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Liturgie - Page 335

  • Mardi Saint

    L’introït de la messe de ce jour (qu'on retrouvera le jeudi saint) est magnifique. Comme il arrive quelquefois, l’antienne n’est pas un verset de psaume mais une phrase de saint Paul :

    Nos autem gloriári oportet in Cruce Dómini nostri Iesu Christi : in quo est salus, vita et resurréctio nostra : per quem salváti et liberáti sumus.

    Pour nous, il faut nous glorifier dans la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; c’est en lui qu’est notre salut, notre vie et notre résurrection ; c’est par lui que nous avons été sauvés et délivrés.

    Et le psaume est le verset 2 du psaume 66 :

    Deus misereátur nostri, et benedícat nobis : illúminet vultum suum super nos, et misereátur nostri.

    Que Dieu ait pitié de nous et nous bénisse ; qu’il fasse briller son visage sur nous et qu’il ait pitié de nous.

    La conjonction de ces deux textes a inspiré ce commentaire au bienheureux cardinal Schuster :

    L’antienne d’introït est tirée, par exception, des épîtres de l’Apôtre (Galat., VI, 14). Loin d’être une source de déshonneur, le gibet de la Croix est pour le chrétien un titre de gloire, puisque c’est de là que, au moyen de Jésus-Christ, jaillit le salut, la vie et la résurrection. Suit le psaume 66 : « Que le Seigneur ait pitié de nous et nous bénisse ; qu’il fasse resplendir sur nous son visage et nous traite avec miséricorde. » C’est la plus belle prière qui se puisse élever de l’Église au divin Crucifié. Il voulut bien mourir au milieu des ténèbres de la nature terrifiée, devenu lui-même objet de malédiction de la part de l’ineffable sainteté de Dieu ; mais en même temps il nous regarde amoureusement de ses yeux de mourant ; et ces regards sont des étincelles et des rayons de vive et éclatante lumière éclairant toute la terre. La malédiction dont Il se charge sur le Calvaire, pour obéir au Père, mérite en notre faveur l’abondance des bénédictions divines, en sorte que Jésus crucifié est vraiment la lumière du monde et le gage de toute bénédiction. Que Jésus fasse donc resplendir continuellement son visage agonisant sur nos âmes, afin qu’il daigne se rappeler combien il a souffert pour nous et use de miséricorde envers nous. Quant à nous, voyant le visage de Jésus mourant, concevons une grande horreur pour le péché et un tendre amour pour notre Sauveur, disant avec Paul : Dilexit me et tradidit semetipsum pro me.

    Et il y revient encore à la fin de son exposé sur la liturgie de ce jour :

    Que le Seigneur fasse resplendir sur nous son visage et use envers nous de miséricorde ! Tel est le beau psaume messianique que l’Église, en ces jours, applique aux triomphes du Crucifié. En effet, c’est du haut du gibet d’infamie que Jésus, selon sa parole, élevé de terre, attire à soi toutes les âmes. C’est de la Croix qu’il tourne ses yeux mourants vers l’humanité qui, le long des siècles, défile devant lui — lui qui, selon le texte de saint Jean, est considéré dans les décrets divins comme immolé depuis le commencement du monde—et qu’il bénit tous ceux qui croient.

    *

    D’autre part, la première lecture est un passage de Jérémie où se trouve, en plein milieu : « Mettons du bois dans son pain », phrase que j’évoquais mercredi dernier. Voici le commentaire qu’en fait dom Guéranger, qui s’inspire de saint Jérôme :

