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Ecriture sainte - Page 18

  • Dimanche in albis

    Hier c’était le samedi « in albis deponendis », le jour où l’on doit rendre à l’Eglise le vêtement blanc. Aujourd’hui c’est le dimanche « in albis depositis » : le vêtement blanc a été rendu.

    Ce dimanche se dit aussi, ou se disait encore récemment, dimanche de « Quasimodo », vestige du temps où l’on désignait les dimanches par les premiers mots de l’introït.

    « Quasi modo géniti infántes, allelúia : rationabiles, sine dolo lac concupíscite, allelúia, allelúia allelúia. »

    Il s’agit bien de deux mots : « quasi » et « modo ». Cet introït est en fait un extrait de l’épître de la messe d’hier. Donc de la première épître de saint Pierre, qui parle des chrétiens comme de nouveaux-nés, ce que sont particulièrement les baptisés de Pâques.

    Le texte de l’introït n’est pas exactement celui de la Vulgate. Il s’agit d’une version plus ancienne, qui est restée telle quelle, comme on le voit très souvent dans la liturgie, parce que c’était devenu, précisément, la version liturgique (donc immuable) et parce qu’elle était indissolublement liée à la mélodie de plain chant.

    On a ici un bon exemple de la révision de la traduction par saint Jérôme.

    D’une part, le texte liturgique dit : « Quasi modo geniti infantes ». En français nous disons : « Comme des enfants nouveaux-nés » ("modo" étant à prendre dans son sens temporel : "à l’instant", qui n’est pas le plus courant). Mais, dans "quasi", il y a "si" : quasi veut dire essentiellement "comme si" (et c’est toujours le sens du mot en français). Or ici "quasi" a le sens de "comme". Un sens bien attesté, mais pourquoi ne pas traduire le grec "hos" par son équivalent latin immédiat, qui est "sicut" ? Saint Jérôme a donc remplacé "quasi" par "sicut", et c’est plus clair.

    D’autre part, le texte liturgique parle de ces enfants « rationabiles » : doués de raison, et dans l’Ecriture et la liturgie (des oraisons de l’époque de saint Léon ou de saint Grégoire) ce mot indique une faculté spirituelle, c’est la raison éclairée par l’Esprit, devenue spirituelle.

    Mais, même s’il s’agit d’une image pour désigner les nouveaux chrétiens, les nouveaux-nés ne sont pas dotés de raison. Or il s’agit d’une faute. Tous les manuscrits grecs font de "raisonnable" un épithète de "lait", et non des nouveaux-nés. Ce n’est pas « infantes rationabiles », mais « rationabile lac ».

    Saint Pierre dit que nous devons être comme des nouveaux-nés, désirant le lait "rationnel" et "sans tromperie", afin de croître par ce lait dans le salut.

    L’introït dit que nous devons être comme des nouveaux-nés "rationnels", désirant le lait "sans tromperie".

    Or cela est vrai aussi : nous devons être comme des nouveaux-nés nourris de lait, mais avec la sagesse de l’adulte nourri des aliments solides de l’Eglise.

  • Jeudi de Pâques

    L’évangile est celui de la rencontre bouleversante de Marie-Madeleine et du Ressuscité.

    Noli me tangere…

    Aujourd’hui, la traduction la plus courante est : « Ne me retiens pas. » Alors que Noli me tangere (comme l’original grec) ne peut que vouloir dire : Ne me touche pas.

    Mais les exégètes modernes sont beaucoup plus intelligents que ceux d’autrefois, beaucoup plus intelligents que les pères et docteurs de l’Eglise, qui traduisaient bêtement « Ne me touche pas », alors que cette traduction est absurde. Pourquoi absurde ? A cause de la suite : « Ne me touche pas… parce que je ne suis pas encore monté vers mon Père. » Or, bien évidemment, une fois que le Christ sera remonté vers le Père, Marie-Madeleine ne pourra plus du tout le toucher. Et pour éviter de faire dire au Christ une absurdité, on modifie le texte de l’Evangile.

