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Ecriture sainte - Page 17

  • Vendredi des quatre temps de carême

    C’est l’évangile de la « piscine probatique ». Il semble que lorsque l’évangile fut traduit en latin on ne savait plus de quoi il s’agissait. Plusieurs manuscrits importants (que suit la Vulgate de Stuttgart) disent qu’“il y a à Jérusalem, sur la Probatique, une piscine”. Super Probatica : traduction littérale du grec. Mais en grec épi, qui veut surtout dire en effet “sur”, peut vouloir dire aussi “près de” : « près de la “Probatique” », c’est-à-dire près de la (porte) des brebis. A l’époque du Christ tout le monde comprenait (en grec). Mais par la suite, comme le mot “porte” était sous-entendu, on ne savait plus. Du coup les traductions latines ont gardé “probatique” comme un nom propre, ce qu’il était de fait, sans comprendre ce que voulait dire « Sur la des brebis ». D’autant que sur le plan symbolique il n’est pas indifférent qu’il s’agisse de la porte par laquelle passent les brebis, quand la piscine symbolise le baptême.

    Quant au nom hébraïque de la piscine, il est, dit le texte grec, Bethesda. Un nom qu’on ne trouve nulle part ailleurs, mais dont le sens est clair : Bet-hesda : la maison de la miséricorde (l’araméen hesda étant une forme de l’hébreu hesed). Car c’est dans la maison de la miséricorde que le pécheur obtient le salut par le baptême. Le nom est curieusement devenu Bethsaida dans tous les manuscrits latins, sans doute par assimilation avec le nom du village de Pierre, André et Philippe – qui veut dire maison de la pêche, ce qui après tout n’est pas hors sujet… Quant aux traductions (?) modernes elles ont inventé « Bezatha », sous prétexte qu’on ne voit Bethesda nulle part ailleurs alors qu’il y a non loin de ce lieu une vallée de Bezatha…

    On remarque que les textes grecs et latins disent : « Il y a à Jérusalem ». La phrase commence par ce verbe au présent. C’est un indice de l’ancienneté de l’évangile de saint Jean. Si cet évangile avait été écrit après la destruction de Jérusalem, comme le prétendent aujourd’hui la plupart des exégètes, on n’aurait pas « il y a », mais « il y avait ».

    Cet évangile a été choisi à cause de la piscine (du baptême) en ce jour du deuxième scrutin des catéchumènes, parce que c’est aussi le 38e jour avant Pâques et que l’homme guéri était malade depuis 38 ans.

    Saint Augustin a donné une longue explication symbolique de ces 38 ans, dont j’ai donné l’essentiel en 2010. L’homme était infirme parce que 40 est le nombre de la pénitence parfaite, et qu’il lui manque 2 : les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain. Et c’est grâce à ces deux préceptes que l’homme est guéri.

    Jésus lui donne trois ordres : lève-toi, prends ton grabat, et marche, poursuit saint Augustin. En lui disant « Lève-toi », il le guérit, mais les deux autres ordres, pris à la lettre, n’ont guère de sens : on ne voit pas pourquoi Jésus lui demande de partir sur le champ. Or ces mots sont répétés : trois fois, et même quatre fois. C’est qu’en lui disant « prends ton grabat », il lui donne le commandement de l’amour du prochain, et en lui disant « Marche », il lui donne le commandement de l’amour de Dieu. Parce que le grabat est son prochain : le grabat était son prochain qui le portait, maintenant c’est à lui de porter son prochain : « portez les fardeaux les uns des autres ». Et en lui disant de marcher, il le conduit vers Dieu qui est Amour. Preuve en est qu’il le retrouve ensuite au Temple : une fois guéri, l’homme est allé dans le lieu saint, dans le lieu de la Présence de Dieu.

  • Jeudi de la première semaine de carême

    L’évangile est celui de la Cananéenne dont la fille est tourmentée par le démon (Matthieu 15, 21-28).