    C’est encore une fois Jérémie qui nous fait entendre sa voix plaintive à l’épître. Il nous donne aujourd’hui les propres paroles de ses ennemis, qui ont conspiré de le faire mourir. Tout y est mystérieux ; et l’on sent que le Prophète est ici la figure d’un plus grand que lui. « Mettons, disent-ils, du bois dans son pain », c’est-à-dire : Jetons un bois vénéneux dans sa nourriture, afin de lui causer la mort. Tel est le sens littéral, quand il ne s’agit que du Prophète ; mais combien ces paroles s’accomplissent plus pleinement dans notre Rédempteur ! Sa chair divine est, nous dit-il, un Pain véritable descendu du ciel ; ce Pain, ce corps de l’Homme-Dieu, est meurtri, déchiré, sanglant ; les Juifs le clouent sur le bois, en sorte qu’il en est tout pénétré, en même temps que ce bois est tout arrosé de son sang. C’est sur le bois de la croix que l’Agneau de Dieu est immolé ; c’est par son immolation que nous sommes mis en possession d’un Sacrifice digne de Dieu ; et c’est par ce Sacrifice que nous participons au Pain céleste, qui est en même temps la chair de l’Agneau et notre Pâque véritable.

    *

    L’évangile d’aujourd’hui est la Passion selon saint Marc.

  • Lundi Saint

    Voici qu’a commencé la semaine sainte, la grande semaine, comme disent les byzantins, la semaine peineuse, comme on disait autrefois ici et là. Hier le cortège royal a conduit le Christ à Jérusalem. L’intronisation du Messie est une chose acquise, elle sera explicitée sur la Croix, comme la messe l’a douloureusement chanté dans ses antiennes et dans la Passion selon saint Matthieu.

    Aujourd’hui saint Jean évoque ce repas de Béthanie, « six jours avant la Pâque », où se trouve Lazare, annonçant la résurrection du Christ par le fait qu’il est lui-même ressuscité, et Marie qui verse sur les pieds de Jésus du nard, un parfum de très grand prix : 300 deniers, soit 10 mois de SMIC de l’époque, et selon la valeur actuelle du SMIC plus de... 14.000€. Précision donnée pour certains qui ne doivent pas beaucoup apprécier cette histoire, tel Judas qui pense aux pauvres. Les pauvres qui sont en quelque sorte spoliés par Marie, et insultés par ce gaspillage insensé de riches égoïstes.

    Ce n’est pourtant pas ce que dit Jésus : « Laisse-là, pour qu’elle le garde pour le jour de ma sépulture. » Phrase mystérieuse, car elle ne peut pas le garder, ce parfum qu’elle vient de répandre. C’est que déjà, symboliquement, l’ensevelissement a commencé. Et la bonne odeur du parfum a rempli la maison, comme le sacrifice de bonne odeur du Christ se répandra sur toute la terre, pour faire des chrétiens eux-mêmes la bonne odeur du Christ.

    Ceci renvoie de façon générale aux sacrifices du Temple, que Jésus est venu accomplir en son corps. Mais aussi, de façon aussi discrète que précise, au Cantique des cantiques, 1,11 : « Tandis que le Roi était à table, mon nard a donné son odeur. » Et le verset suivant dit : « Un bouquet de myrrhe est pour moi mon bien-aimé ; entre mes seins il demeurera. » Le parfum est la myrrhe pour l’embaumement, et la condition pour que le bien-aimé soit dans mon cœur est qu’il passe par la mort.

    Ainsi chantait en elle-même Marie de Béthanie, la première à participer consciemment à la Passion parce qu’elle a « choisi la meilleure part », avec en face d’elle son frère Lazare que tout le monde venait voir, garant de la résurrection d’entre les morts.

  • Deuxième dimanche de la Passion ou des Rameaux

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    Graduel de l’église Sainte-Cécile du Trastévère, 1071 (cod. Bodmer 74, Cologny).

    Dómine, ne longe fácias auxílium tuum a me, ad defensiónem meam áspice : líbera me de ore leonis, et a córnibus unicórnium humilitátem meam.

    Deus, Deus meus, réspice in me : quare me dereliquísti ? longe a salúte mea verba delictórum meórum.

    Seigneur, n’éloignez pas de moi votre secours : soyez attentif à me défendre ; délivrez-moi de la gueule du lion et des cornes des licornes, car je suis bien faible et humilié.

    O Dieu, mon Dieu, tournez vers moi votre regard ; pourquoi m’avez-vous abandonné ? La voix de mes péchés éloigne de moi le salut.

