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Ecriture sainte - Page 17

  • Sexagésime

    L’évangile est la parabole du semeur qui sortit pour semer sa semence, racontée par les trois synoptiques et expliquée par Jésus lui-même les trois fois : la semence est la Parole, et Luc précise : Logos tou Théou, le Verbe de Dieu.

    La « semence » est également au cœur des lectures des matines de cette semaine : l’histoire du Déluge. Car Noé construit une arche pour que soient sauvées toutes les espèces, ce qui se dit en grec et en latin leur « semence » ; autrement dit le code génétique de tous les animaux (Genèse 7, 3). Or tous les animaux ont été créés par le Verbe…

    En grec, semence, c’est sperma. La Parole c’est Logos. Deux mots très fréquents dans le Nouveau Testament, et qui sont au cœur de la doctrine chrétienne, comme le montre la parabole (où curieusement on ne trouve pas le mot sperma, mais le participe du verbe speiro, et un autre mot issu du verbe : sporos).

    Dans les Actes des Apôtres (17, 17-18), saint Paul discute sur l’« agora » d’Athènes, « tous les jours », avec les gens qu’il rencontre, notamment avec des épicuriens et des stoïciens. Et ces Grecs s’exclament : « Que veut dire ce spermologos ? »

    Le mot spermologos est très intéressant, et très mal traduit dans toutes les traductions françaises, car aucun traducteur n’a perçu le clin d’œil amusant de saint Luc.

    En grec classique, spermologos, de sperma, semence, et legein, rassembler, se disait des oiseaux qui passent leur temps à picorer des graines. Le mot est même passé par le latin en français pour désigner une espèce de corbeau, le freux : corvus frugilegus.

    Mais ensuite le mot a pris un sens figuré, selon deux directions : il s’agit soit du clochard qui glane sa nourriture dans les poubelles et les restes des marchés, soit du bavard qui rassemble n’importe quels ragots et les raconte à n’importe qui. Les traducteurs de la Bible auraient dû comprendre que ces sens figurés ne peuvent pas s’appliquer à saint Paul vu par les philosophes de l’agora. Car le terme était devenu quasiment une insulte, or les épicuriens et les stoïciens ne rejettent pas saint Paul, au contraire ils l’invitent à l’Aréopage pour qu’il explique sa doctrine plus avant.

    Les traductions françaises se répartissent en trois catégories très inégales. La grande majorité traduit « discoureur ». Autrement dit c’est le deuxième sens figuré, mais très atténué, or ce sens n’est attesté nulle part. Certains veulent conserver le sens premier et traduisent par « picoreur », Chouraqui allant même jusqu’au littéral « picoreur de semences ». Et d’autres essaient de tout combiner, faisant de saint Paul une « jacasse », un « pierrot », voire même un « perroquet » (Bible de Jérusalem). En laissant entendre qu’il s’agit d’un bavard invétéré qui répète ce qu’il a entendu (picoré) ici et là. Or ce n’est pas du tout ce que disent les épicuriens et les stoïciens. Car si tel était le cas, ils le laisseraient pérorer sur l’agora et ne l’inviteraient certainement pas à l’Aréopage.

    Comme tous les traducteurs ont le plus profond mépris pour la Vulgate, aucun ne va voir ce que dit le texte latin. Sinon pour ricaner que la Vulgate a bêtement transposé en latin le mot grec : « seminiverbius », plus ou moins « parole de semence », avec la terminaison en –ius caractéristique du bas latin et sans même voir que legein ici ne voulait pas dire parler mais rassembler.

    En réalité les anciennes versions latines avaient, en bon latin, « seminator verborum » : semeur de paroles… qui ne peut pas être une bonne traduction de spermologos.

    Plusieurs manuscrits de référence de la Vulgate ont encore « seminator verborum ». Il se pourrait bien que ce soit saint Jérôme qui, révisant ces textes, ait corrigé en « seminiverbius ». Décalquant en toute connaissance de cause le mot grec, et sachant alors, forcément, qu’il s’agit d’un clin d’œil à la caricature de l’Evangile, et de la prédication de saint Paul, selon les philosophes grecs. En quelque sorte, ceux-ci appellent saint Paul « monsieur Semence-Verbe » : « Tiens, c'est encore le Semençoparoleux ! Viens donc à l'Aréopage nous expliquer ton affaire !  » Ça les amuse d’entendre ce doctrinaire juif mettre sans cesse en rapport, de façon parfaitement incongrue pour la philosophie grecque, un terme d’agriculture et un terme philosophique.

