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Ecriture sainte - Page 16

  • 3e dimanche après Pâques

    « Un peu »… Le mot se trouve sept fois en quatre versets. Dans un balancement : un peu, encore un peu. « Un peu et vous ne me voyez plus, encore un peu vous me verrez », dit Jésus. Les disciples se répètent la phrase entre eux. Et ils insistent : que veut-il dire par « un peu » ? Et Jésus répète la phrase, sans l’expliquer. Mais en ajoutant qu’ils pleureront et que le monde se réjouira. Ils éprouveront de la douleur comme une femme qui enfante. Et ils se réjouiront comme la femme qui vient d’enfanter.

    Jésus renvoie implicitement aux prophètes. Isaïe, dans son chapitre 26 qui chante l’attente amoureuse, la langueur de l’attente de la manifestation de Dieu, dit en son verset 17 : « Comme une femme sur le point d’accoucher se tord et crie de douleur, ainsi sommes-nous pour ton bien aimé par ta crainte » (selon la Septante qui est toujours en filigrane des évangiles).

    Et Michée, 4, 10 : « Souffre et prends courage, et approche, Sion, ma fille ; souffre comme une femme qui enfante ; car maintenant tu sortiras de tes murs, tu dresseras tes tentes dans la plaine, et tu iras jusqu'à Babylone ; puis le Seigneur ton Dieu t'en délivrera, et Il te tirera des mains de tes ennemis. »

    Encore un peu. Le grec dit « mikron », le latin « modicum ». Il ne faut pas traduire « un peu de temps ». Le mot « temps » ne se trouve pas dans le texte. Il faut garder l’ambiguïté. Car il ne s’agit pas seulement du temps. Il s’agit de l’espace, il s’agit de toute la création qui gémit des douleurs de l’enfantement, comme dit saint Paul reprenant les prophètes. Encore un peu. Une petite quantité. Avant de jouir de la qualité sans limite.

    Encore un peu. Parce que c’est le moment de l’accouchement. Mais c’est déjà « maintenant », dit Michée tant dans la Vulgate que dans la Septante que dans le texte massorétique. Maintenant.

    C’est pourquoi, dans le texte grec, le premier verbe est déjà au présent : « Un peu, et vous ne me voyez plus. » Le texte latin a le futur, et il ajoute ensuite « car je vais au Père », qui ne se trouve que dans de rares manuscrits grecs. Cette addition a pour but de préciser que Jésus a aussi dit cela, que les apôtres répètent sans comprendre. Mais il convient de garder les formules les plus elliptiques, les plus… prophétiques.

    N.B. – Ce dimanche est le jour de la « fête nationale de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme », instituée en 1920. Par indult de Benoît XV, on peut célébrer ce jour la solennité de la fête liturgique de sainte Jeanne d’Arc, qui est le 30 mai.

  • Mardi Saint

    Pour la première fois la liturgie annonce que, désormais, son heure est venue. C’est l’antienne du Benedictus : « Avant le jour de la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin. »

    C’est en fait le premier verset de l’évangile du lavement des pieds, celui de la messe In cœna Domini du Jeudi Saint. La raison en est que primitivement c’est cet évangile qui était chanté aujourd’hui. Il fut ensuite transféré au Jeudi Saint, et pour aujourd’hui on assigna la Passion selon saint Marc.

    La première lecture se limite à trois versets de Jérémie, dont l’essentiel constitue l’une des plus importantes prophéties de la Passion :

    « Et moi j’étais comme un doux agneau qu’on conduit à l’immolation, et je n’ai pas su qu’ils ont formé des desseins contre moi, disant : Mettons du bois dans son pain, et retranchons-le de la terre des vivants, et qu’on ne se souvienne plus de son nom. »

    C’était déjà le capitule des laudes du temps de la Passion, ce sera aussi le 7e répons des matines du Jeudi Saint.

