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Ecriture sainte - Page 9

  • « Périssable » ?

    Selon la TOB, saint Paul dirait aux Colossiens :

    « Dieu vous a réconciliés grâce au corps périssable de son fils, par sa mort… »

    Or saint Paul dit exactement, selon le texte grec comme selon la Vulgate :

    « Il vous a réconciliés dans le corps de sa chair par la mort… »

    On voit à quel point la TOB se permet de modifier le texte, soi-disant pour le rendre plus compréhensible.

    Et comment ne pas être au moins mal à l’aise, sinon choqué, par cette expression « corps périssable » pour parler du Christ ?

    La TOB se veut une traduction en français courant. Or en français courant « périssable » veut dire : « qui ne peut être conservé dans des circonstances normales sans s’altérer » et s’emploie surtout dans l’expression « denrée périssable ». Le Trésor de la langue française qualifie de « littéraire » le sens : « qui ne dure pas, qui est appelé à disparaître ». Or le corps du Christ est précisément le seul corps humain (avec celui de sa Mère) qui ne se soit pas altéré, qui ne fut pas soumis à la corruption, et qui par delà la mort est toujours vivant. Oui, le corps de Jésus pouvait « périr », et de fait il est mort, mais « périssable » sous-entend « corruptible », et cela est inacceptable.

    L’expression de saint Paul doit d’autant plus être respectée qu’elle a un sens précis, et important, que l’on évacue si on la modifie. La « chair », c’est notre humanité blessée par le péché originel (la chair qui s’oppose à l’esprit), et c’est cette chair que le Verbe a revêtue quand il s’est fait chair. Il s’est « fait péché », sans avoir de péché. Et c’est dans un corps de cette chair qu’il nous a rachetés, par sa mort, clouant la chair à la croix pour que l’homme soit réconcilié avec Dieu et que le corps ressuscite spirituel.

    On retrouve l’expression « corps de chair » au chapitre suivant, 2,11, dans le même sens, appliqué cette fois aux fidèles, quand saint Paul dit que les chrétiens n’ont pas subi la circoncision des juifs, faite de main d’homme, mais la circoncision spirituelle du Christ, qui a opéré l’entier dépouillement, le dépouillement complet (ἀπέκδυσις, expoliatio) de votre « corps de chair », car « vous avez été ensevelis avec lui dans le baptême, dans lequel vous êtes ressuscités par la foi en l’œuvre de Dieu qui l’a ressuscité des morts ».

  • Les yeux du cœur

    Dans sa volonté insensée de gommer les hébraïsmes (au lieu de les préserver comme le faisaient les traducteurs grecs et latins), la TOB n’hésite pas à supprimer des mots de l’Ecriture sainte et à détruire des images qui font partie du patrimoine chrétien.

    Ainsi, dans l’Epitre aux Ephésiens (1,18), la TOB dit : « Qu’il ouvre votre cœur à sa lumière. »

    Or le texte dit : « Les yeux de votre cœur ayant été illuminés » (un parfait passif qui indique l’action de Dieu accomplie et dont le résultat demeure).

    La TOB veut éviter « les yeux du cœur », qu’elle considère comme un hébraïsme. Ce faisant, elle mutile le texte. Non seulement l’image des « yeux du cœur » est immédiatement compréhensible par tout le monde (« on ne voit bien qu’avec le cœur », dit le Petit Prince), mais elle est utilisée par tous les pères de l’Eglise et les auteurs spirituels. Or les auteurs de la TOB ne peuvent pas censurer tous les pères de l’Eglise et les auteurs spirituels. Donc il est absurde de censurer saint Paul où s’origine cette image (dans la continuité des psaumes où elle se trouve en substance mais pas dans les termes).

    En outre, l’œil du cœur fait l’objet d’un enseignement du Christ. Et ce n’est pas un hasard si cet enseignement est détruit par la traduction de la TOB. C’est en Matthieu 6,22 ou Luc 11,34 (texte quasi identique). Selon la TOB : « La lampe de ton corps, c’est l’œil. Quand ton œil est sain, ton corps tout entier est aussi dans la lumière ; mais si ton œil est malade, ton corps aussi est dans les ténèbres. »

    En parlant d’œil sain et d’œil malade, il n’y a plus d’enseignement, il y a un banal constat, même si l’on comprend encore que, malgré ses mots-là, il s’agit de l’œil du cœur, de l’œil de l’âme.