    Or saint Paul est en effet « monsieur Semence-Verbe ». Car la semence qu’il répand par sa parole est le Verbe qui produit la vie éternelle, en accord avec la parabole du semeur, mais plus généralement avec tout le Nouveau Testament où l’on trouve 107 fois – en comptant spermologos – le mot semence ou semer, et avec la Genèse où Dieu crée les semences selon leur espèce, où Noé conserve les semences à travers le Déluge.

  • 3e dimanche après l’Epiphanie

    L’évangile de ce dimanche conte deux miracles : la guérison d’un lépreux et celle du serviteur du centurion.

    Pour la première, Jésus utilise à la fois le geste et la parole. Il touche le lépreux en disant : Sois purifié. C’est le principe du sacrement : Jésus nous touche par un élément matériel, comme l’eau du baptême, et produit la grâce par sa parole transmise par l’Eglise et dite par un ministre.

    Pour la seconde guérison, Jésus n’utilise que la parole. Car sa parole, parole du Verbe, est toute puissante. Il doit le montrer. Et il le montre de façon spectaculaire en guérissant à distance le serviteur d’un païen qui croit à cette puissance. Jésus dit à ce militaire romain qu’il va aller guérir son serviteur, et le militaire refuse parce qu’il croit fermement que Jésus peut le guérir d’un seul mot, d’une seule pensée. D’où l’exclamation de Jésus : « Je n’ai pas trouvé une telle foi en Israël. »

    La réponse du centurion est devenue la prière avant la communion, en remplaçant simplement « serviteur » par « âme » : « Domine, non sum dignus ut intres sub tectum meum, sed tantum dic verbo, et sanabitur anima mea. »

    Il est regrettable que (presque*) toutes les traductions de « dic verbo » soient : « Dis un mot », ou « dis une parole ». Car le texte ne dit pas cela. Il a « verbo », à l’ablatif, et non « verbum », à l’accusatif : « verbo » n’est pas un complément d’objet de « dic ». Il traduit exactement le grec εἰπὲ λόγῳ (ipé logo), où λόγῳ est un datif (correspondant à l’ablatif latin), alors que Matthieu utilise ailleurs tout à fait normalement le verbe « dire » avec la « parole » à l’accusatif.

    Le sens de l’expression est : « Dis, avec une parole, par ta parole » (ce sera le cas de nouveau quelques versets plus loin quand Jésus chassera les mauvais esprits λόγῳ, par sa parole). Et « dire » a ici le sens de « donner un ordre », comme le centurion lui-même l’illustre juste après (« j'ai des soldats sous mes ordres ; et je dis à l'un : Va ! et il va »). Le sens est donc : « D’un mot, donne l’ordre que mon serviteur sois guéri. »

    On doit remarquer que saint Matthieu aurait pu utiliser un autre mot. Notamment « ῤῆμα ». Mais il utilise « logos ». Et il n’est évidemment pas interdit d’entendre : « Dis, par le Verbe, et mon serviteur sera guéri ».

    Je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit, mais dis, donne l’ordre, par le Verbe, parce que tu es le Verbe, et mon âme sera guérie.

    _____

    * En français, il n’y a que la Bible « du Monde Nouveau », c’est-à-dire des Témoins de Jéhovah, et la traduction du Nouveau Testament par le protestant Edmond Stapfer, qui aient cherché à rendre le vrai sens : « donne seulement un ordre ».

    Addendum. - J'avais oublié la Bible Osty, qui dit: "Commande seulement d'une parole." Il y a donc au moins une Bible catholique qui a tenu compte de l'ablatif.