    Commentaire par dom Baron:

    La première phrase est d'une admirable sérénité. Quelques notes dans le grave, revenant à la tonique en des cadences larges et pleines. Un accent de ferveur sur tuum et une insistance bien marquée sur a me donne à la prière un caractère très personnel, on dirait bien familial : ton secours à toi, Père, pour moi, ton Fils.

    Toutefois on pourrait y déceler déjà les premières nuances de l'angoisse qui vient.
    Celles-ci montent peu à peu sur ad defensionem meam et, après avoir jailli sur aspice en un cri d'ardente supplications, passent à la phrase suivante où elles mettent sur libera me une insistance, répétée jusqu'à être émouvante.

    Après quoi, comme si le Christ était épuisé par cet appel de détresse, sa prière se fait plus paisible. Par deux fois - sur ore et sur a cornibus - le motif de ad me, dans la première phrase, revient avec son caractère d'intimité; mais, à l'évocation des bêtes féroces, symbolisant toutes les tortures physiques et morales qui viennent sur lui, il se sent à nouveau envahi d'horreur et de répulsion, et c'est le même appel ardent et chargé d'angoisse qu'il lance au Père sur humilitatem, le mot même par lequel il dit sa faiblesse et son impuissance.

    Cet introït par les moines de l’abbaye de Montserrat, semaine sainte 1964.
    podcast

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  • Saint Joseph

    Débitum tibi, Dómine, nostræ réddimus servitútis, supplíciter exorántes : ut, suffrágiis beáti Ioseph, Sponsi Genetrícis Fílii tui Iesu Christi, Dómini nostri, in nobis tua múnera tueáris, ob cuius venerándam festivitátem laudis tibi hóstias immolámus. Per eúndem Dóminum nostrum.

    La prière sur l’oblation a aujourd’hui un sens spécial, car l’offrande inaugurale de l’hostie que nous allons présenter à Dieu sur le saint autel, fut accomplie pour la première fois dans le temple de Jérusalem, lorsque, quarante jours après Noël, Marie et Joseph portèrent le Verbe Incarné dans le temple : ut sisterent eum Domino : « Suppliants, Seigneur, nous vous rendons notre juste hommage, vous priant humblement de garder vous-même en nous vos dons, par les mérites de l’Époux de la Mère de votre Fils Jésus-Christ notre Seigneur, le bienheureux Joseph, en la vénérable fête duquel nous vous offrons cette hostie de louange. Par notre Seigneur, etc. »

    (…)

    Adésto nobis, quǽsumus, miséricors Deus : et, intercedénte pro nobis beáto Ioseph Confessóre, tua circa nos propitiátus dona custódi. Per Dóminum.

    Après la Communion on récite la collecte suivante, où l’Église insiste pour la seconde fois aujourd’hui sur la garde diligente du don de Dieu et de la grâce : « Assistez-nous, ô Dieu de miséricorde, et par l’intercession du bienheureux confesseur Joseph, gardez vous-même en nous avec bonté vos dons. Par notre Seigneur, etc. »

    Comme l’ancien Joseph garda le grain qui devait sauver l’Égypte durant les sept années de famine, ainsi l’Époux très pur de la Vierge Marie garda contre la cruauté d’Hérode le vrai Pain de vie éternelle qui donne le salut au monde entier. Maintenant encore, telle est la mission de Joseph dans le ciel ; et c’est pourquoi l’Église demande avec insistance que sa puissante intercession garde dans les âmes la vie mystique de Jésus, moyennant la correspondance fidèle à la grâce.

    Bienheureux cardinal Schuster

  • Vendredi de la Passion

    Depuis hier les antiennes du Benedictus et du Magnificat ne reprennent pas un verset de l’évangile du jour, mais annoncent ce qui se passera la semaine prochaine.

    Hier jeudi, elles annonçaient le Jeudi Saint :

    Magíster dicit : Tempus meum prope est, apud te fácio Pascha cum discípulis meis.

    Le Maître dit : Mon temps est proche, je veux faire chez toi la Pâque avec mes disciples.

    Desidério desiderávi hoc Pascha manducáre vobíscum, ántequam pátiar.

    J’ai désiré d’un grand désir de manger cette Pâque avec vous, avant de souffrir.