    Le mot que la TOB, comme la Bible de Jérusalem (et Crampon, etc.), traduit par « sain », c’est ἁπλοῦς, aplous. Ce mot veut dire « simple ». Il correspond exactement à l’adjectif français, avec tous ses sens possibles : non mélangé, non composé, pur, pas compliqué, évident, et aussi simplet… Avec la précision morale venant de l’Ancien Testament (du mot hébreu ainsi traduit par le grec) : intégrité, rectitude. Le nom, simplicité, est employé plusieurs fois par saint Paul pour définir ce que doit être notre rapport avec Dieu et avec nos frères : sans détours, sans apprêt, sans fard, sans faux-fuyants, sans hypocrisie, comme un enfant ; naïf, pourrait-on dire, si le mot n’était pas devenu, hélas, péjoratif.

    Tel est, de même, l’œil simple. La TOB aurait pu traduire… simplement, et mettre une de ses interminables notes, au lieu de suivre les mauvaises traductions existantes.

    De même, il n’y a pas d’œil « malade », mais un œil « mauvais ». Le mot, c’est πονηρός, poniros, le dernier mot du Pater : c’est le mauvais, le mal, satanique. L’œil simple attire l’illumination de l’âme, l’œil mauvais la jette dans les ténèbres.

    Et la lumière en question, c’est le Christ lui-même, qui est la lumière des hommes.

    Ce qui est grave, c’est évidemment la falsification de l’Ecriture, mais c’est aussi la quasi élimination de ce qui a inspiré une théologie des sens intérieurs, d’abord chez Origène pour les grecs, et chez saint Augustin pour les latins. Avec les développements que l’on connaît, par exemple chez saint Bernard qui était particulièrement sensible au goût – et il joue sans cesse sur le double sens de sapere : avoir de la saveur, et comprendre. Le psaume 33 y incitait déjà : « Gustate et videte quoniam suavis est Dominus » : goûtez et voyez comme le Seigneur est suave. Vous voulez savoir comment « traduit » la TOB ? « Voyez et appréciez combien le Seigneur est bon. » Et hop. Il ne reste plus rien…

  • La musique du Pater

    Pater imon o èn dis ouranis
            hayiasthito to onoma sou
            elthéto i vassilia sou
            yénithito to thélima sou
    os èn ourano kai épi tis yis

    ton arton imon ton épioussion
                 dhos imin siméron

    kai aphès imin ta ophilimata imon
                 os kai imis aphiémèn tis ophilétais imon
    kai mi issénènguis imas is pirasmon
    alla rhissai imas apo tou ponirou.

    Ci-dessus, le Pater, en grec, dans sa prononciation liturgique, en transcription phonétique (donc toutes les lettres se prononcent, et comme il n’y a pas de voyelles nasales « on » se prononce « o-ne », et « in » se prononce « i-ne »).

    « Notre Père, qui es dans les cieux (« le dans les cieux », dit le grec) / que soit sanctifié ton nom (« le nom de toi », dit le grec) / que vienne ton royaume / que soit faite ta volonté comme dans le ciel aussi sur la terre /Notre pain supersubstantiel (« le pain de nous le supersubstantiel ») donne-nous aujourd’hui / et remets-nous nos dettes comme aussi nous remettons les dettes à nos débiteurs / et ne nous introduis pas dans la tentation / mais délivre-nous du mal. »

    Le Pater est composé de sept demandes. Trois concernent Dieu, quatre concernent l’homme, conformément au symbolisme des nombres : trois, c’est la Trinité, quatre c’est l’homme aux quatre membres qui vit dans un monde qui a quatre points cardinaux et quatre saisons. Et sept est donc le nombre total (créateur et création).

    Mais on constate aussi que si les trois premières demandes sont très liées, les trois dernières demandes le sont également : on demande à être libéré du péché et de la tentation. Alors nous avons trois demandes vers Dieu et trois demandes pour l’homme, avec au milieu une demande centrale : celle du pain de chaque jour, et du pain supersubstantiel : la nourriture corporelle nécessaire à notre vie biologique, et la nourriture divine nécessaire à notre vie spirituelle. Le pain de la vie éternelle : le Christ, qui est au centre du Pater, pain descendu du ciel, qui est à la fois Dieu (les trois premières demandes) et homme – ayant revêtu la chair du péché (les trois dernières).

    La « musique » du Pater en grec souligne tout cela.

    Les trois premières demandes sont caractérisées par leur finale en « a-sou », et elles sont encadrées par deux propositions se terminant par « is (…) is ». (Ce qui répond à la question de savoir si « sur la terre comme au ciel » concerne la troisième demande, ou les trois : on voit clairement que ce sont les trois.)