  • Les spécialistes…

    Dans Contre Celse, IV, 71, Origène cite un propos de saint Paul, trois mots de la première épître aux Corinthiens, 2, 13. Une note de l’édition des Sources chrétiennes, réalisée par le père jésuite Marcel Borret, nous dit que « le passage est difficile ». Et il nous cite six traductions différentes, de la Bible de Jérusalem à Crampon. Et finalement, dit-il : « Je traduis comme Chadwick. » A savoir Henry Chadwick, grand traducteur d’Origène… en anglais.

    Or, traduit en français de la géniale traduction anglaise, le propos de saint Paul donne : « comparant les choses spirituelles aux spirituelles ».

    Ce qui est littéralement la traduction de la Vulgate : « spiritualibus spiritualia comparantes ».

    Autrement dit, cela fait plus de 1.500 ans que l’Eglise propose et garantit cette traduction, que le P. Borret a découverte chez Henry Chadwick…

    Mais la Vulgate, c’est d’un commun…

  • « Notre salut est un objet d’espérance » ?

    Je tombe sur cette phrase, dans l’épître aux Romains, ou plutôt dans la traduction qu’en donne la Bible de Jérusalem.

    Comme quoi il faut vraiment se méfier de cette Bible. Car ce n’est pas ce que dit saint Paul, et la Bible de Jérusalem abâtardit un texte crucial pour en faire un propos banal.

    Saint Paul dit que nous sommes sauvés en espérance.

    En grec :

    Τῇ γὰρ ἐλπίδι ἐσώθημεν.

    En latin :

    Spe enim salvi facti sumus.

    Le latin insiste : nous sommes sauvés, c’est fait, "facti", c’est un fait. Il traduit ainsi l’aoriste grec, qui indique une action réalisée.

    Notre salut n’est donc pas « un objet d’espérance ». Nous sommes sauvés, par la mort et la résurrection du Christ qui nous ont été appliquées au baptême. (Cf. aussi Colossiens 1, 13 : "[Dieu] nous a délivrés de la puissance des ténèbres et nous a transportés dans le royaume du Fils de son amour".) Les effets du salut restent à venir, et viendront si notre vie correspond à ce salut. Là est l’espérance. Mais il ne s’agit pas d’un simple espoir. Car elle est certitude que le salut m’a été donné. Tel est d’ailleurs le thème du début de l’encyclique de Benoît XVI sur l’espérance, dont le titre est précisément l’expression de saint Paul : « Spe salvi ». Une encyclique qui devrait obliger la Bible de Jérusalem a revoir sa traduction.

  • 16e dimanche après la Pentecôte

    Dans l’évangile de ce dimanche, Jésus dit : « Qui de vous, si son âne ou son bœuf tombe dans un puits, ne l’en retirera pas aussitôt, le jour du sabbat ? »

    L’âne et le bœuf, cela renvoie à plusieurs passages de l’Ancien Testament. Ici, Jésus combine divers versets pour montrer qu’il est licite de guérir le jour du sabbat.

    Matériellement, ce que dit Jésus fait penser à Exode 21, 33 : « Si quelqu'un a ouvert sa citerne ou en creuse une sans la couvrir, et qu'il y tombe un bœuf  ou un âne… ». Mais la suite ne correspond plus : « Le maître de la citerne rendra le prix de ces bêtes, et la bête qui sera morte sera pour lui. »

    La vraie référence est ailleurs.

    Dieu dit : « Tu travailleras pendant six jours, et le septième tu ne travailleras pas, afin que ton bœuf et ton âne se reposent » (Exode 23, 12). Mais il peut arriver que le bœuf ou l’âne en profitent pour faire une escapade. Or, « si tu vois l’âne ou le bœuf de ton frère tombé dans le chemin, tu ne seras pas indifférent, mais tu l’aideras à se relever » (Deutéronome 22, 4). Et ce n’est pas seulement valable pour l’âne et le bœuf de ton frère, c’est valable aussi pour ceux de ton ennemi : « Si tu rencontres le bœuf de ton ennemi ou son âne lorsqu’il est égaré, ramène-le lui » (Exode 23, 4).

    A plus forte raison celui dont l’âne ou le bœuf est tombé dans le puits va l’en sortir, même si c’est le jour du sabbat, qui implique de laisser se reposer l’âne et le bœuf, mais pas de le laisser mourir dans un trou.

