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Ecriture sainte - Page 8

  • Mardi de la Passion

    « Mon temps n’est pas encore venu », dit Jésus dans l’évangile de ce jour. Comme il dit ailleurs que son « heure » n’est pas encore venue, ou que l’évangéliste précise que si personne ne met la main sur lui c’est parce que son heure n’est pas encore venue.

    Ici il dit « mon temps ». Le sens est le même, il est même renforcé d’une certaine façon puisque le mot grec est « kairos » : le moment opportun, le moment crucial, le temps où il faudra mourir sur la croix pour racheter les hommes. Mais le choix du mot est ici commandé par le contexte. Jésus dit « mon temps », par opposition à celui de ses frères : « votre temps est toujours prêt ». Le temps de ses frères, ce n’est pas un moment opportun, c’est le temps du monde.

    Le P. Bouyer (Le 4e évangile) avait remarqué le parallélisme entre cet épisode et les noces de Cana. A Cana, c’était la première fois que Jésus disait « Mon heure n’est pas encore venue. » Et dans les deux épisodes on voit Jésus refuser de faire ce qu’on lui demande, puis le faire ensuite.

    A Cana, c’est à la prière de sa Mère. Mais ce n’est pas, ou pas seulement, pour être agréable à Marie que Jésus fait un miracle pour remédier à la pénurie de vin. Ce miracle est un « signe ». Il a une signification profonde, spirituelle, sacramentelle. Il ne fait pas ce qu’on lui a demandé. Il fait quelque chose qui ressemble à ce qu’on lui a demandé, mais dont la signification est sur un autre plan.

    Il en est de même avec ses frères qui lui demandent d’aller à la fête. Ils lui demandent de participer au cortège festif qui va s’ébranler pour aller à Jérusalem rejoindre les autres cortèges des villages et des tribus, où il va pouvoir montrer ce qu’il sait faire, briller aux yeux du monde en accomplissant devant les foules de Jérusalem quelques éclatants miracles qui vont faire de lui une vedette au lieu qu’il reste terré en Galilée.

    Jésus répond qu’il ne va pas à cette fête. Puis, une fois que la tribu est partie, il y va « comme en secret ». Non pour jouer au thaumaturge, mais pour enseigner sa doctrine qui n’est pas de lui mais de celui qui l’a envoyé. Il est l’envoyé de Dieu et il prêche avec autorité parce qu’il est Dieu lui-même. Au Temple. Au milieu de la fête. Dès qu’il a commencé à parler les autorités ont dépêché des hommes pour l’arrêter. Mais… « son heure n’était pas encore venue »…

  • L’invention de la "mer des Roseaux"

    Les Hébreux avaient toujours traversé la mer Rouge, mais toutes les traductions françaises « catholiques » modernes ont « mer des Roseaux » (ou « mer des Joncs ») - ce qui n’est et n’a jamais été le nom d’une mer. (Un certain nombre de traductions protestantes gardent « mer Rouge ». La dernière traduction catholique à avoir « mer Rouge » est la Pirot-Clamer.)

    Il semble que ce soit une fantaisie française récente, et germanique depuis… Luther. Aucune des dix traductions anglaises que j’ai vues (y compris la New English Translation de 2005) ne parle de mer des Roseaux, toutes ont : mer Rouge.

    En général on ne vous dit même pas pourquoi on appelle la mer Rouge « mer des Roseaux ». Et quand par hasard on consent à ajouter une note, c’est simplement pour souligner qu’une fois de plus la Septante et la Vulgate se sont trompées. Comme s’est trompé saint Etienne (Actes 7,37), comme s’est trompée l’épître aux Hébreux (11,29), comme se sont trompés les commentateurs juifs (à commencer par Philon), comme se sont trompés tous les pères de l’Eglise, et l’Eglise dans sa liturgie…