    Il y a ensuite la demande centrale du Pain, qui est une suite d’assonances en « on ». Elle a été discrètement annoncée par le Père dès le début de la prière, et elle va se retrouver en écho dans les deux demandes suivantes, car nous avons besoin de ce Pain pour pardonner et pour résister à la tentation. Les trois dernières demandes sont étroitement liées à la quatrième par le jeu des « imon, imin, imas ». Mais la dernière demande finit dans une sonorité étrangère au reste de la prière, qui donne l’impression de tomber à plat, sur un « ponirou » déconcertant : c’est le monde où nous vivons, le monde du mal, le monde de la dissonance, par contraste avec le monde divin des premières demandes, auquel renvoie néanmoins, faiblement, le son « ou ».

    On dit que pour mieux comprendre le Pater on peut le lire et le méditer en commençant par la fin. C’est-à-dire par le pire de la condition humaine, pour arriver au Père. Les sonorités du Pater en grec soulignent aussi cette lecture : nous sommes dans le mal, la tentation, le péché, pour en sortir nous devons prendre le Pain, et par le Pain (le Christ) nous avons accès au Royaume. Et le « ou » mourant de « ponirou » est absorbé par le ferme triple « sou » de l’appartenance au Père. Lu ainsi, le Pater précise que nous devons pardonner à nos frères avant de participer au Saint Sacrifice, comme Jésus l’enseigne dans l’Evangile. S’étant incorporé au Christ, on peut alors dépasser « le ciel et la terre », la création sur laquelle on demandait que règne le Père, pour atteindre « les cieux » incréés qui sont le trône de la Trinité.

  • Traduction ?

    « TOB » veut dire « traduction œcuménique de la Bible », mais je constate que, d’une part elle n’est pas œcuménique puisqu’elle ne tient aucun compte de la tradition, d’autre part elle n’est pas une traduction puisque sans arrêt elle ne traduit pas mais interprète. Ce que les autres ont aussi tendance à faire, mais jamais à ce point-là. La TOB donne comme texte son interprétation, et donne éventuellement en note la traduction littérale. Au lieu de faire le contraire : donner la traduction littérale, même et surtout si son sens n’est pas évident, et proposer en note une interprétation.

    Quelques exemples dans l’épître aux Romains.

    Chapitre 8, verset 10 :

    « Si Christ est en vous, votre corps, il est vrai, est voué à la mort à cause du péché, mais l'Esprit est votre vie à cause de la justice. »

    Dans le texte de saint Paul, il n’y a pas « voué à la », il n’y a pas « votre », et il n’y a pas de raison de mettre une capitale à « esprit ». Saint Paul dit : « Si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, est mort à cause du péché, mais l'esprit est vie à cause de la justice. »

    Chapitre 8, verset 24 :

    « Car nous avons été sauvés, mais c'est en espérance. »

    Saint Paul dit : « Car c’est en espérance que nous sommes sauvés » (ou « avons été sauvés »). Le « mais » est beaucoup trop fort. Si saint Paul avait voulu dire « mais », il aurait dit « mais ». Or il ne l’a pas dit. Il signale que c’est en espérance que nous sommes sauvés, et il va l’expliquer, mais ce qui prime est que nous sommes sauvés. Ici la Bible de Jérusalem va encore plus loin dans l’interprétation, et la mauvaise interprétation : « Car notre salut est objet d'espérance. »

    Chapitre 14, verset 16 :

    « Que votre privilège ne puisse être discrédité. »

    « Puisse » est en trop, et « privilège » est une invention (qu’on trouve aussi dans la Bible de Jérusalem).

    Littéralement : « Que donc ne soit pas blasphémé votre bien. »

    Il s’agit de ce qu’on peut manger ou non par rapport aux autres. Le sens est donc manifestement : que ce qui est bien pour vous ne soit pas motif à dire du mal de vous, à vous injurier. (Le verbe « blasphémer », au passif, dans le Nouveau Testament, a plusieurs fois ce sens.) En tout cas il n’y a pas de « privilège ». Et le plus fort c’est qu’en note, après avoir signalé que la traduction littérale est « votre bien », la TOB souligne qu’il n’y a pas de privilèges dans l’Eglise…

  • "In quo"

    La lecture du moment selon la liturgie est l’épître de saint Paul aux Romains. Me voilà donc embarqué dans la lecture de cette épître selon la TOB. Mais je ne suis pas sûr de pouvoir continuer à lire cette chose-là, qui ne ressemble que de loin à une traduction de la Bible.