    A plus forte raison encore est-il donc licite de guérir un être humain le jour du sabbat. Et il n’y a aucun des invités du chef pharisien qui fasse une objection.

    Jésus guérit donc l’hydropique, ce que saint Luc dit en trois mots, trois verbes : l’ayant pris, il le guérit, et le renvoya. Une concision extrême, unique chez saint Luc qui est médecin et donne volontiers des détails. C’est qu’ici la guérison n’a pas d’importance. C’est une des innombrables guérisons de Jésus qui guérissait tous les malades qui l’approchaient. Cette guérison est seulement ce qui permet à Jésus de donner un enseignement sur le sabbat. Sur son sabbat : Dieu sauve les hommes le jour du sabbat, le jour de son « repos », car ce 7e jour est celui qui va devenir le 8e jour, le jour du salut.

    On remarquera aussi que pour dire que les pharisiens ne répondent rien, saint Luc utilise un verbe qu’il n’emploiera qu’une seule autre fois, pour dire que les saintes myrophores restent chez elles le jour du sabbat : un verbe caractéristique de l'attitude qu'on doit avoir pendant le sabbat, qui veut dire rester tranquille ou garder le silence (ne rien faire ou ne rien dire), et qui dans le contexte de cette péricope prend un aspect quelque peu ironique.

  • Ceux qui prétendent corriger saint Jean

    La ridicule arrogance et les raisonnements infantiles des grands spécialistes de l’exégèse historico-critique devraient être purement et simplement ignorés. Malheureusement leur travail de sape de la foi est repris comme… vérité d’évangile dans presque toute l’édition contemporaine des livres saints. C’est une des raisons pour lesquelles je ne m’intéresse guère aux Bibles en français. Or voici que je découvre par hasard une note de la Bible de Jérusalem, au début de l’évangile de saint Jean, qui est un sommet de la stupidité « historico-critique ».

    Je passe sur la rengaine que l’Evangile de saint Jean n’est pas de saint Jean et que l’évangéliste qui signe saint Jean, pour le Prologue, a repris un texte antérieur… Je parle de la note sur les versets 6 à 8 du Prologue, ceux qui parlent de saint Jean Baptiste : « Il y eut un homme envoyé par Dieu, son nom était Jean… » La note de la Bible de Jérusalem affirme tout de go que ces versets ne sont pas à leur place, et que, « primitivement » (sic), ils se trouvaient après le Prologue, juste avant le verset 19, qui donne justement le témoignage de saint Jean Baptiste.

    En effet au verset 7 on nous parle du témoignage de saint Jean Baptiste, mais c’est seulement au verset 19 qu’on a ce témoignage, DONC le verset 7 a été déplacé, sans doute par un scribe qui ne maîtrisait pas bien le copier-coller…

    Ce qui est grave est que la plupart des lecteurs de la Bible de Jérusalem croient donc qu’en effet les versets 6-8 ont été déplacés par un abruti et qu’il convient de les remettre à leur place…

    Les exégètes qui ont inventé cela sont à la fois myopes et insensibles. S’ils étaient un tant soit peu sensibles au mouvement du texte (avant de le décortiquer à la loupe déformante), ils constateraient que l’on part de Dieu pour descendre vers l’homme, puis qu’on remonte de l’homme vers Dieu. Et que dans la descente comme dans la remontée il y a une étape qui est saint Jean Baptiste. Car saint Jean Baptiste n’est pas seulement dans les versets 6-8, il est aussi au verset 15 (et là, la Bible de Jérusalem oublie de nous dire où il faut le mettre…).

    Ces deux mentions de saint Jean Baptiste sont là pour souligner que ce Prologue est construit en inclusion. Un peu partout dans les évangiles il y a des inclusions, souvent étonnantes, que l’on peut découvrir quand un verset renvoie à l’évidence à un verset précédent. On remarque alors que les versets intermédiaires sont construits en miroir, autour d’un verset central qui est le plus important.

    Ici nous voyons déjà qu’il y a sans doute inclusion, par le mouvement du texte qui part de Dieu pour arriver à l’homme et repart de l’homme pour arriver à Dieu. Les deux mentions de saint Jean Baptiste soulignent l’inclusion et permettent de la compléter (comme les chiffres indiqués dans la grille de sudoku).