    Aujourd’hui vendredi, elles annoncent le Vendredi Saint :

    Appropinquábat autem dies festus Iudæórum : et quærébant príncipes sacerdótum quómodo Jesum interfícerent, sed timébant plebem.

    Cependant ils étaient proches, les jours de la fête des Juifs : et les princes des prêtres cherchaient comment ils pourraient faire mourir Jésus ; mais ils craignaient le peuple.

    Príncipes sacerdótum consílium fecérunt ut Jesum occíderent : dicébant autem : Non in die festo, ne forte tumúltus fíeret in pópulo.

    Les princes des prêtres tinrent conseil pour faire mourir Jésus : mais ils disaient : Non pas un jour de fête, de peur qu’il ne s’élevât du tumulte parmi le peuple.

    Les antiennes de ce jour sont tirées de Luc et de Matthieu, alors que l’évangile, qui est sur le même thème, est de Jean. Cet évangile nous donne la prophétie du grand prêtre : « Il vaut mieux pour vous qu’un seul homme meure pour le peuple. »

    Caïphe ne sait pas qu’il prophétise, il croit qu’il parle du seul salut temporel du peuple juif. Mais il est grand prêtre, et sa parole va se réaliser sur le plan spirituel, et bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer.

    Car Jésus va en effet mourir pour le peuple, mais il s’agit d’un sacrifice. Il va à la Croix comme le grand prêtre entrait dans le sanctuaire avec « les noms des fils d’Israël » sur son pectoral. Le texte (Exode 28,29) dit bien « les noms des fils d’Israël », alors que concrètement il s’agit seulement des noms des 12 tribus. Mais ces noms représentent tout le peuple. [Addendum. Comme l'indique un commentaire, Israël est ici le nom de Jacob, il s'agit donc bien de ses 12 fils.]

    Jésus tient donc la place du grand prêtre, et l’épître aux Hébreux explique abondamment comment Jésus est le vrai grand prêtre, qui entre dans le sanctuaire non avec le sang des boucs mais avec son propre sang, non une fois par an mais une fois pour toutes.

    Il en ressort que Caïphe a non seulement prophétisé la mort du Christ pour le salut des hommes, mais aussi la fin du sacerdoce de l’Ancienne Alliance : le Christ qu’il veut faire mourir est le véritable grand prêtre, grand prêtre éternel selon l’ordre de Melchisédech, qui ressuscitera donc pour nous donner toujours le pain et le vin de la vie éternelle. Tandis que le sacerdoce de l’Ancienne Alliance va disparaître (et c’est pourquoi il est impossible de considérer les juifs d’aujourd’hui comme les héritiers authentiques de l’Ancien Testament).

  • Jeudi de la Passion

    L’évangile de ce jour (Luc 7,36-50) raconte comment une pécheresse vint chez un pharisien où Jésus était en train de manger et « elle se mit à arroser ses pieds de ses larmes, et elle les essuyait avec les cheveux de sa tête, et elle baisait ses pieds et les oignait de parfum ». Nous sommes une semaine avant le Jeudi Saint.

    Cette « pécheresse », ou cette « courtisane », bref cette prostituée, que les Orientaux ne nomment pas davantage que saint Luc et qu’ils n’assimilent ni à Marie Madeleine ni à Marie de Béthanie, est célébrée dans la liturgie byzantine aux matines du "Grand Mercredi", le Mercredi Saint, comme modèle de la pénitence. On chante notamment un tropaire dit de Cassienne, du nom d’une sainte hymnographe du IXe siècle, et son histoire est touchante.

    Cassienne était une jeune fille d’une immense beauté. Lorsque l’empereur Théophile résolut de se marier, elle fut l’une des six vierges qu’on lui présenta. Son choix se porta sur une autre. Ce qui convint fort bien à Cassienne, qui avait la vocation religieuse. En outre, Théophile était un empereur iconoclaste, et Cassienne vénérait les icônes. Pendant sa vie de religieuse, elle se distinguera dans la défense des icônes et des partisans des icônes, n’hésitant pas à braver les persécutions.

