Ce qui suit est un extrait de ce qui est sans doute la dernière lettre de saint Jean Chrysostome à son amie Olympias. Le livre qu’il évoque est celui qui a été édité par les Sources chrétiennes sous le titre Lettre d’exil.
Sans parler en effet de tout ce que j'ai souffert à Constantinople, vous pouvez vous faire une idée de tout ce que j'ai enduré, depuis mon départ, pendant ce long et pénible voyage ou j'étais sans cesse menacé de mourir, vous pouvez vous imaginer tout ce que j'ai souffert depuis mon arrivée dans ce pays, depuis mon départ de Cucuse, après mon séjour a Arabisse. Eh bien ! nous avons échappé à tant de périls ; nous jouissons à l'heure qu'il est d'une santé parfaite, et nous sommes complètement rassuré. Les Arméniens s'étonnent qu'avec un corps si faible et si maigre je puisse supporter la violence du froid, respirer encore, quand ceux même qui sont habitués à ces rigueurs s'en trouvent si fort incommodés. Or jusqu'à ce jour nous n'avons éprouvé aucun accident : nous avons échappé aux mains des brigands, qui souvent se sont jetés sur nous, nous manquons des choses les plus nécessaires, nous ne pouvons pas même prendre de bains. A Constantinople, nous ne pouvions nous en passer : maintenant nous nous trouvons si fort que nous n'en sentons pas même le besoin; notre santé ne semble plus réclamer cet auxiliaire. Rien n'a pu nous abattre, ni l'intempérie de l’air, ni la solitude des lieux, ni le manque de provisions et de serviteurs, ni l'ignorance des médecins. Nous ne prenons pas de bains, nous sommes sans cesse enfermé dans une chambre, comme si nous étions en prison; nous ne sortons jamais, et la promenade nous était si nécessaire autrefois. Nous sommes sans cesse à côté du feu, inondé de fumée, nous avons a craindre les voleurs qui toujours nous assiègent, et malgré tout cela, malgré bien d'autres inconvénients, nous nous portons mieux qu'à Constantinople ou nous étions si bien soigné. Songez a ce que je viens de vous dire; bannissez toute tristesse a mon sujet, et ne vous infligez pas de peines si fâcheuses et si superflues. Je vous envoie un livre que je viens d'écrire, et dont voici le titre : Personne n'est blessé que par lui-même. C'est là ce que prétend démontrer l'ouvrage que je vous adresse. Parcourez-le souvent, et même si votre santé vous le permet, lisez-le à haute voix. Ce remède vous suffit, si vous le voulez bien. Mais si vous vous obstinez, si vous ne voulez pas vous traiter vous-même, si malgré tant de divertissements et d'exhortations, vous ne voulez pas sortir de ce nuage de tristesse, à notre tour nous ne vous écouterons plus, et nous cesserons de vous écrire si souvent ces longues lettres, dont vous ne savez point profiter pour retrouver le calme. Comment verrons-nous donc que vous êtes consolée ? Sera-ce par votre témoignage ? Non, mais par les effets; car vous venez de nous le dire, c'est la tristesse qui vous a rendue malade. Grâce à cet aveu, nous croirons que votre tristesse a cessé, si vous recouvrez la santé. Puisqu'en effet, d'après vous, la tristesse est la cause de votre maladie, une fois la tristesse bannie, la maladie certainement disparaîtra, et la racine une fois arrachée, les branches périront. Tant que celles-ci fleuriront, se porteront bien, se couvriront de ces malheureux fruits, nous ne pourrons nous persuader que vous aurez enlevé la racine. Donc plus de paroles, mais des effets : si vous recouvrez la santé, vous recevrez encore des lettres plus longues que ne le seraient des discours. N'est-ce pas un grand motif de consolation pour vous que nous vivions, que nous nous portions bien, qu'au milieu de tant d’ennuis, nous ne soyons ni malade ni infirme ? Ah ! nos ennemis s'en attristent et en ressentent une vive douleur. Vous devrez donc de votre côté y puiser une abondante consolation, votre principale consolation. Non, ne dites point que vos amis sont abandonnés : les souffrances qu'ils endurent inscrivent leurs noms dans les cieux.