    Le mot du texte massorétique (des juifs du Xe siècle, qui est censé faire autorité chez les catholiques) est « souph ». C’est un mot qui ne correspond à aucune racine hébraïque. Par conséquent on ne peut que conjecturer sa signification selon le contexte. Les dictionnaires supposent que le mot veut dire roseau ou jonc, voire papyrus, parce qu’il se trouve aussi au début du chapitre 2 de l’Exode, quand Moïse nouveau-né, placé dans une corbeille, est déposé dans les « souphs » des bords du Nil. Cependant, le même mot se trouve aussi dans le livre de Jonas, et là il s’agit (selon le texte massorétique qui ne correspond ni à la Septante ni à la Vulgate) des « souphs » qui entourent la tête du prophète quand il est jeté dans la mer. En haute mer, ce ne peut pas être des roseaux, et des roseaux ne se mettraient pas autour de sa tête. Donc ce sont des algues… Et donc le dictionnaire Brown Driver Briggs expose doctement que lorsqu’il n’y a pas le mot « mer » devant, « souph » veut dire algues… Mais Fillion (qui traduit la Vulgate où rien ne se met autour de la tête de Jonas) dit dans ses notes de l’Exode que la mer Rouge est en fait la « mer des Algues »…

    Conformément aux dogmes absurdes des exégètes modernes, personne n’imagine un instant que dans le texte hébreu dont disposaient les Septante et dans le texte hébreu dont disposait saint Jérôme, il pût y avoir un autre mot que « souph » pour définir la mer que traversent les Hébreux. Pour Exode 2,3, la Septante dit que Moïse dans son panier fut déposé « dans le marais près du fleuve », la Vulgate que Moïse fut déposé « dans les carex de la rive du fleuve ». Des carex : on n’est pas loin des roseaux, et d’ailleurs certains dictionnaires, prudents, parlent de plantes aquatiques… Il est donc vraisemblable qu’ici il y avait « souph ». Mais, précisément, si saint Jérôme avait vu « souph », peu après, dans le même texte de l’Exode, il aurait traduit « mer des carex », et non « mer Rouge ».

    L’accord entre la Vulgate et la Septante est un indice fort qu’il s’agit bien de la « mer Rouge ». Rouge comme le sang du Christ qui nous lave du péché dans le baptême, dans la mort et la résurrection du Christ, que figure le passage de la mer.

    En outre, l’invention de la « mer des Roseaux » est un immense cadeau fait aux rationalistes : si les Hébreux ont traversé une « mer de roseaux », c’est-à-dire « un marais », comme aurait traduit la Septante si elle avait vu « souph », c’est que parler de miracle est très exagéré. Or, comme le passage de la mer Rouge est l’événement sur lequel on revient sans cesse dans la Bible comme étant le miracle des miracles qui fonde toute l’histoire israélite, on détruit du même coup, d’un seul coup, tout le judaïsme, et aussi le christianisme, qui est indissolublement lié au symbolisme pascal du passage de la mer Rouge.

  • Lundi de la troisième semaine de carême

    « Ipse autem transiens per medium illorum, ibat. »
    Mais lui, passant au milieu d’eux, allait.

    Cette phrase est la dernière de l’évangile d’aujourd’hui. Les gens de Nazareth, excédés par ce que leur dit Jésus, veulent le tuer. Ils l’emmènent sur un escarpement pour le mettre à mort, mais lui, passant au milieu d’eux, allait. Comme si les furieux étaient tout à coup paralysés, ou comme s’il était devenu invisible. Avec cet étonnant imparfait qui souligne l’insolite, et la majesté de celui qui passe.

    Au moyen âge, cette phrase devint un talisman. On la gravait sur des anneaux, sur des médailles, que l’on prenait sur soi lorsqu’on entreprenait un voyage, afin de ne pas tomber aux mains des brigands. Le roi d’Angleterre Edouard III la fit graver au verso du « noble », sa monnaie d’or, pour être revenu à bon port après sa victoire sur la flotte française à Sluis (bataille de L’Ecluse), en 1340 ; cette monnaie fut frappée pendant plus d’un siècle.

    Pourtant, si l’on regarde attentivement l’évangile de saint Luc, on constate que le sens du verbe n’est pas celui que le talisman lui a donné. Le verbe grec, πορεύω, va être employé par saint Luc, à partir du chapitre 9, pour parler de Jésus allant… à la mort. Et c’est ici le premier emploi du verbe en ce sens. Et c’est le sens de l’imparfait. Il échappait aux habitants de Nazareth parce qu’il allait à Jérusalem, il fallait qu’il aille à Jérusalem pour y être crucifié, en dehors de la ville, comme à Nazareth on voulait le tuer hors de la ville.

