L’évangile est la parabole du semeur qui sortit pour semer sa semence, racontée par les trois synoptiques et expliquée par Jésus lui-même les trois fois : la semence est la Parole, et Luc précise : Logos tou Théou, le Verbe de Dieu.
La « semence » est également au cœur des lectures des matines de cette semaine : l’histoire du Déluge. Car Noé construit une arche pour que soient sauvées toutes les espèces, ce qui se dit en grec et en latin leur « semence » ; autrement dit le code génétique de tous les animaux (Genèse 7, 3). Or tous les animaux ont été créés par le Verbe…
En grec, semence, c’est sperma. La Parole c’est Logos. Deux mots très fréquents dans le Nouveau Testament, et qui sont au cœur de la doctrine chrétienne, comme le montre la parabole (où curieusement on ne trouve pas le mot sperma, mais le participe du verbe speiro, et un autre mot issu du verbe : sporos).
Dans les Actes des Apôtres (17, 17-18), saint Paul discute sur l’« agora » d’Athènes, « tous les jours », avec les gens qu’il rencontre, notamment avec des épicuriens et des stoïciens. Et ces Grecs s’exclament : « Que veut dire ce spermologos ? »
Le mot spermologos est très intéressant, et très mal traduit dans toutes les traductions françaises, car aucun traducteur n’a perçu le clin d’œil amusant de saint Luc.
En grec classique, spermologos, de sperma, semence, et legein, rassembler, se disait des oiseaux qui passent leur temps à picorer des graines. Le mot est même passé par le latin en français pour désigner une espèce de corbeau, le freux : corvus frugilegus.
Mais ensuite le mot a pris un sens figuré, selon deux directions : il s’agit soit du clochard qui glane sa nourriture dans les poubelles et les restes des marchés, soit du bavard qui rassemble n’importe quels ragots et les raconte à n’importe qui. Les traducteurs de la Bible auraient dû comprendre que ces sens figurés ne peuvent pas s’appliquer à saint Paul vu par les philosophes de l’agora. Car le terme était devenu quasiment une insulte, or les épicuriens et les stoïciens ne rejettent pas saint Paul, au contraire ils l’invitent à l’Aréopage pour qu’il explique sa doctrine plus avant.
Les traductions françaises se répartissent en trois catégories très inégales. La grande majorité traduit « discoureur ». Autrement dit c’est le deuxième sens figuré, mais très atténué, or ce sens n’est attesté nulle part. Certains veulent conserver le sens premier et traduisent par « picoreur », Chouraqui allant même jusqu’au littéral « picoreur de semences ». Et d’autres essaient de tout combiner, faisant de saint Paul une « jacasse », un « pierrot », voire même un « perroquet » (Bible de Jérusalem). En laissant entendre qu’il s’agit d’un bavard invétéré qui répète ce qu’il a entendu (picoré) ici et là. Or ce n’est pas du tout ce que disent les épicuriens et les stoïciens. Car si tel était le cas, ils le laisseraient pérorer sur l’agora et ne l’inviteraient certainement pas à l’Aréopage.
Comme tous les traducteurs ont le plus profond mépris pour la Vulgate, aucun ne va voir ce que dit le texte latin. Sinon pour ricaner que la Vulgate a bêtement transposé en latin le mot grec : « seminiverbius », plus ou moins « parole de semence », avec la terminaison en –ius caractéristique du bas latin et sans même voir que legein ici ne voulait pas dire parler mais rassembler.
En réalité les anciennes versions latines avaient, en bon latin, « seminator verborum » : semeur de paroles… qui ne peut pas être une bonne traduction de spermologos.
Plusieurs manuscrits de référence de la Vulgate ont encore « seminator verborum ». Il se pourrait bien que ce soit saint Jérôme qui, révisant ces textes, ait corrigé en « seminiverbius ». Décalquant en toute connaissance de cause le mot grec, et sachant alors, forcément, qu’il s’agit d’un clin d’œil à la caricature de l’Evangile, et de la prédication de saint Paul, selon les philosophes grecs. En quelque sorte, ceux-ci appellent saint Paul « monsieur Semence-Verbe » : « Tiens, c'est encore le Semençoparoleux ! Viens donc à l'Aréopage nous expliquer ton affaire ! » Ça les amuse d’entendre ce doctrinaire juif mettre sans cesse en rapport, de façon parfaitement incongrue pour la philosophie grecque, un terme d’agriculture et un terme philosophique.
Or saint Paul est en effet « monsieur Semence-Verbe ». Car la semence qu’il répand par sa parole est le Verbe qui produit la vie éternelle, en accord avec la parabole du semeur, mais plus généralement avec tout le Nouveau Testament où l’on trouve 107 fois – en comptant spermologos – le mot semence ou semer, et avec la Genèse où Dieu crée les semences selon leur espèce, où Noé conserve les semences à travers le Déluge.