    Par le fait qu’il s’agisse d’une païenne, et par son dénouement, l’épisode est très proche de celui de la guérison du serviteur du centurion, que saint Matthieu a raconté sept chapitres plus haut.

    Dans les deux cas, Jésus fait l’éloge de la foi de la personne païenne, et guérit à distance en disant : que soit fait selon ta volonté (volonté qui, par la foi, rencontre donc la volonté divine qui épouse la volonté humaine).

    Toutefois, la structure profonde du récit fait davantage penser aux Noces de Cana, dans l’évangile de saint Jean. Jésus répond durement à sa Mère, comme il répond durement à la Cananéenne, parce que « mon heure n’est pas encore venue ». A Cana parce que c’est avant sa « vie publique », face à la Cananéenne, en territoire païen, parce que l’évangélisation des païens sera le rôle de l’Eglise. (Le centurion, quant à lui, était à Capharnaum, et il était un « ami de notre peuple », selon les juifs en saint Luc.)

    D’autre part, les « chiens » et les « miettes qui tombent de la table » font penser à la parabole du riche et de Lazare, en saint Luc. La Cananéenne qui mendie la guérison de sa fille comme une miette de pain qui tombe de la table des juifs est un peu l’alter ego du mendiant dont les chiens lèchent les ulcères.

    D’autre part, si l’on pense à l’évidente signification eucharistique du récit des Noces de Cana – l’eau changée en vin comme le vin sera changé en sang du Christ – on peut voir par allusion une correspondance avec les miettes de pain (du pain des fils) qui figurent la guérison de la fille possédée – et l’Eglise souligne que le Christ est tout entier présent dans chaque miette du pain eucharistique (aux multiplications des pains Jésus demande de soigneusement ramasser les morceaux qui restent)…

    L’antienne de communion de cette messe est alors la conclusion de tout ceci :

    Panis, quem ego dédero, caro mea est pro sǽculi vita.

    Le pain que moi je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde.

  • Mardi de la première semaine de carême

    Jésus chasse « tous ceux qui vendaient et achetaient dans le temple » et il « renverse les tables des changeurs et les sièges de ceux qui vendaient des colombes » (Matthieu 21, 10-17).

    L’épisode est raconté par les quatre évangélistes. Saint Luc ne cite aucun animal. Saint Matthieu et saint Marc citent uniquement les colombes. Saint Jean cite les colombes, les bœufs et les brebis. Mais c’est aux marchands de colombes qu’il s’adresse quand il dit : « Ne faites pas de la maison de mon père une maison de commerce. » Saint Bède, dans la lecture des matines, souligne que la colombe est l’image du Saint-Esprit, et que les colombes signifient les charismes du Saint-Esprit : « Or, dans le Temple de Dieu aujourd’hui, qui vend des colombes sinon ceux qui dans l’Eglise reçoivent de l’argent pour l’imposition des mains ? Par cette imposition, en effet, le Saint-Esprit est donné d’en haut. »

    C’est la simonie, dont on jugerait à tort qu’elle n’existe plus (cf. par exemple le copyright des évêques sur leur très mauvaise traduction soi-disant liturgique de la parole de Dieu).

    Si saint Matthieu ne cite que les colombes, il fait néanmoins allusion aux autres animaux du sacrifice, par l’intermédiaire du psaume 8. Jésus en effet cite le psaume 8 pour justifier que les enfants l’acclament comme le fils de David : « De la bouche des enfants et des nourrissons tu as parfait la louange ». L’épître aux Hébreux cite un autre verset de ce même psaume pour souligner que ce psaume parle bien du Christ, auquel tout est soumis sur la terre. Le psaume précise : les moutons et les bœufs, toutes les bêtes des champs, les oiseaux et les poissons. Or le psaume suivant qui évoque les bœufs est le 49e, et c’est le psaume où Dieu dit qu’il ne veut pas de sacrifices d’animaux, parce que tout ce qui est sur la terre est à lui et qu’il ne mange pas de la chair de taureau et ne boit pas du sang de bouc. Mais qu’il faut immoler à Dieu un sacrifice de louange. C’est la prophétie de ce psaume, la demande même de Dieu, que le Christ réalise dans le temple quand il chasse les marchands d’animaux. Le seul sacrifice doit être le sacrifice de louange, la seule louange digne de Dieu : le sacrifice du Fils de Dieu.