    Il n’est pas inopportun de le remarquer en cette troisième semaine de carême.

    On peut constater aussi la correspondance entre la finale du récit du passage de Jésus à Nazareth et la finale du psaume 140 : « Que les pécheurs tombent dans leurs propres pièges, quant à moi je suis seul jusqu’à ce que passe ». Ce qui est une annonce de la crucifixion et de la résurrection, source des sacrements qui multiplieront les fils de Dieu par participation à la vie divine du Seul Fils.

  • Mercredi de la deuxième semaine de carême

    L’évangile de la messe de ce jour commence par la troisième annonce de la Passion – et de la Résurrection - par le Christ à ses apôtres. Ce qui a pour effet d’exciter les ambitions… La mère de Jacques et de Jean voit déjà ses fils à droite et à gauche du Roi d’Israël siégeant sur son trône. Dans le texte de saint Marc, ce sont les apôtres eux-mêmes qui font la demande. A posteriori, cette anecdote apparaît particulièrement pitoyable. Qu’elle figure dans les Evangiles montre à la fois l’étendue de leur conversion, leur humilité, et la véracité des évangiles.

    Jésus ne répond pas à la mère. Il répond aux apôtres qu’ils boiront le même calice que lui. Telle est sa royauté.

    Il en profite pour leur donner une leçon d’humilité. Les princes des nations dominent les peuples, mais parmi vous ce sera le contraire : celui qui veut devenir grand devra se faire esclave. Comme lui-même n’est pas venu pour être servi mais pour servir : la leçon se termine par une nouvelle annonce de l’humiliation du Fils de l’Homme, où Jésus utilise à dessein les mots d’Isaïe (53, 10-12) pour montrer qu’il est le Serviteur annoncé par le prophète, celui qui porte les péchés des hommes, le Juste qui va donner sa vie pour les racheter.

  • Mardi de la deuxième semaine de carême

    L’histoire touchante et mystérieuse de la veuve de Sarepta, qui est la première lecture de la messe d’aujourd’hui, peut se lire à plusieurs niveaux. Dans cette messe de carême, elle a assurément pour but d’insister sur l’œuvre de l’aumône, l’une des trois grandes œuvres du carême. La pauvre veuve va jusqu’à donner tout ce qu’elle a, et ensuite elle n’aura plus qu’à mourir.

    Déjà on voit que l’histoire dépasse la simple exhortation à l’aumône : donner tout ce que l’on a, toute sa subsistance, et ne pas mourir, mais au contraire avoir ensuite tout en abondance, c’est le don de soi, l’abnégation totale, le martyre : perdre la vie pour la trouver.

    Dans la synagogue de Nazareth, Jésus (ce sera l’évangile de lundi prochain) soulignera un autre aspect de l’histoire : le prophète a été envoyé à une païenne, et non à une veuve d’Israël. C’est chez les païens qu’il accomplit le miracle, parce que la Phénicienne a une totale confiance en lui. Puisque les juifs rejettent leur Messie, la rédemption sera donnée aux païens.

    Et il s’agit en effet de la rédemption (ce qui va bien aussi dans le chemin vers Pâques) : la veuve prend deux morceaux de bois, ce qui figure la Croix, et au feu de la Croix elle confectionne le pain eucharistique, et avec lui les autres sacrements figurés par l’huile. Sacrements qui ne manqueront jamais à l’homme jusqu’à la fin du monde. Ce qui est suggéré dans l’évangile de saint Luc où Jésus évoque une famine de trois ans et six mois alors que dans le texte de l’Ancien Testament Elie fait cesser la famine au cours de la troisième année : ces « trois ans et six mois », soulignés par ailleurs par saint Jacques, et qu’on retrouve dans l’Apocalypse, viennent du livre de Daniel qui indique ainsi le temps qui reste avant la fin du temps : la durée de la vie de l’Eglise militante, qui peut affronter la famine comme la veuve de Sarepta parce qu’elle a un pain qui ne s’épuise jamais : le pain eucharistique, jusqu’à ce qu’Il vienne.