    On constate d’abord que notes sont nettement plus longues que le texte… Parce que, même si l’on a déjà interprété le texte au lieu de le traduire, il faut néanmoins expliquer tout au long que saint Paul ne voulait pas dire ce qu’il dit, ou bien que la tradition exégétique du passage est fautive. D’un côté l’apôtre était incapable de s’exprimer clairement et il faut le faire à sa place, d’autre part les exégètes du passé étaient complètement à côté de la plaque. En bref, c’est à peine caricaturer l’entreprise que de la résumer ainsi : après avoir lu le texte et les notes, vous pouvez croire ce que vous voulez, mais pas ce qu’a écrit saint Paul.

    Dans l’épître aux Romains, et spécialement dans le chapitre 5, il faut surtout éviter de laisser croire que saint Paul aurait clairement esquissé la théologie du péché originel. Les traductions modernes rivalisent d’invention pour qu’on n’aille pas croire une telle chose. La TOB remporte le pompon haut la main. Elle « traduit » ainsi le verset 12 : « Voilà pourquoi, de même que par un homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a atteint tous les hommes : d’ailleurs tous ont péché… »

    C’est la seule « traduction » qui produise une phrase bancale qui ne se termine pas, et qui exhibe fièrement un « d’ailleurs » qui est censé traduire le grec « eph’o » et nous laisse en plan…

    La Vulgate a traduit eph’o par in quo : en lui : en Adam tous ont péché. Tous les pères latins l’ont compris ainsi, et le concile de Trente après eux. Il a fallu attendre le soi-disant « humanisme » pour qu’on décrète que la Vulgate avait tort. Et la soi-disant néo-Vulgate a corrigé en « eo quod » (en cela que).

    Devant un problème posé par la Vulgate, j’ai l’attitude inverse de celle des spécialistes modernes. Ceux-ci ont un souverain mépris pour ce texte établi sans tenir compte des règles actuelles de l’exégèse scientifique et des mirifiques connaissances que nous avons aujourd’hui des langues de l’antiquité. Je considère quant à moi que les gens qui ont traduit le texte grec en latin étaient des gens qui parlaient couramment le grec et le latin, eux, et qui parlaient le grec et le latin de leur temps, donc celui des textes, et que par conséquent on doit y regarder à deux fois, et même davantage, avant de décréter qu’ils ont tort.

    Il est vrai que, a priori, epi (« epi o » devenant « eph’o »), c’est « sur », et non « dans ». Mais ce n’est pas un exemple unique (je l’ai vu encore il y a peu de temps – mais je ne sais plus où…).

    On peut constater que tous les manuscrits latins sans exception ont « in quo omnes peccaverunt » : en qui (Adam) tous ont péché.

    C’est aussi ce que dit Pacien de Barcelone, dans son homélie sur le baptême, quand il cite ce texte de saint Paul pour parler du péché originel, alors que le reste de la phrase a des mots différents (quia au lieu de propterea, introivit au lieu de intravit, delictum au lieu de peccatum, devenit au lieu de pertransiit). Pacien de Barcelone, avant saint Jérôme et saint Augustin, avait donc un texte nettement différent de celui de la Vulgate, mais identique pour ce qui est de l’expression « in quo omnes peccaverunt ».

    Il y a d’autre part, à l’autre bout de la chrétienté, le témoignage du texte copte (bohaïrique) de cette épître, qui ajoute : « de même que par un seul homme la vie est venue ». Afin de bien préciser : la mort est venue par un seul homme, Adam, en qui tous ont péché, de même que la vie est venue par un seul homme, le Christ.

    Quand un père espagnol et un texte copte disent la même chose que la Vulgate qui a été la Bible de référence en Occident pendant 1500 ans, j’ai tendance à penser que ce ne sont pas les modernes qui ont raison…

  • Un sommet

    J’ose à peine recopier l’Annonciation selon saint Luc dans la « traduction » de la TOB, tant elle est fausse et d’une impiété frisant le blasphème :

    Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée du nom de Nazareth, à une jeune fille accordée en mariage à un homme nommé Joseph, de la famille de David; cette jeune fille s'appelait Marie. L'ange entra auprès d'elle et lui dit: «Sois joyeuse, toi qui as la faveur de Dieu, le Seigneur est avec toi.»