    Un jour, elle était en train de composer ce tropaire du mercredi saint :

    « Seigneur, la femme qui était tombée dans une multitude de péchés, ayant reconnu votre divinité, prit le rôle d’une myrophore et, tout en larmes, vous offrit du nard avant votre sépulture et dit : Malheur à moi ! La tyrannie de la débauche et la passion du péché m’ont fait sombrer dans une nuit noire. Recevez donc les flots de mes larmes, vous qui attirez les eaux de la mer dans les nuages, et penchez-vous sur les sanglots de mon cœur, vous qui abaissez les cieux par votre indicible abaissement. J’embrasse et je sèche, avec les boucles de mes cheveux, vos pieds immaculés…

    A ce moment-là, elle apprit que l’empereur arrivait au couvent. Ne voulant pas le voir, elle alla se cacher. Lorsque l’empereur fut parti, elle revint à son travail, et elle découvrit que l’empereur avait poursuivi en écrivant :

    … alors que, lorsqu’Eve entendit au paradis les pas redoutables de ces mêmes pieds, elle se cacha de peur.

    Cassienne conserva les mots de l’empereur et conclut son hymne :

    O mon Sauveur et le salut de mon âme, qui sondera le gouffre de la multitude de mes péchés et l’abîme de vos jugements ? Ne vous détournez pas de moi, qui suis votre servante, vous dont la miséricorde est incommensurable. »

    Voici le tropaire de Cassienne chanté en arabe par le P. Maximos Fahmé (d'Alep).
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  • Du bois dans son pain

    Et moi, comme un agneau plein de douceur qu'on porte au sacrifice, je n’ai pas su qu’ils ont médité un dessein contre moi, disant : Mettons du bois dans son pain, effaçons-le de la terre des vivants, et qu'on ne se souvienne plus de son nom.

    La lecture biblique du temps de la Passion est le livre de Jérémie. En outre, la première partie du verset ci-dessus (Jérémie 11,19) fait partie du capitule des matines, et la seconde partie est le capitule des laudes. Chaque jour aux laudes on dit : « Mettons du bois dans son pain ». Car c’est là une prophétie de la Passion du Christ, l’agneau, pain de vie, qu’on porte au sacrifice de la Croix.

    Pourtant aucune traduction moderne en français ne dit cela. Elles ont « Détruisons l’arbre avec son fruit » (Crampon et la majorité des traductions protestantes) ou « détruisons l’arbre dans sa vigueur » (Bible de Jérusalem), « Détruisons l’arbre en pleine sève » (TOB), « Détruisons l’arbre en sa sève » (Osty). Quant à la soi-disant Bible de la liturgie sous copyright elle invente : « Coupons l’arbre à sa racine. »

    La Bible de Jérusalem et la TOB assènent leur « traduction » sans donner la moindre explication, alors qu’elle contredit toute la tradition biblique, patristique et liturgique d’Orient et d’Occident. Osty indique quant à lui qu’il « corrigé le texte ». Parce que, comme cela arrive si souvent, le texte massorétique qu’il s’efforce de suivre ne le satisfait pas. Dans le texte, dit-il, il y a « dans son pain » ou « avec son pain », ce qui ne veut rien dire, donc il met « sève » à la place… (Oui, c’est comme cela qu’ils font, Osty étant le seul à multiplier les notes où il signale qu’il « corrige » le texte hébreu. Dans lequel il y a effectivement « dans son pain » : BeLaHeMo, ce qui fait évidemment penser à... BeTLeHeM, la maison du pain.)

    Or nous avons ici encore le cas d’un accord parfait entre la Septante et la Vulgate. Entre la traduction grecque réalisée par des rabbins à Alexandrie au IIIe siècle avant Jésus-Christ et la traduction latine réalisée par saint Jérôme six siècles plus tard. Toutes deux disent : « Mettons du bois dans son pain ».

    Les premiers pères de l’Eglise ont immédiatement compris l’allusion à la Passion. Et si l’on en croit saint Justin, les juifs ont supprimé ce verset de leurs Bibles, comme plusieurs autres qui annonçaient le Christ. C’est ce qu’il affirme dans son Dialogue avec Tryphon (§72). S’il en est ainsi, ils l’ont donc remis ensuite, en le modifiant pour le rendre incompréhensible.