    Ce texte, comme d’autres prophéties christiques, a fait l’objet de falsifications par les rabbins qui ont fabriqué la bible massorétique. Ce qui est effarant est que ces falsifications se retrouvent jusque dans les missels, et sont présentées comme le texte authentique de Jérémie dans la « Bible de la liturgie »© et donc dans la néo-liturgie en français de la Semaine Sainte. (Puisque pour tout le monde désormais – sauf certains spécialistes de la Septante - le texte massorétique est l'"original" hébreu.)

    On remarque une différence entre la lecture de la messe et le répons du Jeudi Saint. Le texte dit à la messe est celui de la Vulgate (de saint Jérôme) qui dit « agnus mansuetus », un doux agneau, alors que le répons est une traduction de la Septante : « agnus innocens ». Les deux traductions désignent le Christ. Mais les massorètes ont changé le mot, dont la traduction est « docile » selon les rabbins, mais qui est aussi traduit par : « confiant » ou « familier »…

    On remarque une autre différence, juste après : cet agneau est conduit « ad immolandum », selon le répons, « ad victimam », selon la Vulgate. On voit que les deux expressions sont équivalentes : il s’agit de l’agneau du sacrifice. Or cela est gommé dans le texte massorétique : il ne reste qu’un agneau laïcisé, mené « à la boucherie », ou « à l’abattoir ».

    Le plus grave est la falsification de « Mettons du bois dans son pain », qui évoque de façon synthétique à la fois la crucifixion et l’eucharistie, bref tout le Sacrifice, comme les pères de l’Eglise l’ont abondamment expliqué. Et déjà saint Jérôme disait que « c’est le consensus de toutes les Eglises que, sous la personne de Jérémie, on comprend que cela est dit du Christ, de sorte que le Père lui ait montré le dessein des Juifs, et que ceux-ci aient dit : Mettons du bois dans son pain, c’est-à-dire la croix sur le corps du Sauveur. »

    Or la néo-liturgie, traduisant le texte massorétique, dit : « Coupons l’arbre à la racine ». Les rabbins traduisent : « Détruisons l’arbre dans sa sève » ; d’autres traductions disent : « Détruisons l’arbre avec son fruit. »

    Il est significatif que le texte de la Septante soit en plein accord avec celui de saint Jérôme. C’est une preuve que le texte hébreu dont disposaient les Septante, et le texte hébreu dont disposait saint Jérôme, disaient ici la même chose.

    Saint Jérôme ajoutait : « Les Juifs, et nos judaïsants, pensent que cela est dit de la personne de Jérémie. Mais je ne vois pas comment ils pourraient démontrer que Jérémie fût crucifié, puisque les Ecritures n’en font pas état. »

    Puisque ce n’est pas Jérémie, puisque ce ne saurait être Jésus, il restait à… modifier le texte, ce qu’ils ont fait sans vergogne, comme en d’autres endroits où la prophétie désignait de façon trop évidente le Messie des chrétiens.

    Dès le IIe siècle, saint Justin avait dénoncé cette falsification, dans son Dialogue avec Tryphon. Ou, plus exactement, il constatait qu’alors les Juifs avaient carrément supprimé le passage gênant : « De Jérémie, ils ont supprimé ces mots : “Je suis comme un agneau que l'on porte au sacrifice. Voici ce qu'ils méditaient contre moi, ils disaient : Venez, mettons du bois dans son pain. Retranchons-le de la terre des vivants, et que son nom s'efface à jamais.” Ce passage se lit encore dans quelques-uns des exemplaires conservés par vos synagogues ; car il n'y a pas longtemps qu'il a été retranché. Quand on prouve aux Juifs, d'après ce passage, que leur projet était de crucifier le Christ et de le faire mourir, quand on leur montre d'ailleurs l'identité de ce même passage avec celui d'Isaïe, qui nous présente le Messie conduit à la mort comme une brebis, ils se trouvent dans un étrange embarras et vous les voyez recourir aux injures et aux blasphèmes. »

    Comme il n’était pas possible de soutenir durablement que le passage n’existait pas, il fallut le reprendre et le falsifier. Et c’est la version falsifiée que toute l’Eglise latine proclame aujourd’hui comme étant la Sainte Ecriture. Je dis bien toute l’Eglise latine, toute celle de la « forme ordinaire », puisque la néo-Vulgate elle-même a été falsifiée selon le texte massorétique. Ce qui est une monstrueuse impiété, et une ignominie.

