Pour la première fois la liturgie annonce que, désormais, son heure est venue. C’est l’antienne du Benedictus : « Avant le jour de la fête de la Pâque, Jésus, sachant que son heure était venue, comme il avait aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin. »
C’est en fait le premier verset de l’évangile du lavement des pieds, celui de la messe In cœna Domini du Jeudi Saint. La raison en est que primitivement c’est cet évangile qui était chanté aujourd’hui. Il fut ensuite transféré au Jeudi Saint, et pour aujourd’hui on assigna la Passion selon saint Marc.
La première lecture se limite à trois versets de Jérémie, dont l’essentiel constitue l’une des plus importantes prophéties de la Passion :
« Et moi j’étais comme un doux agneau qu’on conduit à l’immolation, et je n’ai pas su qu’ils ont formé des desseins contre moi, disant : Mettons du bois dans son pain, et retranchons-le de la terre des vivants, et qu’on ne se souvienne plus de son nom. »
C’était déjà le capitule des laudes du temps de la Passion, ce sera aussi le 7e répons des matines du Jeudi Saint.
Ce texte, comme d’autres prophéties christiques, a fait l’objet de falsifications par les rabbins qui ont fabriqué la bible massorétique. Ce qui est effarant est que ces falsifications se retrouvent jusque dans les missels, et sont présentées comme le texte authentique de Jérémie dans la « Bible de la liturgie »© et donc dans la néo-liturgie en français de la Semaine Sainte. (Puisque pour tout le monde désormais – sauf certains spécialistes de la Septante - le texte massorétique est l'"original" hébreu.)
On remarque une différence entre la lecture de la messe et le répons du Jeudi Saint. Le texte dit à la messe est celui de la Vulgate (de saint Jérôme) qui dit « agnus mansuetus », un doux agneau, alors que le répons est une traduction de la Septante : « agnus innocens ». Les deux traductions désignent le Christ. Mais les massorètes ont changé le mot, dont la traduction est « docile » selon les rabbins, mais qui est aussi traduit par : « confiant » ou « familier »…
On remarque une autre différence, juste après : cet agneau est conduit « ad immolandum », selon le répons, « ad victimam », selon la Vulgate. On voit que les deux expressions sont équivalentes : il s’agit de l’agneau du sacrifice. Or cela est gommé dans le texte massorétique : il ne reste qu’un agneau laïcisé, mené « à la boucherie », ou « à l’abattoir ».
Le plus grave est la falsification de « Mettons du bois dans son pain », qui évoque de façon synthétique à la fois la crucifixion et l’eucharistie, bref tout le Sacrifice, comme les pères de l’Eglise l’ont abondamment expliqué. Et déjà saint Jérôme disait que « c’est le consensus de toutes les Eglises que, sous la personne de Jérémie, on comprend que cela est dit du Christ, de sorte que le Père lui ait montré le dessein des Juifs, et que ceux-ci aient dit : Mettons du bois dans son pain, c’est-à-dire la croix sur le corps du Sauveur. »
Or la néo-liturgie, traduisant le texte massorétique, dit : « Coupons l’arbre à la racine ». Les rabbins traduisent : « Détruisons l’arbre dans sa sève » ; d’autres traductions disent : « Détruisons l’arbre avec son fruit. »
Il est significatif que le texte de la Septante soit en plein accord avec celui de saint Jérôme. C’est une preuve que le texte hébreu dont disposaient les Septante, et le texte hébreu dont disposait saint Jérôme, disaient ici la même chose.
Saint Jérôme ajoutait : « Les Juifs, et nos judaïsants, pensent que cela est dit de la personne de Jérémie. Mais je ne vois pas comment ils pourraient démontrer que Jérémie fût crucifié, puisque les Ecritures n’en font pas état. »
Puisque ce n’est pas Jérémie, puisque ce ne saurait être Jésus, il restait à… modifier le texte, ce qu’ils ont fait sans vergogne, comme en d’autres endroits où la prophétie désignait de façon trop évidente le Messie des chrétiens.
Dès le IIe siècle, saint Justin avait dénoncé cette falsification, dans son Dialogue avec Tryphon. Ou, plus exactement, il constatait qu’alors les Juifs avaient carrément supprimé le passage gênant : « De Jérémie, ils ont supprimé ces mots : “Je suis comme un agneau que l'on porte au sacrifice. Voici ce qu'ils méditaient contre moi, ils disaient : Venez, mettons du bois dans son pain. Retranchons-le de la terre des vivants, et que son nom s'efface à jamais.” Ce passage se lit encore dans quelques-uns des exemplaires conservés par vos synagogues ; car il n'y a pas longtemps qu'il a été retranché. Quand on prouve aux Juifs, d'après ce passage, que leur projet était de crucifier le Christ et de le faire mourir, quand on leur montre d'ailleurs l'identité de ce même passage avec celui d'Isaïe, qui nous présente le Messie conduit à la mort comme une brebis, ils se trouvent dans un étrange embarras et vous les voyez recourir aux injures et aux blasphèmes. »
Comme il n’était pas possible de soutenir durablement que le passage n’existait pas, il fallut le reprendre et le falsifier. Et c’est la version falsifiée que toute l’Eglise latine proclame aujourd’hui comme étant la Sainte Ecriture. Je dis bien toute l’Eglise latine, toute celle de la « forme ordinaire », puisque la néo-Vulgate elle-même a été falsifiée selon le texte massorétique. Ce qui est une monstrueuse impiété, et une ignominie.