    Le noyau du Prologue se trouve donc entre les deux mentions de saint Jean Baptiste : les versets 9-14. Et l’on découvre alors que le centre de l’inclusion, donc le centre et sommet du Prologue, n’est pas « Et le Verbe s’est fait chair », puisque c’est le verset 14, mais le pouvoir que nous donne le Verbe fait chair « de devenir fils de Dieu », car tel est le but de l’incarnation (la descente de Dieu en l’homme pour remonter les hommes en Dieu) : c’est le verset 12. Alors on voit que le verset 13 répond au verset 11, le verset 14 aux versets 10 et 9…

    Un autre aspect de l’inclusion est qu’on ne revient pas au point de départ tel qu’il était, mais enrichi, ou déplacé pour montrer un nouveau point de vue. Ici, le « Verbe » du premier verset est devenu le « Fils unique-engendré » ; il était « chez Dieu » et il « était Dieu », il est « dans le sein du Père » ; il était « au Principe », il nous l’a « dévoilé », manifesté, raconté.

    Prétendre stupidement que les versets 6-8 ne sont pas à leur place, c’est empêcher de découvrir cette structure et cette richesse (dont il y aurait évidemment encore beaucoup, infiniment, à dire).

  • L’Annonciation

    C’est la mode aujourd’hui de traduire les premiers mots de la salutation angélique par « Réjouis-toi. » Et la sublime prière de l’Acathiste, qui multiplie les saluts à la Mère de Dieu, est elle aussi défigurée par des « Réjouis-toi » à répétition.

    Si l’on demande le pourquoi de cette innovation, on nous répond doctement que c’est parce que le texte grec dit Khairè, et que le verbe khairo veut dire se réjouir.

    Ce qui est idiot. Si le mot khairè vient en effet du verbe qui veut dire se réjouir, cet impératif employé au moment d’une rencontre veut seulement dire bonjour. C’est pourquoi il a été traduit en latin par Ave (dont les dictionnaires soulignent qu’il est l’équivalent de Khairè), et qu’il est traduit en arabe par salam (as-salamou aleiki). Parce qu’en arabe on se salue en disant salam (la paix soit avec toi). Si en arabe et en hébreu il est question de la paix, en grec de la joie, et en latin de rien du tout, et si le christianisme latin a inventé le « salut » (ce qui veut dire : je te souhaite le salut éternel), il est absurde de vouloir ramener le bonjour à ses origines dans chaque langue. (1)

    En revanche, ce que l’on constate dans le texte grec, c’est que khairè est immédiatement suivi de kekharitoménè. Ce mot est le participe parfait passif du verbe kharitoo : combler de grâce. De kharis, qui veut dire la grâce avant de dire la joie.

    L’ange emploie donc deux fois de suite le même mot : une fois pour la salutation, et juste après pour dire à Marie qu’elle est comblée de grâce. L’insistance est évidente.

    Or, lorsqu’on dit bonjour à quelqu’un, on l’appelle par son nom. L’ange ne dit pas « bonjour, Marie ». A la place du nom, il dit « comblée de grâce ». Comme si c’était son nom. Et il veut dire en effet que c’est son nom. Cela nous renvoie au pied des Pyrénées, dix-huit siècles plus tard, lorsque la « belle dame » répondra à Bernadette qui lui demande son nom : « Je suis l’Immaculée Conception. » Saint Maximilien Kolbe soulignera que c’est son nom, car c’est le mot qui la définit dans sa réalité la plus profonde. Or c’est déjà ce que dit l’ange. Car par le participe parfait, il indique que la femme à laquelle il s’adresse a été et demeure totalement emplie de la grâce divine. Ce n’est pas autre chose que l’Immaculée Conception.

    L’ange ajoute : « Le Seigneur est avec toi », ce qui est une insistance supplémentaire : il n’y a pas plus proche du Seigneur que celle qui est remplie de sa grâce. Et en hébreu l’expression se dit Emmanuel, le nom de l’enfant qu’elle va mettre au monde selon la prophétie d’Isaïe.