  • Samedi de la Passion

    L’évangile de ce jour anticipe sur les Rameaux, mais il contient beaucoup d’autres choses, et qui sont amenées de façon mystérieuse. Voilà des païens qui viennent adorer à Jérusalem. Ils sont encore païens, mais ils savent que c’est à Jérusalem qu’on adore le vrai Dieu. Ils s’approchent de Philippe, pour parler en grec à un apôtre qui a un nom grec. Ils disent à Philippe qu’ils veulent voir Jésus. Ce Jésus à qui Philippe demandera bientôt de lui montrer le Père, et à qui Jésus répondra : « Celui qui m’a vu a vu le Père. » Philippe les conduit à André, l’autre apôtre qui a un nom grec. Puis tous deux vont voir Jésus. Jésus paraît ne rien leur répondre à propos des païens qui veulent le voir. Comme s’il ignorait purement et simplement la demande. Mais le discours qu’il tient alors est l’annonce du salut proposé à tous les païens, par la Croix.

    « Jésus leur répondit : L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. » La gloire, c’est la croix, comme le souligne fortement saint Cyrille d’Alexandrie dans son commentaire de saint Jean.

    Et l’on remarque alors que ce propos renvoie à un propos tenu juste avant la Transfiguration, selon les trois synoptiques : « Il faut que le Fils de l’homme souffre beaucoup (…) et qu’il ressuscite le troisième jour. »

    Ensuite c’est encore plus net : « Celui qui aime sa vie, la perdra ; et celui qui hait sa vie dans ce monde, la conserve pour la vie éternelle. Si quelqu’un me sert, qu’il me suive ; et là où je suis, mon serviteur sera aussi. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera. » Dans les synoptiques, avant la Transfiguration : « Qui voudrait sauver son âme la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi la sauvera. » Et : « Si quelqu’un veut venir à ma suite (…) qu’il prenne sa croix et vienne à moi. »

    Dans son évangile, saint Jean ne parle pas de la Transfiguration. Il ne parle pas non plus de l’Agonie au jardin des oliviers. C’est l’essentiel, mystique, de ces deux épisodes, qui est ici évoqué, comme l'avait remarqué Xavier Léon-Dufour (Etudes d'Evangile, cité dans Bible chrétienne II*).

    Voici l’évocation du jardin des oliviers : « Maintenant, mon âme est troublée (…) Père, sauve-moi de cette heure. Mais c'est pour cela que je suis arrivé à cette heure. Père, glorifie ton Nom. » (« Mon âme est triste jusqu'à la mort (...) Père, s'il est possible, que ce calice s'éloigne de moi; cependant, qu'il en soit non pas comme je veux, mais comme tu veux. »)

    « Alors vint une voix du ciel… » Comme à la Transfiguration. Et aussi au baptême… chez les synoptiques.

    La voix dit : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai ».

    Par la Croix, comme le dit ensuite Jésus : « Quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai tout à moi. » Notamment ces Grecs qui veulent me voir…

  • Premier dimanche de la Passion

    Depuis hier soir c’est le temps de la Passion. Les trois hymnes (vêpres, matines et laudes) sont des hymnes de la Croix. La semaine dernière, la lecture des matines était l’Exode. Voici qu’apparaît Jérémie, figure du Christ souffrant, et ses Lamentations seront au cœur du Triduum. La semaine dernière, les répons des matines parlaient presque tous de Moïse. Désormais, hormis le premier qui annonce la Pâque, ils ne seront plus que l’écho de la plainte du Christ souffrant sa Passion et implorant le Père de le sauver de ses ennemis : et cela uniquement par des versets de psaumes, et il en est de même des antiennes de la journée, qui font aussi appel à Jérémie.