  • « Merveilles » ?

    Un autre exemple de « lissage » indu de la traduction de saint Luc et de flagrant délit d’harmonisation entre les évangiles : Luc 13,17 :

    TOB :

    Toute la foule se réjouissait de toutes les merveilles qu'il faisait.

    Pirot-Clamer :

    Toute la foule se réjouissait de toutes les merveilles qu'il opérait.

    Crampon :

    Toute la foule se réjouissait de toutes les choses merveilleuses accomplies par lui.

    Bible des peuples :

    Tout le public était en joie pour tant de merveilles qu’on lui voyait faire.

    Jésus fait des merveilles, en latin mirabilia, en grec thaumata (comme thaumaturge). Jésus est Dieu et donc il accomplit les « mirabilia Dei » dont parle tant l’Ancien Testament. Mais ici saint Luc n’emploie pas ce mot. Il en emploie un autre. Il n’y a donc aucune raison de traduire par « merveilles », en supprimant ce qui fait l’originalité de ce verset.

    Saint Luc dit endoxois. De doxa, la gloire. Dans l’évangile puis dans la liturgie, spécifiquement la gloire divine. Jésus fait des choses glorieuses qui manifestent sa gloire divine. C’est une autre façon de parler des mirabilia, qui ajoute encore à l’expression de la divinité du Christ. La Vulgate dit : quæ gloriose fiebant ab eo : « ce qui se faisait glorieusement par lui » (le grec dit exactement : « (les choses) glorieuses se faisant par lui »).

    Osty et la Bible de Jérusalem n’ont pas « merveilles », mais refusent de parler de la gloire, et parlent de « choses magnifiques ». C’est une traduction possible, mais qui rejette à tort le fait que saint Luc a voulu parler de la gloire. Il s’agit de « choses glorieuses », d’« événements de gloire », d’« accomplissements glorieux ».

    Les Bibles protestantes hésitent entre « merveilles », « choses magnifiques » et « choses glorieuses ». On remarquera que la Bible Second disait correctement « choses glorieuses », et que la « Second 21 » (pour XXIe siècle, je suppose), qui se vante d’être « le fruit de 12 ans de travail », tombe dans les « merveilles »…

  • Ne vous météorisez pas !

    Luc 12,29.

    Bible de Jérusalem :

    « Vous non plus, ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez; ne vous tourmentez pas. »

    TOB :

    « Et vous, ne cherchez pas ce que vous mangerez ni ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. »

    Osty :

    « Et vous, ne cherchez pas ce que vous mangerez et ce que vous boirez, et ne vous tourmentez pas. »

    On voit que les trois sont bien d’accord : « Ne vous tourmentez pas. » Le problème est que le verbe grec ne veut pas dire « se tourmenter », et que si saint Luc, ou le Seigneur, avait voulu dire « se tourmenter », il aurait utilisé l’un des verbes qui veulent dire « se tourmenter »…

    Ni la Bible de Jérusalem ni la TOB ne justifie sa « traduction », comme si elle allait de soi… Osty, quant à lui, en profite pour se livrer à son petit jeu favori : ironiser sur la Vulgate : « Au v. 29, “ne vous tourmentez pas”, contresens célèbre de la Vulgate, qui a traîné dans bien des livres et entretiens de spiritualité : nolite in sublime tolli. »

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  • Samedi après les Cendres

    Dans un texte que j’ai déjà reproduit (voir ici), dom Guéranger résume admirablement la signification de l’évangile de ce jour en ce temps liturgique. La barque sur la mer, c’est l’Eglise avec ses fidèles qui vont peiner pendant les 40 jours que dure la traversée. Quarante jours qui « pèseraient à notre lâcheté, si le Sauveur lui-même ne venait les passer avec nous ». Il prie avec nous, il jeûne avec nous, et nous pouvons avoir confiance : il est déjà passé par là, il a jeûné 40 jours et vaincu le démon.

