Le psaume 28 est un des textes les plus extraordinaires du psautier. Déjà il attire l’attention par son style particulièrement archaïque, avec ses sept propositions sans verbe commençant par « Vox Domini » : voix du Seigneur. On remarque aussi que le nombre se décompose en 2 et 8 : il insiste donc sur le caractère christique du psaume : 8, nombre du Christ, 2, nombre du Christ aussi par les deux natures et les deux préceptes de la charité. En outre, 2+8=10, les dix commandements. 28, c’est aussi 4x7 (le 4 de la création : membres de l’homme, éléments, points cardinaux ; le 7 de la totalité de la création par la Trinité). Et encore, le nombre 28 est un nombre parfait. Le nombre parfait est celui qui est le même que la somme de ses diviseurs. Les deux premiers nombres parfaits sont 6 (1+2+3) et 28 (1+2+4+7+14), et tous les suivants se terminant par 6 ou 28. (6 est un nombre parfait parce que la création a été faite en 6 jours et qu’elle a été refaite par le Christ crucifié le 6e jour à la 6e heure.)
Enfin, en opérant ce qu’on appelle une agrégation, c’est-à-dire en additionnant les chiffres à partir de 1, on s’aperçoit qu’on arrive à 28 quand on a tout additionné jusqu’au 7 (1+2+3+4+5+6+7). Or dans le psaume 28 il y a sept fois la « Voix du Seigneur ». Ce psaume a été logiquement choisi pour être le premier psaume des matines de l’Epiphanie : la voix du Seigneur sur les eaux. C’est donc de ce point de vue le psaume du baptême du Christ, qui est l’un des mystères de l’Epiphanie, et le premier que célèbrent les matines, comme on le voit aussi par les deux premiers répons. Baptême où l’on voit le Saint-Esprit venir sur Jésus sous l’apparence d’une colombe, et donc apporter ses sept dons : le 7 de l’agrégation qui fait 28, et qui multiplié par 4 faire encore 28.
Mais ce psaume est aussi un psaume de l’Epiphanie, de la Manifestation divine, par sa façon de révéler le Dieu caché en son centre même.
Car il est construit comme une double boîte, qui renferme un trésor : le Christ qui attend qu’on aille le chercher.
La première boîte est constituée par les deux premiers et les deux derniers versets.
Dans les deux premiers versets, on a quatre fois l’expression « Apportez au Seigneur ». Dans les deux derniers versets, on a quatre fois le mot « le Seigneur » comme sujet de quatre actions. Quatre et quatre font huit, le huit qui est le nombre du Christ.
Ce huit se divise donc en deux. On ouvre la boîte, et l’on trouve les versets centraux, qui comportent sept fois l’expression « Voix du Seigneur » (1).
Sept est le nombre de la perfection. Il est constitué de 4 et 3. Or il y a d’abord quatre fois la « voix du Seigneur », puis un verset qui ne comporte pas cette expression, puis trois fois la « voix du Seigneur ».
On ouvre la seconde boîte, divisée en quatre et trois. Et l’on découvre « le bien-aimé ». Qui était annoncé par la boîte quatre et trois, puisque quatre est le nombre de l’homme et trois le nombre de Dieu : le bien-aimé est le fils de l’homme et le fils de Dieu. Et le bien-aimé était annoncé dès la première boîte, puisque huit est le nombre du Christ.
Au cœur de ce psaume, de façon un peu décalée à cause de la dissymétrie du nombre 7, mais au centre exact si l’on ajoute une doxologie, on a donc le bien-aimé. Le bien-aimé qui est comme un fils de licornes. Ou plutôt « comme le fils des licornes ». Le fils unique de toutes les licornes. C’est-à-dire Celui qui concentre en sa personne toute la puissance de toutes les licornes (de toutes les « cornes uniques »), or la licorne est le symbole de la puissance, la puissance à l’état brut, qui peut servir pour le bien comme pour le mal, pour persécuter le fils de l’homme, comme dans le psaume 21, ou qui est l’exaltation même du fils de l’homme, du bien-aimé, au centre de ce psaume, au milieu de l’orage apocalyptique de Dieu qui se rend présent.
Ce psaume est d’autre part un psaume de sacrifice. Les « afferte » du début sont des appels à apporter l’animal du sacrifice : des petits de béliers, précise le premier verset. Le dernier verset nous donnera le fruit du sacrifice : la puissance, la bénédiction et la paix. Au centre du psaume a eu lieu le sacrifice : celui du Bien Aimé, bien plus que fils de bélier, fils de licornes.
(1) « Quand il cria, les sept tonnerres firent entendre leurs voix. Et quand les sept tonnerres eurent fait entendre leurs voix, j'allais écrire ; et j'entendis du ciel une voix qui disait : Scelle ce qu'ont dit les sept tonnerres, et ne l'écris pas » (Apocalypse 10, 3-4).
Traduction française
Apportez au Seigneur, fils de Dieu, apportez au Seigneur les fils des béliers.
Apportez au Seigneur gloire et honneur, apportez au Seigneur la gloire de son nom, adorez le Seigneur en son saint parvis.
Voix du Seigneur sur les eaux : le Dieu de majesté a tonné, le Seigneur au-dessus des grandes eaux.
Voix du Seigneur en force, voix du Seigneur en magnificence.
Voix du Seigneur brisant les cèdres ; et il brisera, le Seigneur, les cèdres du Liban.
Et il les mettra en pièces comme le veau du Liban, et le bien-aimé est comme un fils de licornes.
Voix du Seigneur fendant la flamme de feu, voix du Seigneur qui ébranle le désert, et le Seigneur agitera le désert de Cadès.
Voix du Seigneur préparant les cerfs, et elle mettra à nu les forêts. Et dans son temple tous diront sa gloire.
Le Seigneur fait habiter le déluge, et le Seigneur siégera, roi pour l’éternité.
Le Seigneur donnera la force à son peuple, le Seigneur bénira son peuple dans la paix.