    La messe commence par un de ces versets, bien connu de ceux qui connaissent l’ordinaire de la messe puisque c’est le début du psaume 42 récité au bas de l’autel (et qui précisément ne l’est plus à partir de ce jour jusqu’à Pâques) : « Rends-moi justice, ô Dieu, et mets ma cause à part de celle d’une nation qui n’est pas sainte ; arrache-moi à l’homme inique et trompeur, car tu es mon Dieu et ma force. » Le graduel et le trait poursuivent sur le même mode. L’épître (dont on a déjà entendu l’essentiel au capitule des vêpres, puis des laudes, et de tierce) est celle qui explique que le Christ, à la différence des anciens grands prêtres, est entré dans le Sanctuaire avec son propre sang, une fois pour toutes, nous ayant acquis, par son propre sacrifice, une rédemption éternelle. La préface chante le bois de la Croix devenu nouvel arbre de vie. L’antienne de communion souligne qu’il s’agit de la communion au « corps livré pour vous » et du calice de la nouvelle alliance dans son sang.

    L’Evangile donne l’ultime explication : Jésus proclame sa divinité : « Les Juifs lui dirent : Tu n’as pas encore cinquante ans, et tu as vu Abraham ? Jésus leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham advînt, Je Suis. Ils prirent donc des pierres, pour les jeter sur lui ; mais Jésus se cacha, et sortit du temple. »

    Aucune traduction française du propos du Christ ne peut être vraiment satisfaisante. La plus mauvaise est assurément la plus courante : « Avant qu’Abraham fût, je suis », avec deux fois le verbe être, et la deuxième fois sans les capitales indiquant qu’il s’agit cette deuxième fois de celui qui EST. Dans les textes grec et latin, il n’y a pas deux fois le verbe être. La première fois, pour Abraham, c’est un verbe qui veut dire devenir, se produire, se faire… Le sens premier du verbe grec étant précisément : venir à l’existence. Bref, il s’agit d’un processus. Abraham, comme tous les hommes, est le rejeton d’une lignée et le produit d’une gestation. A un moment de l’histoire, il a été engendré dans le sein de sa mère et il est venu à l’existence. Tandis que le Christ est une personne divine, et en tant que personne divine il EST, il est l’être même, éternellement.

    Les juifs comprennent immédiatement ce « Je Suis » : ils n’ont pas besoin de le lire pour voir les lettres en capitales. C’est le pire des blasphèmes : ils prennent des pierres pour le lapider.

    Ici il y a encore de très nombreuses traductions défaillantes : « alors ils prirent », ou « alors ils ramassèrent » des pierres pour les lancer sur lui. Mais le mot grec comme le mot latin traduit par « alors » ne veut pas dire « alors ». Il veut dire « donc ». Le traduire par « alors » atténue fortement le sens du verset et montre l’incompréhension du traducteur.

    Jésus dit : JE SUIS. Ils prennent donc des pierres. Il se dit Dieu, par conséquent ils le lapident.

    Mais Jésus se cache et sort du temple.

    Saint Augustin conclut : « Comme homme il fuit les pierres, mais malheur à ceux dont Dieu fuit les cœurs de pierre. » Tamquam homo a lapidibus fugit: sed vae illis a quorum lapideis cordibus Deus fugit !

  • L’Exode et les charlatans

    Puisque selon la liturgie latine traditionnelle la lecture de la semaine est l’Exode, je lis l’Exode. Et puisque jusqu’ici j’avais quelque peu boudé les bibles en français, je me suis mis à la Bible de Jérusalem. Et je découvre à quel point les notes relèvent de l’exégèse historico-critique. C’est tellement puéril que c’en est parfois franchement hilarant.