    « Une jeune fille »… Ce n’est donc pas seulement le mot hébreu d’Isaïe qu’on refuse de traduire par « vierge », c’est aussi le « parthenos » de l’évangile. Et l’on fait coup double : la Vulgate avait tort, bien sûr, de traduire par « virgo » ; et du coup la traduction d’Isaïe par les Septante elle-même ne signifie pas que la vierge concevra… Puisqu’il n’y a de vierge nulle part…

    « Sois joyeuse »… Une note précise qu’ici il ne s’agit pas de la salutation grecque habituelle. Donc la Vulgate avait tort (comme d’habitude) de traduire par « Ave ». Même si le mot grec a toujours le sens de Salut, Bonjour. Avec ici assurément l’arrière-fond de la joie, mais sous-entendu, et en rapport direct avec le mot suivant, qui parle de la grâce : la joie, khara, la grâce, kharis : « Khairé kekharitoméni », l’une des expressions les plus extraordinaires de la Bible.

    « Toi qui as la faveur de Dieu »… Voilà ce qui est censé traduire kekharitoméni. Une note affirme que ce mot, dans la Bible, exprime d’abord la faveur du roi. Mais ce n’est pas vrai.

    Avoir la faveur du roi, comme traduit la TOB, c’est, dans la Bible, « trouver grâce » (aux yeux du roi, devant le roi). C’est bien le mot « grâce », et non « faveur », le nom « grâce », et non un verbe, et toujours précédé du verbe « trouver » : c’est une expression toute faite qui ne correspond pas du tout à ce que dit l’ange à Marie.

    L’ange dit : kekharitoméni. Il suffit de se référer au dictionnaire Bailly pour savoir la vérité. Et le Bailly n’est pas un dictionnaire chrétien, c’est un dictionnaire laïque, universitaire. Le sens du verbe kharitoo, dit-il, c’est : « remplir de la grâce divine ». Que l’on trouve une seule fois à l’actif : Ephésiens 1,6 : Dieu nous gratifie de sa grâce. Et au passif : « être rempli de la grâce divine ». Qu’on ne trouve que deux fois : dans l’évangile de saint Luc, et dans l’Ecclésiastique.

    On peut préciser deux choses qui permettent de comprendre la traduction donnée par Bailly :

    1- le verbe est au parfait : il indique que l’action a été entièrement accomplie, et pour toujours : donc « être rempli… », complètement, sans que ça puisse changer.

    2- Ce passif sans agent est un passif biblique indiquant l’action de Dieu : donc « … de la grâce divine ».

    La « traduction » de la TOB est très gravement fautive, mais il y a une note, proprement ahurissante, qui paraît pousser la faute jusqu’à un délire d’impiété :

    « Dans la tradition orthodoxe, la traduction la plus courante est : “pleine de grâce”. »

    Sic !

    En essayant de reconstituer comment on peut en arriver là, je suppose que les "catholiques" et les protestants se sont mis d'accord sur la "traduction" protestante la plus extrémiste, que les orthodoxes ont râlé, et qu’un protestant, pour les calmer, a décidé de mettre cette note. Je n’ose imaginer que ce soit un "catholique"… qui ait complètement oublié que les catholiques disent « Je vous salue Marie pleine de grâce » depuis toujours, et que la haine de la Vulgate (« gratia plena ») détruise la mémoire au point de rejeter sur les seuls orthodoxes la traduction « pleine de grâce »…

    *

    A propos de l’Ecclésiastique, où se trouve l’unique autre exemple du verbe kharitoo au parfait passif : c’est Sir 18,17. Il est dommage que la version latine – non revue par saint Jérôme - l’ait atténué : « justifié ». Alors que si on lui donne son sens plein, le verset est plus clairement une prophétie christique :

    « Voici, est-ce donc que la Parole (en grec Logos, en latin Verbum) n’est pas supérieure à un bon don ? Et les deux sont dans l’homme plein de grâce. »

    En Jésus, l’homme plein de grâce, sont en effet le Verbe et le Don.

    Vous voulez connaître la traduction de la TOB ? « L’homme charitable joint l’un à l’autre. » Et là, il n’y a pas de note pour vous expliquer pourquoi kekharitoméni est devenu « charitable »…

  • 3e dimanche de l’Avent

    « Soyez dans la joie, toujours, dans le Seigneur. Je le dis de nouveau : soyez dans la joie, que votre mesure soit connue de tous les hommes, (car) le Seigneur est proche. »

    Tel est le début de l’introït, tel est aussi le début de l’épître d’où est tirée l’introït : Philippiens 4, 4-5 (le « car », qui ne figure pas dans l'épître, a été ajouté à l’introït dans le missel, mais il ne figure pas non plus dans les partitions du plain chant).