    C’est pourquoi dans l’évangile de saint Jean, les Juifs demandent à Jésus quel est le signe qu’il accomplit (à la façon des prophètes d’autrefois), et il leur répond : Détruisez ce temple, et en trois jours je le relèverai. « Il parlait du temple de son Corps. »

  • Sexagésime

    L’évangile est la parabole du semeur qui sortit pour semer sa semence, racontée par les trois synoptiques et expliquée par Jésus lui-même les trois fois : la semence est la Parole, et Luc précise : Logos tou Théou, le Verbe de Dieu.

    La « semence » est également au cœur des lectures des matines de cette semaine : l’histoire du Déluge. Car Noé construit une arche pour que soient sauvées toutes les espèces, ce qui se dit en grec et en latin leur « semence » ; autrement dit le code génétique de tous les animaux (Genèse 7, 3). Or tous les animaux ont été créés par le Verbe…

    En grec, semence, c’est sperma. La Parole c’est Logos. Deux mots très fréquents dans le Nouveau Testament, et qui sont au cœur de la doctrine chrétienne, comme le montre la parabole (où curieusement on ne trouve pas le mot sperma, mais le participe du verbe speiro, et un autre mot issu du verbe : sporos).

    Dans les Actes des Apôtres (17, 17-18), saint Paul discute sur l’« agora » d’Athènes, « tous les jours », avec les gens qu’il rencontre, notamment avec des épicuriens et des stoïciens. Et ces Grecs s’exclament : « Que veut dire ce spermologos ? »

    Le mot spermologos est très intéressant, et très mal traduit dans toutes les traductions françaises, car aucun traducteur n’a perçu le clin d’œil amusant de saint Luc.

    En grec classique, spermologos, de sperma, semence, et legein, rassembler, se disait des oiseaux qui passent leur temps à picorer des graines. Le mot est même passé par le latin en français pour désigner une espèce de corbeau, le freux : corvus frugilegus.

    Mais ensuite le mot a pris un sens figuré, selon deux directions : il s’agit soit du clochard qui glane sa nourriture dans les poubelles et les restes des marchés, soit du bavard qui rassemble n’importe quels ragots et les raconte à n’importe qui. Les traducteurs de la Bible auraient dû comprendre que ces sens figurés ne peuvent pas s’appliquer à saint Paul vu par les philosophes de l’agora. Car le terme était devenu quasiment une insulte, or les épicuriens et les stoïciens ne rejettent pas saint Paul, au contraire ils l’invitent à l’Aréopage pour qu’il explique sa doctrine plus avant.

    Les traductions françaises se répartissent en trois catégories très inégales. La grande majorité traduit « discoureur ». Autrement dit c’est le deuxième sens figuré, mais très atténué, or ce sens n’est attesté nulle part. Certains veulent conserver le sens premier et traduisent par « picoreur », Chouraqui allant même jusqu’au littéral « picoreur de semences ». Et d’autres essaient de tout combiner, faisant de saint Paul une « jacasse », un « pierrot », voire même un « perroquet » (Bible de Jérusalem). En laissant entendre qu’il s’agit d’un bavard invétéré qui répète ce qu’il a entendu (picoré) ici et là. Or ce n’est pas du tout ce que disent les épicuriens et les stoïciens. Car si tel était le cas, ils le laisseraient pérorer sur l’agora et ne l’inviteraient certainement pas à l’Aréopage.