    En ce qui concerne la manne et les cailles que Dieu fait tomber du ciel autour du campement dans le désert, la Bible de Jérusalem affirme que c’est un « passage composite et d’analyse difficile ». Le récit est pourtant clair comme de l’eau de roche… Mais non. Car j’apprends que la manne, c’est la sécrétion d’insectes vivant sur certains tamaris, seulement dans la région centrale du Sinaï, et qui se récolte en mai-juin, alors que les cailles, épuisées de leur migration en Europe, ne tombent qu’en septembre et seulement sur la côte. Sic.

    Ce délire rationaliste à prétention scientifique devenant l’incontestable vérité, il reste à trouver une explication rationnelle du texte biblique. Eh bien la voici : ce passage est une nouvelle preuve de ce qu’on savait déjà des chapitres précédents : il y a eu deux groupes d’Hébreux qui sont sortis d’Egypte séparément et à des dates différentes. L'un a été expulsé, l'autre est parti de lui-même. L’un est passé par le centre du désert du Sinaï et a mangé la « manne » en mai-juin, l’autre est passé par la côte et a mangé des cailles en septembre… Il y avait donc originellement deux récits, qui ont été amalgamés en un seul.

    Cette dernière explication est un véritable leitmotiv. Le grand jeu consiste à déterminer les deux, trois ou quatre récits incompatibles (les fameux yahviste, elohiste, sacerdotal, deutéronomiste, indéterminé…) qui ont été fondus en un seul ou juxtaposés…

    On la retrouve par exemple dans la théophanie du Sinaï. Certaines expressions montrent qu’il s’agit d’une éruption volcanique (sic – j’avoue que je n’y avais pas pensé…). D’autres évoquent un terrible orage. Il y a donc (sic) deux traditions. Mais ce qui prime est l’éruption volcanique. Problème : la montagne que l’on appelle du Sinaï n’est pas un volcan. Il y a donc eu erreur de localisation. Le vrai Sinaï biblique était dans le sud de la péninsule arabique, où il y avait alors des volcans en activité…

    Ce qui est hilarant est de penser que les très doctes exégètes qui écrivent ces stupidités y croient. Ce qui l’est moins est que ce sont de graves impiétés, à la limite du blasphème, et ce qui ne l’est plus du tout est que des braves gens lisent cela et croient que c’est ainsi qu’on doit interpréter la Bible…

    (On remarque aussi que ces exégètes nous laissent en plan à la première difficulté pratique. Par exemple, alors que tout doit avoir une explication rationnelle, ils oublient de nous expliquer comment Moïse peut rester 40 jours au sommet d’un volcan en éruption…)

  • Mercredi de la quatrième semaine de carême

    « Je répandrai sur vous une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos souillures, et je vous donnerai un esprit nouveau », chante l’introït : cette messe était celle du grand scrutin, qui voyait les catéchumènes soumis aux premiers rites du baptême : sel, exorcismes, Ephpheta. Suivis de la “tradition” des quatre évangiles, du Credo et du Pater.

    L’évangile s’inscrit dans ce contexte, et saint Augustin le soulignait devant ses catéchumènes. L’aveugle est aveugle de naissance, c’est nous tous qui naissons aveugles des yeux de l’âme, incapables de voir la lumière divine à cause du péché originel. Jésus est lui-même la lumière divine, et il le dit ouvertement : « Je suis la lumière du monde ». Et il est là pour « travailler pendant qu’il fait jour ». Pour guérir les hommes.