    Dans sa dixième homélie sur Jérémie, Origène a un beau développement sur cette expression. Le pain de Jésus, dit-il, c’est sa parole, son enseignement qui nous nourrit. Les juifs ont ajouté du bois à son pain lorsqu’ils l’ont crucifié. Mais le bois a rendu le pain plus fort. Avant que le bois n’entre dans le pain, son enseignement ne s’étendait pas à la terre entière. Mais quand le pain eut reçu la puissance par le bois de la Croix, alors son enseignement s’est répandu partout.

    Et ego quasi agnus mansuetus,
    qui portatur ad victimam :
    et non cognovi quia cogitaverunt super me consilia, dicentes :
    Mittamus lignum in panem ejus,
    et eradamus eum de terra viventium,
    et nomen ejus non memoretur amplius.

  • Mercredi de la Passion

    Une fois encore, Jésus explique Qui il est. Non pas le messie temporel que les Juifs attendent (c’est pourquoi il refuse obstinément de se dire le Messie), mais proprement l’un de l’Uni-Trinité divine : « Moi et le Père sommes un ».

    Les Juifs prennent des pierres pour le lapider : « Toi qui es un homme, tu te fais Dieu. »

    En effet, il est homme. Mais il ne se fait pas Dieu, il EST Dieu.

    Vous dites que je blasphème parce que je dis : Je suis le Fils de Dieu.

    Mais dans le psaume 81, Dieu vous dit : « Vous êtes des dieux, et tous fils du Très-Haut. »

    Si vous, vous êtes des dieux, a fortiori moi je suis Dieu, comme le montrent mes œuvres. Si vous êtes fils du Très-Haut, a fortiori moi je le suis, car le Père est en moi, et moi dans le Père.

    Il est remarquable que Jésus donne un sens très fort au verset du psaume. Pour que l’argument porte, il faut que réellement Dieu divinise les hommes. Il les divinise en les faisant « participants de la nature divine », comme l’expliquera saint Pierre. Par une filiation de participation, tandis que lui est Dieu à part entière.

    Il est remarquable aussi qu’en citant ce verset Jésus renvoie aux versets qui l’entourent, et que les Juifs qui discutent avec lui connaissent par cœur. Or le verset qui précède dit :

    Ils ne savent pas, ils n’ont pas compris, ils marchent dans les ténèbres.

    Et le verset qui suit :

    Mais vous mourrez comme des hommes.

    Car l’homme ne peut devenir Dieu que dans le Dieu qui s’est fait homme. Dans la communion trinitaire. Car la filiation ne peut exister que si Dieu est Père et Fils, et si elle est opérée par l'Esprit.

  • Mardi de la Passion

    « Mon temps n’est pas encore venu », dit Jésus dans l’évangile de ce jour. Comme il dit ailleurs que son « heure » n’est pas encore venue, ou que l’évangéliste précise que si personne ne met la main sur lui c’est parce que son heure n’est pas encore venue.

    Ici il dit « mon temps ». Le sens est le même, il est même renforcé d’une certaine façon puisque le mot grec est « kairos » : le moment opportun, le moment crucial, le temps où il faudra mourir sur la croix pour racheter les hommes. Mais le choix du mot est ici commandé par le contexte. Jésus dit « mon temps », par opposition à celui de ses frères : « votre temps est toujours prêt ». Le temps de ses frères, ce n’est pas un moment opportun, c’est le temps du monde.

    Le P. Bouyer (Le 4e évangile) avait remarqué le parallélisme entre cet épisode et les noces de Cana. A Cana, c’était la première fois que Jésus disait « Mon heure n’est pas encore venue. » Et dans les deux épisodes on voit Jésus refuser de faire ce qu’on lui demande, puis le faire ensuite.

    A Cana, c’est à la prière de sa Mère. Mais ce n’est pas, ou pas seulement, pour être agréable à Marie que Jésus fait un miracle pour remédier à la pénurie de vin. Ce miracle est un « signe ». Il a une signification profonde, spirituelle, sacramentelle. Il ne fait pas ce qu’on lui a demandé. Il fait quelque chose qui ressemble à ce qu’on lui a demandé, mais dont la signification est sur un autre plan.