    En oubliant qu’il s’agit de la Parole de Dieu. De la Parole du Verbe même de Dieu. Et que si le Verbe incarné a dit à Marie-Madeleine « Μή μου ἅπτου », « ne me touche pas », il y a peut-être une raison…

    Or, si le Christ ressuscité dit à Marie Madeleine : « Ne me touche pas (maintenant), car je ne suis pas encore monté vers le Père », c’est bel et bien parce que, quand il sera monté vers le Père, elle pourra le toucher. Et si saint Jean a reproduit le propos sans sourciller, c’est qu’il avait parfaitement compris, lui qui puisait les paroles du Verbe sur son Cœur, ce que cela voulait dire.

    Marie-Madeleine, dit saint Bernard dans son 28e sermon sur le Cantique des cantiques, se fiait à son sens corporel de la vue, alors qu’elle aurait dû se fier à son sens spirituel de l’ouïe, pour connaître le Christ par la foi (fides ex auditu), et non par l’expérience. Le Christ lui interdit donc de le toucher, car elle continuerait à utiliser ses sens corporels, mettant « l’expérience plus haut que la foi ». Saint Bernard fait parler ainsi le Christ : « Pour être digne de me toucher, il faut que la foi me considère assis à la droite du Père, non pas dans mon état d’humiliation, mais dans ma divinité. » Alors, quand je serai monté vers le Père, et que je serai dans ma gloire, et que tu me verras ainsi avec les yeux de la foi, alors tu seras digne de me toucher. Alors « tu me toucheras avec les mains de la foi, les doigts de l’amour, l’étreinte de la piété, les yeux de l’esprit. »

    Saint Augustin avait dit équivalemment : « Jésus a voulu que la foi qu’on avait en lui, foi par laquelle on le touche spirituellement, aille jusqu’à croire que son Père et lui ne faisaient qu’un. »

    Dans un sermon sur l’Ascension, saint Léon le Grand souligne que pour nous rendre capables de la béatitude éternelle, Jésus, après avoir réalisé tout ce qu’il devait faire sur terre, mit un terme à sa présence corporelle, et qu’ainsi, « ce qu’on avait pu voir de notre Rédempteur est passé dans les sacrements ». Alors la foi peut s’approcher du Fils égal au Père, elle n’a plus besoin de toucher la substance corporelle par laquelle le Fils est inférieur au Père : « La nature du corps glorifié demeurant la même, la foi des croyants fut appelée là où elle pourrait toucher le Fils unique égal à celui qui l’engendre, non d’une main charnelle, mais d’une intelligence spirituelle. De là vient que le Seigneur, après sa résurrection, dit à Marie-Madeleine, figure de l’Eglise, alors qu’elle accourait pour le toucher : Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. C’est-à-dire : je ne veux pas que tu viennes à moi corporellement, ni que tu me connaisses par le sens de la chair, mais je te réserve des réalités plus hautes, je te prépare de grandes choses. Lorsque je serai monté vers mon Père, alors tu me toucheras plus parfaitement et plus réellement, tu saisiras ce que tu ne touches pas, et tu croiras ce que tu ne vois pas. »

    Saint Léon, comme saint Bernard, comme saint Augustin (etc.), n’était pas un exégète moderne. Il avait le texte latin de l’Evangile : « Noli me tangere. » Et il savait que cela ne peut que vouloir dire : Ne me touche pas. Et, au lieu de rétrécir le texte à la dimension du petit cerveau myope d’un exégète moderne, il le place dans sa juste perspective, dans la lumière de la Résurrection.

    Addendum

    En fait il y a une raison grammaticale à la traduction "Ne me retiens pas". Mais c'est une fausse raison. Voir ici.