    Alors il crache à terre et fait de la boue. « Parce que le Verbe s’est fait chair », commente saint Augustin avec une géniale concision. Par l’incarnation, le Verbe passe par la matière pour donner aux hommes la grâce divine. Jésus enduit les yeux de l’aveugle de cette boue : il en fait un catéchumène, car l’aveugle croit qu’il va être guéri par Jésus, et quand celui-ci lui dit d’aller se laver à la piscine de Siloé, il y va, simplement, en toute confiance. L’évangile est on ne peut plus concis : « Il y alla donc, il se lava, et il revint voyant. » C’est ce que l’ancien aveugle dira ensuite à qui veut l’entendre : « Et abii, et lavi, et video. » Et j’y suis allé, et je me suis lavé, et je vois. Le grec, qui aime bien les propositions participiales, met tout dans un même mouvement : Y allant et me lavant, j’ai vu.

    C’est le baptême proprement dit : par l’eau de l’illumination.

    Alors Jésus se montre à lui et lui demande s’il croit au Fils de Dieu. « Je crois, Seigneur », et, se prosternant, il l’adora. Et tout le monde ici fléchit le genou, pour attester que nous sommes tous des aveugles guéris par le baptême et voyant des yeux de l’âme que le Christ est le Fils de Dieu.

    D’autre part, cet évangile est, dans le déroulement des faits qui vont conduire à la tragédie pascale, une des étapes de la condamnation du Christ par les pharisiens (« cet homme ne vient pas de Dieu, puisqu’il n’observe pas le sabbat »). Il constitue même une sorte de long procès préliminaire de Jésus par procuration.

    Et, avant de jeter le Messie hors de Jérusalem, ils excluent le miraculé de la synagogue. Pour ne pas voir ça… Pour ne pas voir celui qui voit le Christ.

  • 4e dimanche de carême

    Nous venons de dépasser la moitié du carême, et la liturgie nous montre le bout du chemin : la Jérusalem céleste. Et c’est un cri de joie qui éclate dès les premiers mots de l’introït tiré d’Isaïe, et va se répercuter jusqu’à la communion, par les psaumes 121 et 124 qui chantent Jérusalem, par l’épître de saint Paul qui cite Isaïe pour crier la joie de la Jérusalem d’en haut.

    La pâque est proche, nous dit l’évangile de la multiplication des pains, la pâque qui nous donnera jusqu’à la fin du temps le pain de vie de la Jérusalem céleste.

    Avant de manger la Pâque avec ses disciples, et de subir la Pâque par laquelle il nous donnera son corps à manger sous l’apparence du pain, Jésus rassasie les foules d’une surabondance de pain et de poisson, la surabondance qui indique à elle seule l’ère messianique.

    La lecture des matines indique que dans la lecture suivie de l’Ecriture depuis le début de la Genèse au premier dimanche de carême, nous sommes arrivés à l’Exode et à l’histoire de Moïse. Moïse : la première Pâque dans le sang de l’agneau, la manne dans le désert, le long chemin vers la terre promise, vers... Jérusalem. Mais « ce n’est pas Moïse qui vous a donné le vrai pain ; le vrai pain, c’est mon Père qui vous le donne », et suit le discours sur le pain de vie : c’est juste après la multiplication des pains, qui était un discours en acte.

    Les cinq pains d’orge, explique saint Augustin, ce sont les cinq livres de la Loi de Moïse, le Pentateuque. Ils sont d’orge parce qu’ils sont difficiles à décortiquer. Vient Jésus qui les brise en de nombreux morceaux : qui les rend consommables et nourrissants. Les deux poissons, c’est lui-même, Ichtys, comme roi et grand prêtre.

    Avec les restes on remplit douze corbeilles : c’est l’enseignement que les foules ne peuvent pas comprendre, et qui est confié aux douze apôtres qui le garderont et le transmettront. Les douze apôtres, qui sont les douze portes de la Jérusalem céleste…

  • Lundi de la troisième semaine de carême

    La messe de ce jour est étroitement liée à la catéchèse baptismale des catéchumènes. La première lecture raconte comment le général syrien Naaman a été guéri de sa lèpre : le prophète Elisée lui demande de se baigner sept fois dans le Jourdain, et il est purifié.

