Extrait des "Controverses de la foi chrétienne contre les hérétiques de ce temps". Première controverse : la parole de Dieu, écrite ou conservée par la tradition, livre 4 : La parole de Dieu non écrite, chapitre 2 : Qu’est-ce que la tradition, et combien y en a-t-il ?
Par le mot tradition, on entend généralement toute doctrine écrite ou non écrite qui a été communiquée à quelqu’un. Exode 17 « Écris cela dans un livre pour assurer sa permanence, et communique-le verbalement à Josué ». Dans les Actes des apôtres, 6, on appelle la loi écrite de Moïse une tradition : « Nous l’avons entendu dire qu’il détruirait ce lieu, et qu’il changerait les traditions que nous a léguées Moïse ». Dans l’épître 1 aux Corinthiens : « J’ai reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis ». On appelle tradition la doctrine présentée de vive voix : « Gardez les traditions, que vous avez apprises soit par la parole, soir par l’écrit. ».
Le mot tradition ayant, en lui-même, un sens général, les théologiens en ont restreint le sens, pour ne lui faire signifier que la doctrine non écrite. Saint Irénée au livre 3, chap 2 : « Et ils finirent par ne reconnaître ni les Écritures ni la tradition ». Tertullien dans la couronne du soldat, chap 4 : « Si tu t’attends à trouver une loi, tu n’en trouveras aucune dans l’Écriture. C’est la tradition qui te procurera une aide ». Saint Cyprien, livre 2, épitre 3 : « Sache qu’on nous a enseigné de conserver la tradition dominicale en offrant le calice, c’est-à-dire que le calice offert en mémorial soit rempli de vin mélangé à de l’eau ». C’est faussement que Kemnitius attribue cet usage à la tradition écrite. Car jamais, dans tout l’évangile et dans toutes les épitres, on ne trouve par écrit que le vin, offert dans le calice, doive être mélangé à de l’eau. De la même façon, presque tous les anciens emploient le mot tradition au sens de doctrine non écrite. Et c’est ainsi que nous employons le mot.
On appelle une doctrine non écrite, non celle qui n’a jamais été écrite, mais celle qui n’a pas été écrite par l’écrivain originel, comme par exemple le baptême des enfants. L’obligation de baptiser les enfants porte le nom de tradition apostolique non écrite, car on ne la trouve dans aucun écrit du nouveau testament, même si elle apparaît dans les livres de presque tous les anciens pères.
On divise la tradition en deux catégories. La première est celle que l’on puise chez les auteurs des traditions; la deuxième se rapporte à la matière. La première se divise en traditions divines, apostoliques, et ecclésiastiques. On appelle divines celles qui ont été reçues du Christ lui-même enseignant aux apôtres, et qu’on ne trouve pas dans les lettres divines. Comme par exemple, la matière et la forme des sacrements. Nous avons bien peu de choses là-dessus dans les Écritures saintes, et il est pourtant certain que l’essence des sacrements n’a pu être instituée que par le Christ. C’est pour cela que l’apôtre dit aux Corinthiens 1, 12, en parlant du sacrement de l’eucharistie : « Car j’ai moi-même reçu du Seigneur ce que je vous ai transmis ».
On appelle traditions apostoliques celles qui ont été instituées par les apôtres, non sans l’assistance du Saint-Esprit, mais qui ne figurent pas dans leurs écrits, comme le jeûne quadragésimal et celui des quatre-temps, et d’autres choses dont nous parlerons plus loin. Et on a coutume d’appeler apostoliques les traditions divines, et divines les traditions apostoliques. On dit que les traditions divines sont apostoliques, non parce qu’elles ont été instituées par les apôtres, mais parce que c’est par eux qu’elles ont été d’abord transmises à l’église, et que c’est du Christ qu’ils les avaient reçues. On dit que les traditions apostoliques sont divines, non parce qu’elles ont été instituées directement par Dieu, mais parce que ce n’est pas sans l’Esprit de Dieu que les apôtres les ont instituées. On dit de même que toutes les épitres des apôtres sont des écrits divins et apostoliques, même s’il y a en elles des préceptes qui sont divins et d’autres qui ne sont qu’apostoliques. Comme le montre clairement la première épitre aux Corinthiens, 7 : « Ce n’est pas moi qui prescris cela, mais le Seigneur ». Et, plus loin : « Je dis cela, moi, non le Seigneur ».
Les traditions ecclésiastiques au sens propre sont des coutumes anciennes, commencées par les évêques ou le peuple, qui obtinrent peu à peu force de loi par le consentement tacite des peuples. Si les traditions divines ont la même force que les préceptes divins ou la doctrine divine écrite dans les évangiles, les traditions apostoliques non écrites ont, elles aussi, la même force que les traditions apostoliques écrites, comme l’affirme le concile de Trente à la session 4. La raison en est claire : car ce n’est pas parce qu’elle est écrite sur des parchemins que la parole de Dieu est divine ou qu’elle a de l’autorité, mais parce qu’elle a été prononcée par Dieu immédiatement, comme dans les sermons du Seigneur, ou par le moyen des apôtres, comme le décret du premier concile de Jérusalem (actes des apôtres, 15). Les hérétiques ne nient pas cela, et ils ne peuvent pas, non plus, le nier, car, comme nous le dirons plus haut, la question ne porte pas sur la force que possède la tradition divine ou apostolique, mais sur son existence.
Les traditions ecclésiastiques ont la même force que les décrets et les constitutions écrites de l’Église. Car, même dans les sociétés civiles, les coutumes approuvées et les lois écrites ont la même force, comme le montrent les canons « coutume », et « durable » du code de loi.
L’autre division des traditions se fait selon la matière : les traditions de foi ou de mœurs. Ces traditions sont perpétuelles, ou temporaires, universelles ou particulières, nécessaires ou libres. C’est une tradition de foi, par exemple, que la sainte Vierge ait toujours été vierge, qu’il n’y ait que quatre évangiles. C’est une tradition de mœurs, par exemple, de se signer le front du signe de croix, de jeûner à certains jours, de célébrer certaines fêtes.
La tradition perpétuelle est celle qui a été instituée pour être observée jusqu’à la consommation du monde, comme dans les exemples donnés. La temporaire est celle qui a été instituée pour un certain temps, comme l’observance légale de certaines cérémonies qui devait se faire jusqu’à la pleine promulgation de l’évangile, pour que l’Église se compose plus facilement de Juifs et de Gentils.
Une tradition universelle est celle qui doit être conservée par toute l’Église. comme la fête de Pâque, de la pentecôte, et de grandes fêtes semblables, comme l’enseigne saint Augustin dans la lettre 118. Une tradition particulière est celle qui s’adresse à une ou plusieurs Églises, comme le jeûne du samedi, au temps de saint Augustin, que saint Pierre avait transmis à l’église de Rome et à quelques autres, comme le rappelle saint Augustin dans sa lettre 86 à Casulanum.
La tradition nécessaire est celle qui est transmise sous la forme d’un précepte, comme la célébration de Pâque le dimanche après le quatorzième jour de la lune de mars. La libre est celle qui est transmise sous la forme d’un conseil, comme l’aspersion de l’eau lustrale, et autres choses semblables.