    Lorsque l’ange dit : « Tu as trouvé grâce auprès de Dieu », il ne contredit pas le pas le fait qu’elle est déjà « Pleine de grâce », il fait référence à Noé, qui est le premier personnage à qui Dieu a dit cela. Parce que Noé est après le déluge le père de tous les hommes, comme Marie sera après le péché originel la Mère de tous les hommes sauvés.

    Ce qu’il dit ensuite pour expliquer ce que sera cet enfant est un extraordinaire tissu de citations de la Bible : Juges, Samuel, Psaume 2, Isaïe, Michée, Daniel (en trois petits versets !). On remarque qu’il modifie la prophétie d’Isaïe (« Une vierge concevra, et enfantera un fils, et son nom sera Emmanuel ») en la mettant, logiquement, à la deuxième personne : tu concevras (toi, la Vierge), et en disant que le nom de l’enfant sera Jésus. Car « Emmanuel » (Dieu avec nous) se trouvait déjà dans « Le Seigneur est avec toi », et il portera le nom de Jésus (Dieu sauve) puisqu’il est le vrai Jésus (« Josué ») qui fait entrer le peuple élu dans la terre promise.

    Enfin, lorsqu’il déclare qu’Elisabeth aussi est enceinte malgré sa vieillesse, il ajoute : « Car rien n’est impossible à Dieu », selon les traductions habituelles. C’est une citation de la Genèse, quand Dieu dit la même chose à Sara qui est stérile. Mais il dit littéralement (dans la Vulgate comme dans le texte grec) : « Point n’est impossible à Dieu toute parole. » C’est-à-dire : Dieu a le pouvoir de réaliser tout ce qu’il dit. Il faudrait pouvoir garder ensemble le thème de la puissance divine et le thème de la parole : c’est toute l’histoire de l’Incarnation.

    Daoudal Hebdo n° 27, 19 mars 2009

    (1) Le quatrième dimanche de carême est souvent (pas cette année, certes) très proche de la fête de l’Annonciation. C’est le dimanche de Lætare : « Réjouis-toi ! ». Cet introït est une citation d’Isaïe. Le mot grec n’est pas Khairè, mais Euphranthèti.

  • Dimanche in albis

    Hier c’était le samedi « in albis deponendis », le jour où l’on doit rendre à l’Eglise le vêtement blanc. Aujourd’hui c’est le dimanche « in albis depositis » : le vêtement blanc a été rendu.

    Ce dimanche se dit aussi, ou se disait encore récemment, dimanche de « Quasimodo », vestige du temps où l’on désignait les dimanches par les premiers mots de l’introït.

    « Quasi modo géniti infántes, allelúia : rationabiles, sine dolo lac concupíscite, allelúia, allelúia allelúia. »

    Il s’agit bien de deux mots : « quasi » et « modo ». Cet introït est en fait un extrait de l’épître de la messe d’hier. Donc de la première épître de saint Pierre, qui parle des chrétiens comme de nouveaux-nés, ce que sont particulièrement les baptisés de Pâques.

    Le texte de l’introït n’est pas exactement celui de la Vulgate. Il s’agit d’une version plus ancienne, qui est restée telle quelle, comme on le voit très souvent dans la liturgie, parce que c’était devenu, précisément, la version liturgique (donc immuable) et parce qu’elle était indissolublement liée à la mélodie de plain chant.

    On a ici un bon exemple de la révision de la traduction par saint Jérôme.

    D’une part, le texte liturgique dit : « Quasi modo geniti infantes ». En français nous disons : « Comme des enfants nouveaux-nés » ("modo" étant à prendre dans son sens temporel : "à l’instant", qui n’est pas le plus courant). Mais, dans "quasi", il y a "si" : quasi veut dire essentiellement "comme si" (et c’est toujours le sens du mot en français). Or ici "quasi" a le sens de "comme". Un sens bien attesté, mais pourquoi ne pas traduire le grec "hos" par son équivalent latin immédiat, qui est "sicut" ? Saint Jérôme a donc remplacé "quasi" par "sicut", et c’est plus clair.