    On insiste généralement sur le fait que Naaman doit se dépouiller de son orgueil pour être guéri : il est un grand personnage, et il croit qu’il va être reçu par Elisée avec tous les honneurs, et qu’Elisée va accomplir un miracle spectaculaire à la hauteur de son rang. Or Elisée ne le reçoit même pas et lui fait dire qu’il doit se baigner dans le fleuve – comme s’il n’y avait pas des fleuves en Syrie… Après un dernier mouvement d’orgueil, Naaman obéit au prophète, et il est purifié.

    Mais l’humilité requise de l’homme qui veut être guéri de sa lèpre (du péché) a son pendant (préalable) dans l’humilité de Dieu qui, de façon habituelle, ne fait pas de miracles éclatants, mais se sert des éléments les plus courants de la création pour faire passer sa grâce – sa vie éternelle et bienheureuse : l’eau du baptême, l’huile des diverses onctions, le pain de l’eucharistie… Ce qui est la suite logique de l’incarnation.

    C’est ce que Jésus tente de faire comprendre à ses concitoyens de Nazareth qui voudraient le voir accomplir un miracle, comme s’il était sur une scène de théâtre, ou sur une piste de cirque. Non seulement il ne fera pas de miracle devant des gens qui refusent de comprendre qui il est (alors qu’il vient de leur expliquer qu’il est le Messie dont Isaïe a prophétisé la venue), mais il leur déclare de façon à peine voilée, notamment par l’exemple de Naaman, que le salut sera apporté aux païens puisque les juifs refusent de croire.

    Alors on passe du baptême à une annonce de la Passion : les habitants de Nazareth sont en colère, ils se lèvent, ils le jettent « en dehors de la ville », et ils le conduisent « au sommet de la montagne » pour le précipiter en bas. Mais ce n’est pas encore son heure. Et l’évangile se termine par une affirmation de la toute-puissance divine de Jésus : « Mais lui, passant au milieu d’eux, allait. » L’imparfait montre la divine sérénité et majesté de Celui qui, à travers un assaut ponctuel, continue son chemin. Pourtant ils l’ont saisi, et ils vont le tuer. Mais il leur glisse entre les mains, en fait il disparaît. Et c’est la fin de la 22e section de l’évangile de saint Luc selon la numérotation d’Eusèbe de Césarée.

  • 3e dimanche de carême

    « Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, assurément le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous. »

    Le doigt de Dieu. Cette expression ne nous surprend pas. Sans doute parce qu’on l’entend chaque année dans cet évangile. Car en fait elle est unique dans le Nouveau Testament, de même qu’on ne la rencontre également qu’une seule fois dans l’Ancien Testament.

    Quand saint Marc relate le même épisode, il ne reproduit pas ce propos. Chez saint Matthieu il est légèrement différent : « Si moi c’est par le Saint-Esprit que je chasse les démons, alors le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous. »

    Il ressort du parallélisme que le « doigt de Dieu » (Luc) est le Saint-Esprit (Matthieu), conformément au symbolisme du bras (image fréquente de la puissance de Dieu), de la main (qui opère la puissance) et du doigt de Dieu : Père, Fils et Saint-Esprit consubstantiels.

    La seule fois que l’on trouve l’expression « doigt de Dieu » dans l’Ancien Testament, c’est dans l’épisode des plaies d’Egypte. Ce ne peut évidemment pas être un hasard que Jésus emploie une expression qui ne se trouve qu’une fois dans toute l’Ecriture : il y fait référence.