    La joie est ce qui caractérise le christianisme, et tout particulièrement à l’époque de saint Paul. Nous ne nous en rendons plus compte aujourd’hui, mais le P. Spicq fait remarquer qu’au Ier siècle, dans les papyrus, le mot grec khara, la joie, est très rare, et qu’il ne désigne jamais la joie de l’âme, mais toujours un plaisir passager tiré d’un fait matériel. Et il insiste : « donc aucun parallèle religieux pour le Nouveau Testament ».

    En revanche la joie spirituelle est d’une grande importance dans le Nouveau Testament, c’est la joie du salut, celle qui est annoncée par l’ange aux bergers : « Je vous annonce (evangelizo) une grande joie (gaudium magnum, megalen kharan), qui sera pour tout le peuple. » La joie de Noël. Diamétralement opposée « au pessimisme et à la désespérance du paganisme du Ier siècle ».

    Il me semble que la fin de la phrase, « le Seigneur est proche », s’applique aux deux exhortations de saint Paul, donc d’abord à la première : soyez dans la joie (car) le Seigneur est proche. Ce qui correspond particulièrement à ce temps liturgique (et c'est l'invitatoire des matines à partir de ce jour). Mais aussi, le Seigneur est proche de vous quand vous êtes dans la joie véritable, et il est proche de vous quand vous manifestez au monde votre « modestia ». (Du moins en ce qui concerne l'épître, car le chant de l'introït relie « le Seigneur est proche » à ce qui suit : « Nihil sollicitis estis » : le Seigneur est proche, n'entretenez aucun souci... » (et cela rend proprement illégitime l'ajout de enim).

    « Modestia », en grec epieikes. Le mot latin de la Vulgate a été traduit paresseusement (ou parce qu’on ne trouvait pas mieux) par « modestie » par Lemaître de Saci comme par l’abbé Fillion (mais il n'avait plus tout à fait le même sens).

    Le latin modestia veut dire d’abord, selon Gaffiot, « ce qui fait qu’on garde la mesure, modération, mesure ». Et aussi « discrétion, sentiment de respect de l’autorité, docilité ». Et encore « pudeur, modestie, vertu, sens de l’honneur, sagesse pratique, convenance ». La plupart de ces mots conviennent au grec epieikes, dont le sens premier est de même la mesure, la modération : un comportement équilibré, mais aussi, en même temps, bienveillant, clément. Dans l’Ancien Testament c’est ce qui caractérise la justice de Dieu, qui ne va pas sans la miséricorde. Le P. Spicq conclut son étude de ce mot : « Finalement, l’épieikeia néo-testamentaire n’est pas seulement modération et mesure, mais bonté, courtoisie, générosité. Davantage encore, elle évoque une certaine gracieuseté, de la bonne grâce. » Et il propose de traduire, dans l’épître aux Philippiens, par « sympathique équilibre ». Ce que l’on comprend après les explications, mais paraîtrait saugrenu dans le texte. Je pense que s’il faut garder un seul mot c’est « mesure » ou « modération » qui s’impose, quoique très insuffisant quant à l’aspect de « bonne grâce ».

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    Début de l’épître aux Philippiens dans le Codex Sangermanensis I, BNF

    Ce qui suit est réservé aux spécialistes – et aux curieux.

    Dans la Vulgate de Stuttgart, on lit : « Dominus prope ». Sans le verbe. En note, on nous dit que c’est ainsi qu’on lit dans le Codex Sangermanensis de la BNF (lat. 11533), que la Vulgate de Stuttgart a pris comme première référence pour cette épître. Mais la Vulgate de Stuttgart a 8 autres références (dont deux sur le même plan que le Sangermanensis) qui ont toutes le verbe : « Dominus prope est. » Il me semble que c’est là privilégier indûment un codex, même s’il correspond au grec, qui n’a pas le verbe (mais en grec cela paraît plus naturel qu’en latin). Or, histoire d’illustrer ma note ci-dessus, je suis allé voir sur le site de la BNF, et j’ai trouvé le Codex. Or, comme on le voit ci-dessous – quatrième ligne avant la fin – le verbe s’y trouve, très clairement: dnspropeest.

    Je suppose que je me trompe quelque part, mais je ne sais pas où. Sinon, la crédibilité de la Vulgate de Stuttgart (déjà irritante par son parti pris systématique de privilégier les manuscrits qui divergent de la clémentine), en prendrait un sérieux coup…

    (Encore une fois bravo et merci à la BNF qui met les manuscrits à la disposition de tous, sans avoir à s’inscrire par un formulaire abscons qui plante, et permet en deux clics de copier des extraits en haute résolution.)