    D’autre part, le texte liturgique parle de ces enfants « rationabiles » : doués de raison, et dans l’Ecriture et la liturgie (des oraisons de l’époque de saint Léon ou de saint Grégoire) ce mot indique une faculté spirituelle, c’est la raison éclairée par l’Esprit, devenue spirituelle.

    Mais, même s’il s’agit d’une image pour désigner les nouveaux chrétiens, les nouveaux-nés ne sont pas dotés de raison. Or il s’agit d’une faute. Tous les manuscrits grecs font de "raisonnable" un épithète de "lait", et non des nouveaux-nés. Ce n’est pas « infantes rationabiles », mais « rationabile lac ».

    Saint Pierre dit que nous devons être comme des nouveaux-nés, désirant le lait "rationnel" et "sans tromperie", afin de croître par ce lait dans le salut.

    L’introït dit que nous devons être comme des nouveaux-nés "rationnels", désirant le lait "sans tromperie".

    Or cela est vrai aussi : nous devons être comme des nouveaux-nés nourris de lait, mais avec la sagesse de l’adulte nourri des aliments solides de l’Eglise.

  • Jeudi de Pâques

    L’évangile est celui de la rencontre bouleversante de Marie-Madeleine et du Ressuscité.

    Noli me tangere…

    Aujourd’hui, la traduction la plus courante est : « Ne me retiens pas. » Alors que Noli me tangere (comme l’original grec) ne peut que vouloir dire : Ne me touche pas.

    Mais les exégètes modernes sont beaucoup plus intelligents que ceux d’autrefois, beaucoup plus intelligents que les pères et docteurs de l’Eglise, qui traduisaient bêtement « Ne me touche pas », alors que cette traduction est absurde. Pourquoi absurde ? A cause de la suite : « Ne me touche pas… parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Or, bien évidemment, une fois que le Christ sera remonté vers le Père, Marie-Madeleine ne pourra plus du tout le toucher. Et pour éviter de faire dire au Christ une absurdité, on modifie le texte de l’Evangile.

    En oubliant qu’il s’agit de la Parole de Dieu. De la Parole du Verbe même de Dieu. Et que si le Verbe incarné a dit à Marie-Madeleine « Μή μου ἅπτου », « ne me touche pas », il y a peut-être une raison…

    Or, si le Christ ressuscité dit à Marie Madeleine : « Ne me touche pas (maintenant), car je ne suis pas encore monté vers le Père », c’est bel et bien parce que, quand il sera monté vers le Père, elle pourra le toucher. Et si saint Jean a reproduit le propos sans sourciller, c’est qu’il avait parfaitement compris, lui qui puisait les paroles du Verbe sur son Cœur, ce que cela voulait dire.

    Marie-Madeleine, dit saint Bernard dans son 28e sermon sur le Cantique des cantiques, se fiait à son sens corporel de la vue, alors qu’elle aurait dû se fier à son sens spirituel de l’ouïe, pour connaître le Christ par la foi (fides ex auditu), et non par l’expérience. Le Christ lui interdit donc de le toucher, car elle continuerait à utiliser ses sens corporels, mettant « l’expérience plus haut que la foi ». Saint Bernard fait parler ainsi le Christ : « Pour être digne de me toucher, il faut que la foi me considère assis à la droite du Père, non pas dans mon état d’humiliation, mais dans ma divinité. » Alors, quand je serai monté vers le Père, et que je serai dans ma gloire, et que tu me verras ainsi avec les yeux de la foi, alors tu seras digne de me toucher. Alors « tu me toucheras avec les mains de la foi, les doigts de l’amour, l’étreinte de la piété, les yeux de l’esprit. »

    Saint Augustin avait dit équivalemment : « Jésus a voulu que la foi qu’on avait en lui, foi par laquelle on le touche spirituellement, aille jusqu’à croire que son Père et lui ne faisaient qu’un. »