    Comme tous les traducteurs ont le plus profond mépris pour la Vulgate, aucun ne va voir ce que dit le texte latin. Sinon pour ricaner que la Vulgate a bêtement transposé en latin le mot grec : « seminiverbius », plus ou moins « parole de semence », avec la terminaison en –ius caractéristique du bas latin et sans même voir que legein ici ne voulait pas dire parler mais rassembler.

    En réalité les anciennes versions latines avaient, en bon latin, « seminator verborum » : semeur de paroles… qui ne peut pas être une bonne traduction de spermologos.

    Plusieurs manuscrits de référence de la Vulgate ont encore « seminator verborum ». Il se pourrait bien que ce soit saint Jérôme qui, révisant ces textes, ait corrigé en « seminiverbius ». Décalquant en toute connaissance de cause le mot grec, et sachant alors, forcément, qu’il s’agit d’un clin d’œil à la caricature de l’Evangile, et de la prédication de saint Paul, selon les philosophes grecs. En quelque sorte, ceux-ci appellent saint Paul « monsieur Semence-Verbe » : « Tiens, c'est encore le Semençoparoleux ! Viens donc à l'Aréopage nous expliquer ton affaire !  » Ça les amuse d’entendre ce doctrinaire juif mettre sans cesse en rapport, de façon parfaitement incongrue pour la philosophie grecque, un terme d’agriculture et un terme philosophique.

    Or saint Paul est en effet « monsieur Semence-Verbe ». Car la semence qu’il répand par sa parole est le Verbe qui produit la vie éternelle, en accord avec la parabole du semeur, mais plus généralement avec tout le Nouveau Testament où l’on trouve 107 fois – en comptant spermologos – le mot semence ou semer, et avec la Genèse où Dieu crée les semences selon leur espèce, où Noé conserve les semences à travers le Déluge.

  • 3e dimanche après l’Epiphanie

    L’évangile de ce dimanche conte deux miracles : la guérison d’un lépreux et celle du serviteur du centurion.

    Pour la première, Jésus utilise à la fois le geste et la parole. Il touche le lépreux en disant : Sois purifié. C’est le principe du sacrement : Jésus nous touche par un élément matériel, comme l’eau du baptême, et produit la grâce par sa parole transmise par l’Eglise et dite par un ministre.

    Pour la seconde guérison, Jésus n’utilise que la parole. Car sa parole, parole du Verbe, est toute puissante. Il doit le montrer. Et il le montre de façon spectaculaire en guérissant à distance le serviteur d’un païen qui croit à cette puissance. Jésus dit à ce militaire romain qu’il va aller guérir son serviteur, et le militaire refuse parce qu’il croit fermement que Jésus peut le guérir d’un seul mot, d’une seule pensée. D’où l’exclamation de Jésus : « Je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël. »

    La réponse du centurion est devenue la prière avant la communion, en remplaçant simplement « serviteur » par « âme » : « Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea. »

    Il est regrettable que (presque*) toutes les traductions de « dic verbo » soient : « Dis un mot », ou « dis une parole ». Car le texte ne dit pas cela. Il a « verbo », à l’ablatif, et non « verbum », à l’accusatif : « verbo » n’est pas un complément d’objet de « dic ». Il traduit exactement le grec εἰπὲ λόγῳ (ipé logo), où λόγῳ est un datif (correspondant à l’ablatif latin), alors que Matthieu utilise ailleurs tout à fait normalement le verbe « dire » avec la « parole » à l’accusatif.

    Le sens de l’expression est : « Dis, avec une parole, par ta parole » (ce sera le cas de nouveau quelques versets plus loin quand Jésus chassera les mauvais esprits λόγῳ, par sa parole). Et « dire » a ici le sens de « donner un ordre », comme le centurion lui-même l’illustre juste après (« j'ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l'un : Va ! et il va »). Le sens est donc : « D’un mot, donne l’ordre que mon serviteur sois guéri. »

    On doit remarquer que saint Matthieu aurait pu utiliser un autre mot. Notamment « ῤῆμα ». Mais il utilise « logos ». Et il n’est évidemment pas interdit d’entendre : « Dis, par le Verbe, et mon serviteur sera guéri ».

    Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis, donne l’ordre, par le Verbe, parce que tu es le Verbe, et mon âme sera guérie.

    _____

    * En français, il n’y a que la Bible « du Monde Nouveau », c’est-à-dire des Témoins de Jéhovah, et la traduction du Nouveau Testament par le protestant Edmond Stapfer, qui aient cherché à rendre le vrai sens : « donne seulement un ordre ».

    Addendum. - J'avais oublié la Bible Osty, qui dit: "Commande seulement d'une parole." Il y a donc au moins une Bible catholique qui a tenu compte de l'ablatif.

  • Les spécialistes…

    Dans Contre Celse, IV, 71, Origène cite un propos de saint Paul, trois mots de la première épître aux Corinthiens, 2, 13. Une note de l’édition des Sources chrétiennes, réalisée par le père jésuite Marcel Borret, nous dit que « le passage est difficile ». Et il nous cite six traductions différentes, de la Bible de Jérusalem à Crampon. Et finalement, dit-il : « Je traduis comme Chadwick. » A savoir Henry Chadwick, grand traducteur d’Origène… en anglais.

    Or, traduit en français de la géniale traduction anglaise, le propos de saint Paul donne : « comparant les choses spirituelles aux spirituelles ».

    Ce qui est littéralement la traduction de la Vulgate : « spiritualibus spiritualia comparantes ».

    Autrement dit, cela fait plus de 1.500 ans que l’Eglise propose et garantit cette traduction, que le P. Borret a découverte chez Henry Chadwick…

    Mais la Vulgate, c’est d’un commun…

  • « Notre salut est un objet d’espérance » ?

    Je tombe sur cette phrase, dans l’épître aux Romains, ou plutôt dans la traduction qu’en donne la Bible de Jérusalem.

    Comme quoi il faut vraiment se méfier de cette Bible. Car ce n’est pas ce que dit saint Paul, et la Bible de Jérusalem abâtardit un texte crucial pour en faire un propos banal.

    Saint Paul dit que nous sommes sauvés en espérance.

    En grec :

    Τῇ γὰρ ἐλπίδι ἐσώθημεν.

    En latin :

    Spe enim salvi facti sumus.

    Le latin insiste : nous sommes sauvés, c’est fait, "facti", c’est un fait. Il traduit ainsi l’aoriste grec, qui indique une action réalisée.

    Notre salut n’est donc pas « un objet d’espérance ». Nous sommes sauvés, par la mort et la résurrection du Christ qui nous ont été appliquées au baptême. (Cf. aussi Colossiens 1, 13 : "[Dieu] nous a délivrés de la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour".) Les effets du salut restent à venir, et viendront si notre vie correspond à ce salut. Là est l’espérance. Mais il ne s’agit pas d’un simple espoir. Car elle est certitude que le salut m’a été donné. Tel est d’ailleurs le thème du début de l’encyclique de Benoît XVI sur l’espérance, dont le titre est précisément l’expression de saint Paul : « Spe salvi ». Une encyclique qui devrait obliger la Bible de Jérusalem a revoir sa traduction.

  • 16e dimanche après la Pentecôte

    Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus dit : « Qui de vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits, ne l’en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat ? »

    L’âne et le bœuf, cela renvoie à plusieurs passages de l’Ancien Testament. Ici, Jésus combine divers versets pour montrer qu’il est licite de guérir le jour du sabbat.