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  • Emitte Agnum, Domine…

    « Envoyez l’agneau du souverain du pays… » Ainsi la TOB traduit-elle les premiers mots du chapitre 16 d’Isaïe. Exactement comme Osty. Les deux supposent qu’il s’agit d’un agneau donné comme tribut symbolique, au roi de Juda selon Osty, au roi de Juda ou au roi de Moab selon la TOB qui ne sait pas trop… Mais ce qui est sûr est qu'il n'y a nulle part dans l'Ancien Testament la mention d’un agneau envoyé comme tribut symbolique…

    La TOB, fidèle à son principe négationniste bétonné, ne fait aucune allusion à la traduction de la Vulgate et à son emploi dans la liturgie de l’Avent. Osty quant à lui ne se prive pas de se gausser du « contresens de la Vulgate que la liturgie catholique [il veut dire latine] a immortalisé en appliquant l’agneau à Jésus-Christ : l’Agneau dominateur de la terre ! »

    Emitte Agnum, Domine, dominatorem terrae, de petra deserti ad montem filiae Sion.

    Envoie l’Agneau, Seigneur, le dominateur de la terre, de la pierre du désert à la montagne de la fille de Sion.

    Y a-t-il vraiment de quoi se moquer de la Vulgate ?

    Le texte massorétique, le fameux texte de référence de tous les traducteurs modernes, dit littéralement :

    Envoyez-agneau dominateur-terre.

    Les traductions sont incertaines, entre « l’agneau du maître » et l’agneau qu’on envoie « au maître » (dont la soi-disant Bible de la liturgie…). Osty et la TOB (et la Bible de Jérusalem) se gardent de nous dire pourquoi elles ont choisi « du ». Et pour la Bible du rabbinat, c’est « le troupeau dû au maître du pays »…

    On constate que John Nelson Darby, l’anglican (très) dissident polyglotte qui voulait traduire au plus près des textes, a traduit : « Envoyez l’agneau [du] dominateur du pays. » Il n’allait évidemment pas donner raison à la Vulgate, mais il a dû se résoudre à mettre [du] entre crochets, car il n'y a rien dans le texte hébreu qui indique un complément de nom (ou d'attribution). Et, plus près de nous, le syncrétiste André Chouraqui qui se piquait de donner une traduction littérale, a proposé : « Renvoyez l’agnelet, gouverneur de la terre ». Renvoyez étant un pluriel, gouverneur est bien en apposition à agnelet. C’est l’agneau qui est le gouverneur de la terre. Chouraqui donne raison à la Vulgate. Et du même coup à la liturgie latine, et donc au fait que le texte est une prophétie christique. N’en déplaise à la TOB. Et Osty peut ravaler son mépris.

  • Puer natus est nobis…

    Au début du chapitre 9 d’Isaïe on lit (selon la Vulgate) : « Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière ; pour les habitants de la région de l’ombre de la mort s’est levée une lumière. » Et quelques versets plus loin : « Un enfant nous est né, et un fils nous a été donné, et le principat a été mis sur ses épaules, et il sera appelé Conseiller admirable, Dieu fort, Père du siècle futur, Prince de la paix. Son empire s’étendra, et la paix n’aura pas de fin. »

    Ces versets sont un refrain de la liturgie du temps de Noël. « Puer natus est nobis, et filius datus est nobis… » est l’introït de la messe du jour de Noël.

    Un chrétien ne peut pas lire ces versets sans être transporté à Bethléem et ressentir dans son cœur l’émotion des bergers et des mages.

    Mais la longue note de la TOB se garde de faire quelque allusion que ce soit à la Nativité. Au contraire, elle explique… qu’il ne s’agit pas d’une naissance. Sic : « Il s’agit plutôt de l’avènement d’un nouveau roi que de sa naissance, l’adoption par Dieu étant un élément essentiel du rituel d’intronisation. »

    Les titres qui lui sont donnés ? Bof, même s’ils sont divins, ce sont des titres royaux classiques, soit en Israël, soit chez les Egyptiens…

    Il fallait toute la naïveté ignare des premiers chrétiens pour y voir une prophétie christique. C’est tellement stupide qu’on préfère ne pas en parler et jeter un voile pudique sur ces errements de nos pauvres pères…

    N.B. il est remarquable que la prophétie est tellement passée dans la piété chrétienne que l’on dit spontanément : « Puer natus est nobis. » Or la Vulgate dit : « Parvulus natus est nobis. » Un tout-petit nous est né. Et il y a ensuite d’autres différences entre l’antienne d’introït et la Vulgate, car l’antienne existait avant la Vulgate et elle traduit la Septante (c’est pourquoi elle appelle le nouveau-né « Ange du grand conseil »). Cela veut dire que la prophétie d’Isaïe est devenue très tôt partie intégrante de la religion chrétienne. Il aura fallu attendre les exégètes modernes pour nier l’évidence…