    Dans un sermon sur l’Ascension, saint Léon le Grand souligne que pour nous rendre capables de la béatitude éternelle, Jésus, après avoir réalisé tout ce qu’il devait faire sur terre, mit un terme à sa présence corporelle, et qu’ainsi, « ce qu’on avait pu voir de notre Rédempteur est passé dans les sacrements ». Alors la foi peut s’approcher du Fils égal au Père, elle n’a plus besoin de toucher la substance corporelle par laquelle le Fils est inférieur au Père : « La nature du corps glorifié demeurant la même, la foi des croyants fut appelée là où elle pourrait toucher le Fils unique égal à celui qui l’engendre, non d’une main charnelle, mais d’une intelligence spirituelle. De là vient que le Seigneur, après sa résurrection, dit à Marie-Madeleine, figure de l’Eglise, alors qu’elle accourait pour le toucher : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. C’est-à-dire : je ne veux pas que tu viennes à moi corporellement, ni que tu me connaisses par le sens de la chair, mais je te réserve des réalités plus hautes, je te prépare de grandes choses. Lorsque je serai monté vers mon Père, alors tu me toucheras plus parfaitement et plus réellement, tu saisiras ce que tu ne touches pas, et tu croiras ce que tu ne vois pas. »

    Saint Léon, comme saint Bernard, comme saint Augustin (etc.), n’était pas un exégète moderne. Il avait le texte latin de l’Evangile : « Noli me tangere. » Et il savait que cela ne peut que vouloir dire : Ne me touche pas. Et, au lieu de rétrécir le texte à la dimension du petit cerveau myope d’un exégète moderne, il le place dans sa juste perspective, dans la lumière de la Résurrection.

    Addendum

    En fait il y a une raison grammaticale à la traduction "Ne me retiens pas". Mais c'est une fausse raison. Voir ici.

  • Mercredi de la Passion

    On célébrait les encénies à Jérusalem ; et c’était l’hiver. Et Jésus se promenait dans le temple…

    Les traductions courantes parlent de la fête de la dédicace. Pourtant ce n’était pas la fête de la dédicace. Le mot latin est « encaenia », calqué sur le grec egkainia. Et le mot grec était tellement passé dans le latin courant, explique saint Augustin, que l’on employait le verbe formé sur encaenia pour dire qu’on portait pour la première fois un nouveau vêtement. L’idée est donc celle de la nouveauté (grec kainos : nouveau). Il s’agit en fait de la commémoration de la purification du Temple, opérée par Judas Macchabée vers 165 avant Jésus-Christ. Jérusalem avait été complètement hellénisée, et le roi de Syrie avait offert des sacrifices païens sur l’autel du Temple. Judas Macchabée ayant repris Jérusalem, il purifia le Temple, et c’est l’anniversaire de ce jour, de ces huit jours de fête, que célèbrent les egkainia : c’est le renouvellement du Temple comme maison du seul vrai Dieu. Cette fête est toujours célébrée par les israélites, sous le nom hébreu de Hanouka (alors que toutes les sources de la fête sont en grec). Et elle a dérivé en fête des lumières puisqu'ils n'ont plus de Temple.

    Donc, on célébrait les encénies, c’était l’hiver, Jésus se promenait dans le Temple. Et les juifs lui demandent de leur dire clairement s’il est le Christ. Et il parle de son Père, pour dire que lui et son Père sont un. Et ils prennent des pierres pour le lapider.

    Jésus se promène dans le Temple parce qu’il est chez lui dans le Temple. C’est la maison de son Père et lui et son Père ne font qu’un. C’est la fête du renouvellement apporté par le Christ (en hiver, à Noël, il est la lumière nouvelle qui naît dans les ténèbres du solstice). Après avoir purifié le Temple, dit la Bible, Judas Macchabée et ses compagnons « érigèrent un autre autel », et offrirent des sacrifices. Le véritable nouvel autel, c’est le Christ. Et le véritable nouveau sacrifice, c’est lui qui va l’accomplir, en se sacrifiant lui-même. En cette fête, ajoute le texte, Judas Macchabée et ses partisans célébrèrent en même temps la fête des tentes (ou des « tabernacles »), parce que, en fuite dans les montagnes, ils n’avaient pas pu le faire. « C’est pourquoi ils portaient des branches couvertes de feuillages, des rameaux verts et des palmes, en l’honneur de Celui qui leur avait procuré la faveur de purifier son Temple. » Ce n’est pas autre chose que l’annonce de la fête des Rameaux, dimanche prochain…