    Matériellement, ce que dit Jésus fait penser à Exode 21, 33 : « Si quelqu'un a ouvert sa citerne ou en creuse une sans la couvrir, et qu'il y tombe un bœuf  ou un âne… ». Mais la suite ne correspond plus : « Le maître de la citerne rendra le prix de ces bêtes, et la bête qui sera morte sera pour lui. »

    La vraie référence est ailleurs.

    Dieu dit : « Tu travailleras pendant six jours, et le septième tu ne travailleras pas, afin que ton bœuf et ton âne se reposent » (Exode 23, 12). Mais il peut arriver que le bœuf ou l’âne en profitent pour faire une escapade. Or, « si tu vois l’âne ou le bœuf de ton frère tombé dans le chemin, tu ne seras pas indifférent, mais tu l’aideras à se relever » (Deutéronome 22, 4). Et ce n’est pas seulement valable pour l’âne et le bœuf de ton frère, c’est valable aussi pour ceux de ton ennemi : « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne lorsqu’il est égaré, ramène-le lui » (Exode 23, 4).

    A plus forte raison celui dont l’âne ou le bœuf est tombé dans le puits va l’en sortir, même si c’est le jour du sabbat, qui implique de laisser se reposer l’âne et le bœuf, mais pas de le laisser mourir dans un trou.

    A plus forte raison encore est-il donc licite de guérir un être humain le jour du sabbat. Et il n’y a aucun des invités du chef pharisien qui fasse une objection.

    Jésus guérit donc l’hydropique, ce que saint Luc dit en trois mots, trois verbes : l’ayant pris, il le guérit, et le renvoya. Une concision extrême, unique chez saint Luc qui est médecin et donne volontiers des détails. C’est qu’ici la guérison n’a pas d’importance. C’est une des innombrables guérisons de Jésus qui guérissait tous les malades qui l’approchaient. Cette guérison est seulement ce qui permet à Jésus de donner un enseignement sur le sabbat. Sur son sabbat : Dieu sauve les hommes le jour du sabbat, le jour de son « repos », car ce 7e jour est celui qui va devenir le 8e jour, le jour du salut.

    On remarquera aussi que pour dire que les pharisiens ne répondent rien, saint Luc utilise un verbe qu’il n’emploiera qu’une seule autre fois, pour dire que les saintes myrophores restent chez elles le jour du sabbat : un verbe caractéristique de l'attitude qu'on doit avoir pendant le sabbat, qui veut dire rester tranquille ou garder le silence (ne rien faire ou ne rien dire), et qui dans le contexte de cette péricope prend un aspect quelque peu ironique.

  • Ceux qui prétendent corriger saint Jean

    La ridicule arrogance et les raisonnements infantiles des grands spécialistes de l’exégèse historico-critique devraient être purement et simplement ignorés. Malheureusement leur travail de sape de la foi est repris comme… vérité d’évangile dans presque toute l’édition contemporaine des livres saints. C’est une des raisons pour lesquelles je ne m’intéresse guère aux Bibles en français. Or voici que je découvre par hasard une note de la Bible de Jérusalem, au début de l’évangile de saint Jean, qui est un sommet de la stupidité « historico-critique ».

    Je passe sur la rengaine que l’Evangile de saint Jean n’est pas de saint Jean et que l’évangéliste qui signe saint Jean, pour le Prologue, a repris un texte antérieur… Je parle de la note sur les versets 6 à 8 du Prologue, ceux qui parlent de saint Jean Baptiste : « Il y eut un homme envoyé par Dieu, son nom était Jean… » La note de la Bible de Jérusalem affirme tout de go que ces versets ne sont pas à leur place, et que, « primitivement » (sic), ils se trouvaient après le Prologue, juste avant le verset 19, qui donne justement le témoignage de saint Jean Baptiste.

