Et moi, comme un agneau plein de douceur qu'on porte au sacrifice, je n’ai pas su qu’ils ont médité un dessein contre moi, disant : Mettons du bois dans son pain, effaçons-le de la terre des vivants, et qu'on ne se souvienne plus de son nom.
La lecture biblique du temps de la Passion est le livre de Jérémie. En outre, la première partie du verset ci-dessus (Jérémie 11,19) fait partie du capitule des matines, et la seconde partie est le capitule des laudes. Chaque jour aux laudes on dit : « Mettons du bois dans son pain ». Car c’est là une prophétie de la Passion du Christ, l’agneau, pain de vie, qu’on porte au sacrifice de la Croix.
Pourtant aucune traduction moderne en français ne dit cela. Elles ont « Détruisons l’arbre avec son fruit » (Crampon et la majorité des traductions protestantes) ou « détruisons l’arbre dans sa vigueur » (Bible de Jérusalem), « Détruisons l’arbre en pleine sève » (TOB), « Détruisons l’arbre en sa sève » (Osty). Quant à la soi-disant Bible de la liturgie sous copyright elle invente : « Coupons l’arbre à sa racine. »
La Bible de Jérusalem et la TOB assènent leur « traduction » sans donner la moindre explication, alors qu’elle contredit toute la tradition biblique, patristique et liturgique d’Orient et d’Occident. Osty indique quant à lui qu’il « corrigé le texte ». Parce que, comme cela arrive si souvent, le texte massorétique qu’il s’efforce de suivre ne le satisfait pas. Dans le texte, dit-il, il y a « dans son pain » ou « avec son pain », ce qui ne veut rien dire, donc il met « sève » à la place… (Oui, c’est comme cela qu’ils font, Osty étant le seul à multiplier les notes où il signale qu’il « corrige » le texte hébreu. Dans lequel il y a effectivement « dans son pain » : BeLaHeMo, ce qui fait évidemment penser à... BeTLeHeM, la maison du pain.)
Or nous avons ici encore le cas d’un accord parfait entre la Septante et la Vulgate. Entre la traduction grecque réalisée par des rabbins à Alexandrie au IIIe siècle avant Jésus-Christ et la traduction latine réalisée par saint Jérôme six siècles plus tard. Toutes deux disent : « Mettons du bois dans son pain ».
Les premiers pères de l’Eglise ont immédiatement compris l’allusion à la Passion. Et si l’on en croit saint Justin, les juifs ont supprimé ce verset de leurs Bibles, comme plusieurs autres qui annonçaient le Christ. C’est ce qu’il affirme dans son Dialogue avec Tryphon (§72). S’il en est ainsi, ils l’ont donc remis ensuite, en le modifiant pour le rendre incompréhensible.
Dans sa dixième homélie sur Jérémie, Origène a un beau développement sur cette expression. Le pain de Jésus, dit-il, c’est sa parole, son enseignement qui nous nourrit. Les juifs ont ajouté du bois à son pain lorsqu’ils l’ont crucifié. Mais le bois a rendu le pain plus fort. Avant que le bois n’entre dans le pain, son enseignement ne s’étendait pas à la terre entière. Mais quand le pain eut reçu la puissance par le bois de la Croix, alors son enseignement s’est répandu partout.
Et ego quasi agnus mansuetus,
qui portatur ad victimam :
et non cognovi quia cogitaverunt super me consilia, dicentes :
Mittamus lignum in panem ejus,
et eradamus eum de terra viventium,
et nomen ejus non memoretur amplius.