Les dispositions dans lesquelles le jeûne doit être accompli, tel est l’objet de la lecture que nous venons de faire dans le prophète Isaïe. C’est le Seigneur lui-même qui parle, le Seigneur qui lui-même avait prescrit le jeûne à son peuple. Il déclare que le jeûne des aliments matériels n’est rien à ses yeux, si ceux qui s’y livrent n’arrêtent pas enfin le cours de leurs iniquités. Dieu exige le sacrifice du corps ; mais il ne peut l’accepter, si celui de l’âme n’est pas offert en même temps. Le Dieu vivant ne peut consentir à être traité comme les dieux de bois et de pierre qu’adoraient les Gentils. Des hommages purement extérieurs étaient tout ce qu’il leur fallait ; car ces dieux étaient aveugles et insensibles. Que l’hérétique cesse donc de reprocher à l’Église ses pratiques qu’il ose traiter de matérielles ; c’est lui-même qui, en voulant affranchir le corps de tout joug, s’est précipité dans la matière. Les enfants de l’Église jeûnent, parce que les saintes Écritures de l’Ancien et du Nouveau Testament recommandent le jeûne à chaque page, parce que Jésus-Christ lui-même a jeûné quarante jours ; mais ils n’estiment cette pratique qui leur est imposée de si haut, qu’autant qu’elle est relevée et complétée par l’hommage d’un cœur qui a résolu de réformer ses penchants vicieux. Il ne serait pas juste, en effet, que le corps, qui n’est devenu coupable que par la perversité de l’âme, lût dans la souffrance, tandis que celle-ci continuerait le cours de ses mauvaises œuvres. De même aussi, ceux que la faiblesse de leur santé empêche de se soumettre , en ce saint temps, aux satisfactions qui pèsent sur le corps, ne sont point dégagés de l’obligation d’imposer à leur âme ce jeûne spirituel qui consiste dans l’amendement de la vie, dans la fuite de tout ce qui est mal, dans la recherche de toute sorte de bonnes œuvres.
Sœur de la prière et du jeûne, l’aumône est la troisième des œuvres fondamentales qui constituent la pénitence chrétienne. C’est pour cette raison que l’Église aujourd’hui nous propose les enseignements du Sauveur sur la manière dont nous devons accomplir les œuvres de miséricorde. Jésus-Christ nous impose l’amour de nos semblables, sans distinction d’amis et d’ennemis. Il nous suffit que Dieu, qui les a tous créés, les aime lui-même, pour que nous soyons dans le devoir d’être miséricordieux envers tous. S’il daigne les supporter, lors même qu’ils sont dans le mal, et attendre leur retour jusqu’à la fin de leur vie, en sorte que pas un ne périt si ce n’est par sa propre faute, que ferons-nous, nous qui sommes pécheurs et qui sommes leurs frères, tirés comme eux du néant ? C’est donc un hommage dont le cœur de Dieu est flatté, que de le servir et de l’assister dans les hommes dont il daigne se regarder comme le père. La reine des vertus, la Charité, renferme essentiellement l’amour du prochain, comme une application de l’amour même de Dieu ; et la Charité, en même temps qu’elle est un devoir sacré pour les membres de la grande famille humaine, est aux yeux de Dieu, dans les actes qu’elle inspire, une œuvre de pénitence, à raison des privations que l’on s’impose et des répugnances que l’on peut avoir à vaincre dans son accomplissement. Remarquons aussi comment le Sauveur nous répète, à propos de l’aumône, le conseil qu’il nous a donné sur le jeûne : celui de fuir l’éclat et l’ostentation. La pénitence est humble et silencieuse, elle ne cherche point les regards des hommes ; l’œil de celui qui voit dans le secret lui suffit pour témoin.
Dom Guéranger