    En effet au verset 7 on nous parle du témoignage de saint Jean Baptiste, mais c’est seulement au verset 19 qu’on a ce témoignage, DONC le verset 7 a été déplacé, sans doute par un scribe qui ne maîtrisait pas bien le copier-coller…

    Ce qui est grave est que la plupart des lecteurs de la Bible de Jérusalem croient donc qu’en effet les versets 6-8 ont été déplacés par un abruti et qu’il convient de les remettre à leur place…

    Les exégètes qui ont inventé cela sont à la fois myopes et insensibles. S’ils étaient un tant soit peu sensibles au mouvement du texte (avant de le décortiquer à la loupe déformante), ils constateraient que l’on part de Dieu pour descendre vers l’homme, puis qu’on remonte de l’homme vers Dieu. Et que dans la descente comme dans la remontée il y a une étape qui est saint Jean Baptiste. Car saint Jean Baptiste n’est pas seulement dans les versets 6-8, il est aussi au verset 15 (et là, la Bible de Jérusalem oublie de nous dire où il faut le mettre…).

    Ces deux mentions de saint Jean Baptiste sont là pour souligner que ce Prologue est construit en inclusion. Un peu partout dans les évangiles il y a des inclusions, souvent étonnantes, que l’on peut découvrir quand un verset renvoie à l’évidence à un verset précédent. On remarque alors que les versets intermédiaires sont construits en miroir, autour d’un verset central qui est le plus important.

    Ici nous voyons déjà qu’il y a sans doute inclusion, par le mouvement du texte qui part de Dieu pour arriver à l’homme et repart de l’homme pour arriver à Dieu. Les deux mentions de saint Jean Baptiste soulignent l’inclusion et permettent de la compléter (comme les chiffres indiqués dans la grille de sudoku).

    Le noyau du Prologue se trouve donc entre les deux mentions de saint Jean Baptiste : les versets 9-14. Et l’on découvre alors que le centre de l’inclusion, donc le centre et sommet du Prologue, n’est pas « Et le Verbe s’est fait chair », puisque c’est le verset 14, mais le pouvoir que nous donne le Verbe fait chair « de devenir fils de Dieu », car tel est le but de l’incarnation (la descente de Dieu en l’homme pour remonter les hommes en Dieu) : c’est le verset 12. Alors on voit que le verset 13 répond au verset 11, le verset 14 aux versets 10 et 9…

    Un autre aspect de l’inclusion est qu’on ne revient pas au point de départ tel qu’il était, mais enrichi, ou déplacé pour montrer un nouveau point de vue. Ici, le « Verbe » du premier verset est devenu le « Fils unique-engendré » ; il était « chez Dieu » et il « était Dieu », il est « dans le sein du Père » ; il était « au Principe », il nous l’a « dévoilé », manifesté, raconté.

    Prétendre stupidement que les versets 6-8 ne sont pas à leur place, c’est empêcher de découvrir cette structure et cette richesse (dont il y aurait évidemment encore beaucoup, infiniment, à dire).

  • L’Annonciation

    C’est la mode aujourd’hui de traduire les premiers mots de la salutation angélique par « Réjouis-toi. » Et la sublime prière de l’Acathiste, qui multiplie les saluts à la Mère de Dieu, est elle aussi défigurée par des « Réjouis-toi » à répétition.

    Si l’on demande le pourquoi de cette innovation, on nous répond doctement que c’est parce que le texte grec dit Khairè, et que le verbe khairo veut dire se réjouir.

    Ce qui est idiot. Si le mot khairè vient en effet du verbe qui veut dire se réjouir, cet impératif employé au moment d’une rencontre veut seulement dire bonjour. C’est pourquoi il a été traduit en latin par Ave (dont les dictionnaires soulignent qu’il est l’équivalent de Khairè), et qu’il est traduit en arabe par salam (as-salamou aleiki). Parce qu’en arabe on se salue en disant salam (la paix soit avec toi). Si en arabe et en hébreu il est question de la paix, en grec de la joie, et en latin de rien du tout, et si le christianisme latin a inventé le « salut » (ce qui veut dire : je te souhaite le salut éternel), il est absurde de vouloir ramener le bonjour à ses origines dans chaque langue. (1)

    En revanche, ce que l’on constate dans le texte grec, c’est que khairè est immédiatement suivi de kekharitoménè. Ce mot est le participe parfait passif du verbe kharitoo : combler de grâce. De kharis, qui veut dire la grâce avant de dire la joie.

