise. Artificiel, et surtout antichrétien. Et repris benoîtement par des Bibles « catholiques »…

  • L’Agneau d’Isaïe et la Bible de Jérusalem

    Emitte Agnum, Domine, dominatorem terræ, de petra deserti ad montem filiæ Sion.

    Tel est le premier verset du chapitre 16 d’Isaïe : « Seigneur, envoyez l'Agneau dominateur de la terre, de la pierre du désert à la montagne de la fille de Sion. »

    Ce verset se trouve dans le Rorate caeli, qui est le chant par excellence de l’Avent. Il fait aussi l’objet d’un verset et d’un répons de la liturgie de l’Avent.

    Car bien sûr cet Agneau, celui qu’annonce Jean-Baptiste et que l’on retrouve dans l’Apocalypse, est le Christ qui vient du désert où il est tenté pour monter à Jérusalem où il régnera par la croix.

    Mais la Bible de Jérusalem traduit : « Envoyez l’agneau du maître du pays, de Séla, située vers le désert, à la montagne de la fille de Sion. »

    Et il y a une note qui dit ceci :

    « Texte difficile et diversement interprété. Il semble que les Moabites, menacés par l’invasion, cherchent à se mettre sous la protection du roi de Juda ou à trouver chez lui un refuge. L’agneau envoyé serait un signe de soumission, cf. 2R 3,4. En traduisant : “Envoie, Seigneur, l’agneau souverain de la terre”, s. Jérôme propose pour ce passage une interprétation messianique. »

    Donc l’individu Jérôme, néanmoins canonisé, a « proposé » une traduction messianique. Comme si c’était une fort étrange proposition. Alors qu’il s’agit d’un texte messianique. De ces textes dont Jésus montrait aux pèlerins d’Emmaüs qu’ils parlaient de lui. Mais les spécialistes ne veulent pas le savoir. Et la note omet soigneusement de préciser que toute la tradition patristique et liturgique latine a ainsi compris le verset.

    Puisqu’on refuse l’évidence, le texte devient « difficile ». Puisqu’on ne veut pas voir le Christ, on se rabat sur les Moabites. Mais l’explication est tout simplement grotesque. En quoi l’envoi d’un agneau serait-il un signe de soumission ? Quand un roi voulait la protection d’un voisin, il lui envoyait de l’or, ou de grosses quantités de blé et d’huile, ou des troupeaux. L’envoi d’un seul agneau aurait été vu comme une minable provocation. La Bible de Jérusalem se donne, en outre, le ridicule de renvoyer au deuxième livre des Rois. Or que lit-on dans le verset en question ? Que le roi de Moab (au siècle précédent) livrait en tribut annuel au roi d’Israël 100.000 agneaux et 100.000 béliers…

    C’est pourquoi de nombreuses traductions mettent « agneau » au pluriel, en faisant semblant de voir un collectif qui n’a pas lieu d’être ici.

    D’autre part, si la Bible de Jérusalem, et d’autres, parlent de « l’agneau du maître », d’autres disent que c’est l’agneau qu’on envoie au maître… Il faut à tout prix éviter de dire que c’est l’Agneau, le Maître…