  • Mercredi de la Passion

    On célébrait les encénies à Jérusalem ; et c’était l’hiver. Et Jésus se promenait dans le temple…

    Les traductions courantes parlent de la fête de la dédicace. Pourtant ce n’était pas la fête de la dédicace. Le mot latin est « encaenia », calqué sur le grec egkainia. Et le mot grec était tellement passé dans le latin courant, explique saint Augustin, que l’on employait le verbe formé sur encaenia pour dire qu’on portait pour la première fois un nouveau vêtement. L’idée est donc celle de la nouveauté (grec kainos : nouveau). Il s’agit en fait de la commémoration de la purification du Temple, opérée par Judas Macchabée vers 165 avant Jésus-Christ. Jérusalem avait été complètement hellénisée, et le roi de Syrie avait offert des sacrifices païens sur l’autel du Temple. Judas Macchabée ayant repris Jérusalem, il purifia le Temple, et c’est l’anniversaire de ce jour, de ces huit jours de fête, que célèbrent les egkainia : c’est le renouvellement du Temple comme maison du seul vrai Dieu. Cette fête est toujours célébrée par les israélites, sous le nom hébreu de Hanouka (alors que toutes les sources de la fête sont en grec). Et elle a dérivé en fête des lumières puisqu'ils n'ont plus de Temple.

    Donc, on célébrait les encénies, c’était l’hiver, Jésus se promenait dans le Temple. Et les juifs lui demandent de leur dire clairement s’il est le Christ. Et il parle de son Père, pour dire que lui et son Père sont un. Et ils prennent des pierres pour le lapider.

    Jésus se promène dans le Temple parce qu’il est chez lui dans le Temple. C’est la maison de son Père et lui et son Père ne font qu’un. C’est la fête du renouvellement apporté par le Christ (en hiver, à Noël, il est la lumière nouvelle qui naît dans les ténèbres du solstice). Après avoir purifié le Temple, dit la Bible, Judas Macchabée et ses compagnons « érigèrent un autre autel », et offrirent des sacrifices. Le véritable nouvel autel, c’est le Christ. Et le véritable nouveau sacrifice, c’est lui qui va l’accomplir, en se sacrifiant lui-même. En cette fête, ajoute le texte, Judas Macchabée et ses partisans célébrèrent en même temps la fête des tentes (ou des « tabernacles »), parce que, en fuite dans les montagnes, ils n’avaient pas pu le faire. « C’est pourquoi ils portaient des branches couvertes de feuillages, des rameaux verts et des palmes, en l’honneur de Celui qui leur avait procuré la faveur de purifier son Temple. » Ce n’est pas autre chose que l’annonce de la fête des Rameaux, dimanche prochain…

  • Jeudi de la première semaine de carême

    L’évangile de la messe de ce jour est celui de la Cananéenne. Cette femme, païenne, du Liban actuel, harcèle le Sauveur. Voyant Jésus passer elle ne cesse de crier en lui demandant de guérir sa fille. Les apôtres viennent dire à Jésus d’user de son autorité pour la chasser, et Jésus leur donne raison, expliquant pourquoi il ne guérira pas cette femme : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël. » Mais voici que la femme a profité du bref conciliabule pour forcer le barrage apostolique, elle se jette à ses pieds en lui demandant son secours. Et Jésus répète qu’il est venu pour les juifs : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants pour le jeter aux petits chiens. » Mais la réponse de la femme va le faire fondre : « Oui, Seigneur ; mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. » Et la fille de cette femme va donc être guérie en raison de cet acte de foi.

    Cela m’a toujours frappé que cette femme fasse changer d’avis celui qui est le Verbe incarné, le fils de Dieu, l’immuable Logos.

    Et cela nous rappelle que ce n’est pas la première fois. Tout au début, Jésus changea d’avis. Et plus précisément une femme le fit changer d’avis. C’était aux noces de Cana. Marie voulait que son fils fasse un miracle parce qu’il n’y avait plus de vin. Jésus lui répond avec une vigueur rugueusement hébraïque : « Femme, qu’y a-t-il entre moi et toi ? Mon heure n’est pas encore venue. » Marie dit simplement aux serveurs de faire ce qu’il leur dira. Et Jésus fait le miracle avant l’heure.