    Moïse envoyé par Dieu vers Pharaon va utiliser la puissance divine, par l’intermédiaire d’Aaron, pour convaincre Pharaon de laisser partir les Hébreux. D’abord Aaron change son bâton en serpent. Mais les magiciens égyptiens en font autant. Alors Aaron change les eaux en sang. Mais les magiciens égyptiens en font autant. Alors Aaron fait venir les grenouilles. Mais les magiciens égyptiens en font autant. Alors Aaron transforme la poussière en une nuée de moustiques (en fait des phlébotomes : sciniphes) qui couvre toute l’Egypte. Et là les magiciens ne peuvent pas faire la même chose, parce qu’il ne reste plus de poussière à transformer, semble-t-il, et ils disent à Pharaon : « Le doigt de Dieu est ici. » Seule la puissance divine est capable de réaliser un tel phénomène.

    C’est précisément ce que veut faire comprendre Jésus. C’est par la puissance divine qu’il vient d’accomplir cet exorcisme, chasser le démon muet. Lui aussi a été envoyé par Dieu. Mais il y a plus que Moïse et Aaron ici. L’envoyé, qui agit spontanément et non sur ordre, est le Fils de Dieu, Le Fils du Père, qui agit par l’Esprit, et c’est pourquoi « le royaume de Dieu est arrivé jusqu’à vous », parmi vous, en vous.

    Erratum

    Comme me le signale un commentaire, on trouve également le "doigt de Dieu" dans Exode 31, 18: les dix commandements sont écrits sur la pierre par le doigt de Dieu. (Je me disais aussi que je l'avais vu ailleurs...) Et bien entendu Jésus fait également référence à ce verset : c'est par le doigt de Dieu qu'il écrit les commandements de la Nouvelle Alliance.

  • Mardi de la deuxième semaine de carême

    « Ne vous faites pas appeler Rabbi, car vous n'avez qu'un seul Maître, et vous êtes tous frères. Et ne donnez à personne sur la terre le nom de père, car vous n'avez qu'un seul Père qui est dans les Cieux. Et qu'on ne vous appelle pas maîtres, car vous n'avez qu'un seul Maître, le Christ. »

    A prendre ce propos au pied de la lettre, il serait illégitime d’appeler un prêtre  « père », ou d’évoquer les « maîtres » que l’on a eus.

    Mais nul ne peut prétendre que l’enseignement de saint Paul, qui fait partie de la Sainte Ecriture comme les Evangiles, puisse entrer en contradiction avec les paroles du Christ : son enseignement vient du Christ lui-même.

    Son « enseignement » ? Impossible de parler autrement. Donc saint Paul est maître de doctrine. Mais il n’est maître que par et dans le Christ.

    Saint Paul revendique explicitement le titre de père : « Même si vous aviez dix mille pédagogues dans le Christ, vous n’avez cependant pas plusieurs pères, puisque c’est moi qui vous ai engendrés en Jésus-Christ par l’Evangile. » Et il ajoute : « Je vous en conjure donc, soyez mes imitateurs, comme je le suis moi-même du Christ. »

    Chaque propos se termine par « le Christ ». Paul est maître dans le Christ, il est père dans le Christ. C’est exactement le mouvement du propos du Seigneur lui-même dans l’Evangile, qui se termine d’une façon d’autant plus notable par « le Christ » que c’est l’une des trois seules fois dans les quatre Evangiles que Jésus prononce ce mot.

    C’est pourquoi il est parfaitement légitime d’appeler père un prêtre, qui est père seulement dans et par le Christ. Il en va du prêtre et du maître comme des icônes. Par delà l’image, la vénération va à la sainte ou divine réalité représentée.

    Analogiquement, cela s’applique aussi au père de famille, qui n’est père que par la fécondité donnée par le Père. Mais il est manifeste que Jésus ne pense pas ici au père de famille. Il fait plutôt allusion à l’invocation incessante des pharisiens à leur « père Abraham ». Et Jésus veut leur faire comprendre que cette invocation n’est pas en elle-même source de salut, surtout quand on fait le contraire de ce qu’enseigne le Dieu d’Abraham, le Père éternel.