    On peut ajouter qu’en marchant sur la mer Jésus s’affirme comme Dieu. Car Job (9,8) avait dit de Dieu : « C’est lui seul qui a tendu les cieux et qui marche sur la mer comme sur le sol » (Septante) ; « qui seul a tendu les cieux, et marche sur les flots de la mer » (Vulgate).

    D’autre part Marc note de façon aussi originale que mystérieuse : « Et il voulait les dépasser ». Tel est le texte, travesti par Osty, la Bible de Jérusalem et la TOB, qui disent : « Il allait les dépasser. » Il voulait les dépasser, parce qu’il est Dieu et que l’on voit Dieu de dos comme Moïse l’a appris (c’est à dire en le suivant), et parce que ce « passage » de Jésus sur la mer renvoie au passage de la mer Rouge, donc à la Pâque, à la fête qui sera le terme de la traversée.

  • Tres vidit

    Dans l’histoire d’Abraham, que l’Eglise nous donne à lire depuis la Quinquagésime, il y a la mystérieuse apparition de Mambré, quand Abraham voit trois hommes qui viennent à sa rencontre et qu’il l’adore, au singulier.

    La Bible de Jérusalem, dans son édition de 2001, « augmentée de clefs de lecture », disait exactement ce qu’il faut dire. Dans la note en fin de chapitre : « Ce n’est pas une “adoration”, un acte de culte, mais une simple marque d’hommage. Abraham ne reconnaît d’abord dans les visiteurs que des hôtes humains, et leur témoigne une magnifique hospitalité. Leur caractère divin ne se révélera que progressivement, vv. 2, 9, 13, 14. » Et dans la note en marge (la « clef de lecture ») : « 18, 3 : Il dit Monseigneur : Abraham adore et prie un seul Seigneur, alors même qu’il s’adresse à trois personnes. Il annonce ainsi la révélation du mystère de la Trinité divine. »

    Mais c’était trop beau. Dans l’édition de 2005, les « clefs de lecture » ont été supprimées, et la note de fin de chapitre, devenue note de bas de page, est un long exposé où l’on tente de nous expliquer (je résume) qu’il a pu y avoir un texte avec le seul « Yahvé » et un texte avec trois hommes ou avec trois anges et que l’auteur du texte final a tout mélangé… On ajoute toutefois : « Dans ces trois hommes auxquels Abraham s’adresse au singulier, beaucoup de pères ont vu l’annonce du mystère de la Trinité, dont la révélation est réservée au NT. » Vu ce qui précède, et ce qui suit immédiatement sur la « vieille légende de la destruction de Sodome », on suggère manifestement au lecteur de laisser aux pères la responsabilité de leurs propos…

    Osty, lui, va plus loin, en maniant l’ironie dont il est coutumier dès qu’il évoque la tradition : « Un courant de tradition patristique chrétienne [pour la distinguer de la patristique bouddhiste, sans doute…] s’est plu (sic) à reconnaître dans ce texte une annonce du mystère de la Trinité. » N'en croyez rien...

    Mais ce n’est pas un hasard si la TOB décroche le pompon : « Le récit est tantôt au singulier tantôt au pluriel puisqu’il se réfère parfois à Dieu seul et parfois aux trois hommes [rien de plus simple, donc] ; mais l’auteur reste discret sur la manière dont se manifeste la présence divine. On imagine souvent qu’il s’agit du SEIGNEUR, accompagné de deux anges. L’iconographie orthodoxe y voit fréquemment trois anges, figure de la Sainte Trinité. »

    L’intérêt d’une traduction œcuménique, c’est qu’il y a eu un orthodoxe pour montrer l’icône de la Trinité d’Andrei Roublev. Alors, pour lui faire plaisir, on l’a ajouté à la note. Mais même l’orthodoxe de service ne voulait pas savoir que de nombreux pères grecs voient dans l’apparition de Mambré une figuration de la Trinité (sinon il n’y aurait pas l’icône). Et les catholiques n’en ont pas dit un mot non plus, et n’ont pas signalé la tradition patristique latine qui s’est cristallisée dans le mot de saint Ambroise plusieurs fois repris par saint Augustin : « Tres vidit et unum adoravit » : Abraham vit trois (personnes) et adora un seul.