    « Femme », dit Jésus à sa mère. « Femme », dit-il à la Cananéenne. Seule une femme peut faire changer d’avis le Dieu tout-puissant…

    Sans doute peut-on trouver qu’il n’est pas convenable de mettre sur le même plan, même si ce n’est que sous ce rapport précis, la Mère de Dieu et une païenne anonyme. A quoi on pourra répondre que la Cananéenne représente ici l’ensemble des peuples païens qui sont avides et pressés de recevoir la grâce de l’Evangile. Autrement dit son Eglise… Et c'est sans doute ce qui lui vaut d'être citée dans un répons des matines, alors que ces répons de carême ne font que très rarement allusion à l'évangile du jour.

    On pourra remarquer à ce propos que Jésus appelle quelqu’un « Femme » 7 fois dans les Evangiles. Une fois chez saint Matthieu, pour cette Cananéenne, une fois en saint Luc, pour la femme courbée guérie le jour du sabbat, et cinq fois en saint Jean : sa mère aux Noces, la Samaritaine, la femme adultère, sa mère au pied de la croix, Marie-Madeleine. Chaque fois il s’agit d’un enseignement particulièrement important. En saint Matthieu cet enseignement est précisément le passage de l’Evangile aux païens, après la Résurrection, mais qui fuite déjà… pour nous donner la force de parcourir le carême.

  • Mardi de la première semaine de carême

    L’évangile de ce jour est très impressionnant de bout en bout. Il s’agit de Jésus chassant les marchands du Temple, selon saint Matthieu. Geste prophétique, comme on le sait, mais qui sera explicité par un autre évangéliste. Ici l’essentiel est dans l’opposition entre Jésus et les autorités israélites, opposition exacerbée par la guérison de boiteux et d’aveugles (actes que les prophètes annonçaient comme caractéristiques du Messie), et par la louange des enfants (autre caractéristique messianique). Or ce qui se passe dans le Temple est le point culminant de ce qui se passe dans toute la ville. La péricope commence ainsi : « Comme Jésus entrait à Jérusalem, toute la ville fut remuée » – agitée, troublée... C’est le mot qui a donné « commotion »… Parce que « le Prophète Jésus » entrait à Jérusalem, et qu’on sentait confusément que c’était plus qu’un prophète… qui faisait son entrée royale, sacerdotale et sacrificielle, dans Sa ville. Voyant l’attitude indigne des autorités juives, qui n’ont même pas l’intelligence des habitants de Jérusalem de le reconnaître comme prophète, « les laissant, il sortit dehors, à l’extérieur de la ville, à Béthanie, et là il demeura ».

    Il les laisse. Le verbe a un sens fort : il les laisse derrière lui, il les abandonne.

    Il sort dehors : sortir, c’est forcément dehors. On insiste. Il sort dehors, en dehors du Temple, et en dehors de la ville. Comme s’il la reniait trois fois, comme s’il secouait la poussière de ses sandales. Et il va à Béthanie, chez ses amis Marthe, Marie et Lazare. Et « là il demeura ».

    Et là s’arête la péricope. Comme si Jésus s’installait à Béthanie, parmi ses fidèles d’entre les fidèles, avec ses apôtres, abandonnant les autres hommes à leur sort… En fait, dès le lendemain matin il est de nouveau dans le Temple, pour tenter de faire comprendre aux prêtres et aux scribes qui il est. Mais la péricope est remarquable telle quelle : oui, si l’on ne veut pas de lui, le Seigneur s’en va… Et le carême est le temps qui nous est imparti pour le retrouver, pour le faire revenir…

  • La « lectio brevior » du Pater

    C’est un dogme de l’exégèse moderne (et les dogmes de l’exégèse moderne sont beaucoup plus indiscutables que ceux de l’Eglise catholique) que la version la plus courte d’un texte est forcément la plus ancienne et donc la plus authentique. Cela se dit même en latin pour faire plus dogmatique : « Lectio brevior, potior » : la leçon plus brève est meilleure.