    Il en est de même avec ses frères qui lui demandent d’aller à la fête. Ils lui demandent de participer au cortège festif qui va s’ébranler pour aller à Jérusalem rejoindre les autres cortèges des villages et des tribus, où il va pouvoir montrer ce qu’il sait faire, briller aux yeux du monde en accomplissant devant les foules de Jérusalem quelques éclatants miracles qui vont faire de lui une vedette au lieu qu’il reste terré en Galilée.

    Jésus répond qu’il ne va pas à cette fête. Puis, une fois que la tribu est partie, il y va « comme en secret ». Non pour jouer au thaumaturge, mais pour enseigner sa doctrine qui n’est pas de lui mais de celui qui l’a envoyé. Il est l’envoyé de Dieu et il prêche avec autorité parce qu’il est Dieu lui-même. Au Temple. Au milieu de la fête. Dès qu’il a commencé à parler les autorités ont dépêché des hommes pour l’arrêter. Mais… « son heure n’était pas encore venue »…

  • Lundi de la Passion

    La liturgie de ce temps est la plainte du Christ souffrant. Mais l’hymne des vêpres, Vexilla Regis, et l’hymne des matines, Pange lingua gloriosi, sont des chants de triomphe, qui célèbrent la victoire du Roi sur ses ennemis. Car l’issue ne fait aucun doute. Et c’est dans sa Passion même que le Christ est vainqueur, la Croix est son trône.

    Voici le Vexilla Regis par des maîtres de chœur réunis à Fontevraud en juillet 1980, sous la direction du chanoine Jeanneteau (strophes 1, 2, 3, 6 deux fois, 7).
    podcast

    Vexílla Regis pródeunt :
    Fulget Crucis mystérium,
    Qua vita mortem pértulit,
    Et morte vitam prótulit.

    Les étendards du Roi s’avancent :
    il resplendit le mystère de la Croix,
    sur laquelle la Vie a souffert la mort,
    et par la mort a produit la vie.

    Quæ, vulneráta lánceæ
    Mucróne diro, críminum
    Ut nos laváret sórdibus,
    Manávit unda et sánguine.

    C’est là que, transpercé du fer
    cruel d’une lance,
    son côté épancha l’eau et le sang,
    pour laver la souillure de nos crimes.

    Impléta sunt quæ cóncinit
    David fidéli cármine,
    Dicéndo natiónibus :
    Regnávit a ligno Deus.

    Il s’est accompli, l’oracle de David
    qui, dans un chant inspiré,
    avait dit aux nations :
    « Dieu régnera par le bois. »

    Arbor decóra et fúlgida,
    Ornáta Regis púrpura,
    Elécta digno stípite
    Tam sancta membra tángere.

    Tu es beau, tu es éclatant,
    arbre paré de la pourpre du Roi ;
    noble tronc appelé à l’honneur
    de toucher des membres si sacrés.

    Beáta, cuius bráchiis
    Prétium pepéndit sǽculi,
    Statéra facta córporis,
    Tulítque prædam tártari.

    Arbre bienheureux, dont les bras
    ont porté la rançon du monde !
    Tu es la balance où fut pesé ce corps,
    et tu as enlevé à l’enfer sa proie.

    O Crux, ave, spes única,
    Hoc Passiónis témpore
    Piis adáuge grátiam,
    Reísque dele crímina.

    Salut, ô Croix, unique espérance !
    En ces jours de la Passion,
    accrois la grâce chez les justes,
    efface le crime des coupables.

    Te, fons salútis, Trínitas,
    Colláudet omnis spíritus :
    Quibus Crucis victóriam
    Largíris, adde prǽmium.
    Amen.

    O Trinité, source de notre salut,
    que tous les esprits vous louent ensemble :
    vous nous donnez la victoire par la Croix :
    daignez y ajouter la récompense.
    Amen.

    Sur la messe de ce jour, voir ma note de 2014. Sur l’évangile, voir aussi ma note de l’an dernier.