  • A la découverte de la TOB…

    A nouvelle année liturgique, nouvelle Bible : je découvre la TOB. Malgré sa réputation sulfureuse, j’avais un a priori plutôt favorable, surtout parce qu’on n’y trouve pas le pénible « Yahvé ». Sous l’influence des protestants et des orthodoxes, qui tous rejettent cette invention absurde. J’espérais d’autre part que les orthodoxes auraient infléchi les faux dogmes historico-critiques. Mais il n’en est rien, manifestement. En réalité, pour ce que j’en ai aperçu jusqu’ici, cette Bible n’est en rien « œcuménique », ni chrétienne de quelque façon, elle est agnostique (et tout chrétien commence par s’y perdre, puisque l’ordre des livres est celui de la Bible juive…).

    On commence donc par Isaïe, puisque c’est la lecture de l’Avent. Et pas seulement la lecture : la liturgie de ce temps est saturée de citations d’Isaïe, tant il est vrai que le « 5e évangéliste » a annoncé tant la venue du Christ que sa Passion. Ce que l’on ne trouvera pas dans la TOB. Certes, c’est un lieu commun de l’exégèse historico-critique et donc des Bibles modernes que les prophètes ne prophétisent pas, mais ici cela va plus loin encore. Non seulement on interdit aux prophètes de prophétiser, et l’on se gausse des méthodes d’exégèse des premiers siècles (l’exégèse des pères, qui est l’exégèse de saint Paul, qui est l’exégèse… du Christ en personne dans les Evangiles…), mais la TOB pousse le négationnisme jusqu’à son ultime caricature.

    L’exemple arrive très vite : c’est bien sûr Isaïe 7, 14 : « Voici que la vierge concevra, et enfantera un fils, et on l’appellera du nom d’Emmanuel. »

    TOB : « Voici que la jeune femme est enceinte et enfante un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. »

    C’est un lieu commun de l’exégèse moderne que le mot hébreu almah ne veut pas dire vierge mais jeune femme. On ne prend même pas la peine de discuter les arguments de saint Jérôme expliquant que dans la Bible almah veut généralement dire vierge, d’où sa traduction par virgo. La première particularité de la TOB est que dans sa très longue note elle ne signale même pas la citation de ce verset dans l’évangile de saint Matthieu. Il est tellement impossible que le prophète ait prophétisé la naissance du Christ que la TOB ignore l’évangile. L’évangile qui citant Isaïe dit : « la Vierge ». En latin : virgo. En grec : parthenos. Parce que dans le texte d’Isaïe en grec il y a parthenos. Il est probable que les rabbins hellénisés des IIe et IIIe siècles avant Jésus-Christ, qui parlaient hébreu et grec, eussent une connaissance de l’hébreu et du grec qui ne soit pas totalement négligeable, et que ce n’est pas sans raison qu’ils aient traduit almah par parthenos (et forcément sans arrière-pensée chrétienne).

    A ce propos, la TOB écrit : « La tradition chrétienne ancienne, y compris orthodoxe, a privilégié la traduction grecque parthenos, interprétée comme signifiant vierge, et l’a appliquée à Marie, mère de Jésus. Mais l’ancienne version grecque a rendu également par le même mot parthenos les termes hébreux désignant une jeune femme (Gn 24,43 ; Es 7, 14…) (….). »

    1- « La tradition chrétienne ancienne, y compris orthodoxe », ça ne veut strictement rien dire. Dans la tradition ancienne il n’y a pas d’orthodoxes. Il y a des traditions latine, grecque, syriaque… Cette expression est mise là pour embrouiller l’esprit du lecteur.

    2 – Car il ne s’agit pas d’abord d’une tradition quelle qu’elle soit, mais de l’évangile de saint Matthieu (qu’on se refuse absolument à évoquer).

    3 – On nous donne deux références de la Bible grecque où parthenos voudrait dire jeune femme. La première renvoie à la rencontre de l’envoyé de Jacob avec Rebecca : la promise d’Isaac est bien évidemment vierge. La deuxième référence renvoie… au verset d’Isaïe dont nous parlons. Sic.

    Et il faudrait prendre au sérieux les guignols qui nous racontent ces misérables farces.

    Retournons à la liturgie de l’Avent…