    Je n’avais jamais fait attention, jusqu'au numéro de Présent de ce jour (article de Bernard Marie ofs, en page 8), que ce dogme oblige à une interprétation pour le moins curieuse du Pater.

    En effet, saint Luc donne un texte du Pater plus court que celui de saint Matthieu.

    On doit donc considérer que le Pater de saint Luc est le premier, le plus authentique, et que celui de saint Matthieu est une amplification de celui de saint Luc.

    Ceci a trois conséquences.

    1 - Sur le plan de l’exégèse, compte tenu des autres dogmes modernes, il en résulte que le Pater de saint Luc est celui que le Christ a enseigné aux apôtres en hébreu, et que le Pater de saint Matthieu est celui qui a été amplifié, en araméen, pour être inclus dans la liturgie. (Bien que nous n'ayons bien entendu aucun texte du Pater en araméen - a fortiori en hébreu - datant d'avant les Evangiles...)

    Ainsi, alors que rien n’indique que saint Luc connût l’hébreu, mais que tout montre qu’il était un hellénophone distingué, c’est lui qui aurait eu le Pater originel en hébreu…

    2 - Sur le plan liturgique, précisément, l’Eglise nous ferait dire à chaque messe, à l’invitation solennelle du prêtre, une prière du Seigneur qui ne serait pas la prière du Seigneur mais une pieuse (?) amplification de la prière authentique. (Quid du « … qui ne pouvez ni vous tromper ni nous tromper » ?)

    3 – Cela met par terre, annihile, toutes les explications du Pater par les pères de l’Eglise et les auteurs spirituels : toutes celles qui expliquent pourquoi il y a sept demandes : trois (nombre divin) qui concernent Dieu, et quatre (nombre de la création) qui concernent l’homme. Et qui montrent l’enchaînement parfait entre ces sept demandes (dans les deux sens), avec la demande exactement centrale du pain epioussion, supersubstantiel.

    Mais on sait que les exégètes modernes savent mieux que le Verbe divin lui-même. Pas plus tard qu’hier j’en avais un autre exemple, énorme et énormément scandaleux, dans la Bible Osty. En saint Matthieu 9, 13, le Christ dit : « Allez donc apprendre ce que signifie : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. » En note, le chanoine donne la référence de la citation : Osée 6,6, mais il souligne que dans sa propre traduction d’Osée il a écrit : « C’est la fidélité que je veux, et non les sacrifices. » Autrement dit, le Christ traduit de façon inexacte, c’est moi le chanoine Osty qui donne la bonne traduction. (Il se trouve en outre que la Septante et la Vulgate sont ici parfaitement d’accord sur le texte : très littéralement : « C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. » Comme dans l’Evangile...)

  • Traduction trahison

    En cherchant comment la Bible de Jérusalem traduisait Luc 16, 15, je suis tombé sur le verset précédent : « Ce qui est élevé pour les hommes est objet de dégoût devant Dieu. »

    Objet de dégoût ? C’est cette traduction qui l’est. Car le mot grec est bdelygma. C’est un mot qui n’était pas employé avant la Bible des Septante. Le fait de l’utiliser dans l’Evangile renvoie forcément à l’Ancien Testament. Le mot est fréquent dans le Pentateuque. Il a été traduit en latin par abominatio, et donc en français par abomination. Le traduire autrement dans l’Evangile détruit le lien que le Christ fait implicitement. Lorsque le Christ dit que ceci est « bdelygma », il renvoie à l’Ancien Testament où Dieu décrétait que ceci ou cela est « bdelygma », une abomination à ses yeux.

    En ne voulant connaître l’Ancien Testament que dans sa version juive massorétique, alors que le Nouveau Testament cite presque toujours l’Ancien dans sa version grecque, on détruit le lien entre les deux Testaments, et on détruit ici le lien qu’établit le Christ lui-même.

    Ce n’est qu’un petit exemple, en passant, de ce que fait en permanence la Bible de Jérusalem.