    L’ange emploie donc deux fois de suite le même mot : une fois pour la salutation, et juste après pour dire à Marie qu’elle est comblée de grâce. L’insistance est évidente.

    Or, lorsqu’on dit bonjour à quelqu’un, on l’appelle par son nom. L’ange ne dit pas « bonjour, Marie ». A la place du nom, il dit « comblée de grâce ». Comme si c’était son nom. Et il veut dire en effet que c’est son nom. Cela nous renvoie au pied des Pyrénées, dix-huit siècles plus tard, lorsque la « belle dame » répondra à Bernadette qui lui demande son nom : « Je suis l’Immaculée Conception. » Saint Maximilien Kolbe soulignera que c’est son nom, car c’est le mot qui la définit dans sa réalité la plus profonde. Or c’est déjà ce que dit l’ange. Car par le participe parfait, il indique que la femme à laquelle il s’adresse a été et demeure totalement emplie de la grâce divine. Ce n’est pas autre chose que l’Immaculée Conception.

    L’ange ajoute : « Le Seigneur est avec toi », ce qui est une insistance supplémentaire : il n’y a pas plus proche du Seigneur que celle qui est remplie de sa grâce. Et en hébreu l’expression se dit Emmanuel, le nom de l’enfant qu’elle va mettre au monde selon la prophétie d’Isaïe.

    Lorsque l’ange dit : « Tu as trouvé grâce auprès de Dieu », il ne contredit pas le pas le fait qu’elle est déjà « Pleine de grâce », il fait référence à Noé, qui est le premier personnage à qui Dieu a dit cela. Parce que Noé est après le déluge le père de tous les hommes, comme Marie sera après le péché originel la Mère de tous les hommes sauvés.

    Ce qu’il dit ensuite pour expliquer ce que sera cet enfant est un extraordinaire tissu de citations de la Bible : Juges, Samuel, Psaume 2, Isaïe, Michée, Daniel (en trois petits versets !). On remarque qu’il modifie la prophétie d’Isaïe (« Une vierge concevra, et enfantera un fils, et son nom sera Emmanuel ») en la mettant, logiquement, à la deuxième personne : tu concevras (toi, la Vierge), et en disant que le nom de l’enfant sera Jésus. Car « Emmanuel » (Dieu avec nous) se trouvait déjà dans « Le Seigneur est avec toi », et il portera le nom de Jésus (Dieu sauve) puisqu’il est le vrai Jésus (« Josué ») qui fait entrer le peuple élu dans la terre promise.

    Enfin, lorsqu’il déclare qu’Elisabeth aussi est enceinte malgré sa vieillesse, il ajoute : « Car rien n’est impossible à Dieu », selon les traductions habituelles. C’est une citation de la Genèse, quand Dieu dit la même chose à Sara qui est stérile. Mais il dit littéralement (dans la Vulgate comme dans le texte grec) : « Point n’est impossible à Dieu toute parole. » C’est-à-dire : Dieu a le pouvoir de réaliser tout ce qu’il dit. Il faudrait pouvoir garder ensemble le thème de la puissance divine et le thème de la parole : c’est toute l’histoire de l’Incarnation.

    Daoudal Hebdo n° 27, 19 mars 2009

    (1) Le quatrième dimanche de carême est souvent (pas cette année, certes) très proche de la fête de l’Annonciation. C’est le dimanche de Lætare : « Réjouis-toi ! ». Cet introït est une citation d’Isaïe. Le mot grec n’est pas Khairè, mais Euphranthèti.