    On remarque enfin, comme d’habitude, dans les trois Bibles, le refus absolu de toute référence à la liturgie. En l’occurrence au répons de la Quinquagésime, qui a malheureusement été supprimé de l’office du dimanche en 1960, mais qui était (de nouveau) chanté aux matines d’hier :

    ℟. Dum staret Abraham ad ilicem Mambre, vidit tres viros ascendentes per viam:
    * Tres vidit, et unum adoravit.
    ℣. Ecce Sara uxor tua pariet tibi filium, et vocabis nomen ejus Isaac.
    ℟. Tres vidit, et unum adoravit.

  • La Purification de la Sainte Vierge Marie

    La Vulgate, et avant elle les anciennes versions latines, ont modifié le texte grec de saint Luc, pour gommer une apparente incongruité. Le texte grec dit en effet : « Et quand furent accomplis les jours de leur purification, selon la loi de Moïse, ils le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur. »

    Saint Jérôme, lorsqu’il écrit son livre contre Helvidius sur la virginité de Marie, retraduisant pour l’occasion le texte original sans s’occuper des textes latins existants, écrit donc aussi : « les jours de leur purification » (cum expleti essent dies purgationis eorum), mais il ne commente pas cette anomalie, car c’est un passage où il évoque uniquement la question du « premier-né ».

    Or ce n’est pas la seule anomalie. Saint Luc les multiplie. A dessein. Dans la phrase citée il y en a une autre : « pour le présenter au Seigneur », selon la loi de Moïse. Or la Loi (à laquelle saint Luc renvoie pas moins de quatre fois dans ce bref passage), qui prévoit la purification de la mère seule et non de la famille, ne prévoit pas cette présentation au temple de Jérusalem. Elle prévoit une consécration du premier-né, qui n’a a pas à être solennisée au Temple. En revanche la loi exige le rachat du premier-né, dont saint Luc ne dit pas un mot…

    Alors que le texte paraît insister sur la purification de Marie (avec le sacrifice des deux pigeons ou tourterelles), Luc veut montrer que ce qui est important est la « présentation ». A savoir, en fait, la « consécration » à Dieu du premier-né. Qui a lieu exceptionnellement au Temple. Mais il ne veut pas utiliser le mot « consécration ». Parce qu’il sait que Jésus est saint, consacré, depuis sa conception. Et Marie et Joseph le savaient avant lui et l’ont transmis. Jean Daniélou : « La présentation de l’enfant au Temple est la reconnaissance par eux de cette consécration. Il n’a pas à être consacré. Il l’est en lui-même. Il appartient au même ordre que le Temple, puisque l’ombre, qui témoignait de la présence de Dieu dans le Temple, l’a couvert dès sa conception. »

    Le propos de saint Luc, montre le cardinal Daniélou, est de souligner le caractère sacerdotal de Jésus. (Le personnage qui importe d’abord est cet enfant, c’est pourquoi saint Luc a fait un raccourci est disant « leur purification » en parlant de Marie mais en pensant aussi à Jésus - du reste ni l’un ni l’autre n’avait à être purifié).

    Saint Luc, montre Daniélou, a choisi le mot « présenter » (paristhénai) parce que c’est celui qui est utilisé dans la Loi à propos des prêtres et des lévites qui se tiennent dans le sanctuaire. « La présentation a donc une signification proprement sacerdotale. Elle tend à montrer déjà en Jésus-enfant le grand prêtre de la Nouvelle Alliance. C’est le thème qui sera développé dans l’Epître aux Hébreux (9, 11-14). Par ailleurs, toujours dans le même contexte cultuel, le mot paristhénai désigne la présentation d’une offrande. Il prend alors un sens sacrificiel. Ainsi dans Rom. 12,1 : “Présentez vos corps à Dieu comme une hostie vivante.” Jésus est ainsi présenté à la fois comme le prêtre qui offre et comme le sacrifice qui est offert. » (Les évangiles de l’enfance, pp. 108-111.)