    (Pour être précis, le mot bdelygma vient du verbe bdelyssomai, qui vient d’une onomatopée indiquant le haut-le-coeur. Le verbe veut donc d’abord dire éprouver du dégoût, puis éprouver de l’horreur. Traduire bdelygma par objet de dégoût serait légitime s’il n’y avait pas la tradition qui remonte au Pentateuque et qui nous dit que ce mot - qui n’existait pas auparavant - veut dire abomination.)

  • Deuxième dimanche après Pâques

    Il est appelé le dimanche du Bon Pasteur, parce que l’évangile est celui où Jésus se définit ainsi. On pense aux résonances bibliques, on pense aux catacombes où le Christ était ainsi représenté de façon privilégiée, on pense au mystère pascal qui vient de se dérouler, où le bon pasteur a donné sa vie pour ses brebis, on pense au mystère de l’Eglise qui va incarner la parabole au long des siècles.

    Et il y a là de quoi occuper de longues et profondes méditations. Mais on laisse de côté un autre aspect, fort important, de la parabole. Si important que la liturgie insiste pour qu’on y fasse attention. C’est le deuxième alléluia, c’est l’antienne de communion, c’est dans les antiennes du Magnificat et du Benedictus : « Je suis le bon pasteur et je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent. »

    Je les connais et elles me connaissent. Elles me connaissent, ajoute l’Evangile, « comme le Père me connaît et que je connais le Père ».

    La vraie brebis connaît Jésus comme lui la connaît. Or, lui, il la connaît comme Dieu. Parce qu’il est Dieu, il connaît sa brebis de façon très intime, infiniment mieux qu’elle ne se connaît elle-même. Or Jésus affirme que ses brebis le connaissent comme cela, de la même façon. Ce qui implique la divinisation de la brebis.

    Et au cas où l’on n’aurait pas compris, Jésus insiste. Les brebis me connaissent comme le Père me connaît et comme je connais le Père. Elles sont, par le Christ, dans l’intimité de la Trinité, dans le  mouvement même de la connaissance trinitaire.

  • 14e dimanche après la Pentecôte

    Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous aurez à manger… Les mots « s’inquiéter » ou « inquiétude » sont utilisés quatre fois dans l’évangile de ce dimanche, et six fois en tout si l’on ajoute la phrase qui conclut cette péricope de l’évangile de saint Matthieu.

    Ne vous inquiétez pas, parce que « votre Père » sait ce dont vous avez besoin et y pourvoira. Cet insolite « votre Père » (Jésus dit habituellement : « mon Père ») souligne qu’il s’agit d’un commentaire du Pater (« Notre Père »), qui précède ce passage de quelques versets.

    Dans le Pater, Jésus avait inventé un mot grec mystérieux pour qualifier le pain (epiousios) à demander (car il faut le demander – sans inquiétude). Ici il invente un autre mot grec, bien plus simple, pour qualifier ceux qui s’inquiètent : oligopistoï, et que sœur Jeanne d’Arc traduit littéralement : minicroyants. Qui a la foi ne s’inquiète pas.

  • 3e dimanche de Carême

    L’évangile de ce dimanche paraît composite. Et, même lorsqu’on a compris qu’il s’agit tout du long du combat contre le démon, il reste la fin, étrange : cette femme qui dit bienheureuse la mère de Jésus, et à qui il répond que bienheureux sont plutôt ceux qui gardent sa parole.

    En fait, ce passage ne doit pas être lu dans la perspective qu’on lui donne dans les fêtes de la Sainte Vierge, mais comme la conclusion de tout ce qui précède : heureux celui qui écoute et met en pratique tout cet enseignement sur le démon.

    Après l’expulsion du démon muet et la controverse qui suit, Jésus souligne qu’il est, lui seul, plus fort que le démon, alors que l’homme confiant en ses propres forces succombe.

    Celui qui est « plus fort » peut vaincre le « fort armé ». C’est le seul emploi du verbe “nikao” (vaincre) dans les évangiles, avec le passage de saint Jean où Jésus dit : « J’ai vaincu le monde. »