Durant le temps de ses plus ardentes prières, notre Bienheureuse Mère allant un jour aux champs, à cheval, priant toujours Notre Seigneur au fond de son cœur de lui montrer ce guide fidèle qui la devait conduire à lui, passant par un grand chemin au-dessous d'un pré, dans une belle et grande plaine, elle vit, tout à coup, au bas d'une petite colline, non guère loin d'elle, un homme de la vraie taille et ressemblance de notre Bienheureux Père François de Sales, évêque de Genève, vêtu d'une soutane noire, du rochet et le bonnet en tête, tout comme il était la première fois qu'elle le vit dans Dijon, comme nous dirons ci-après.
Cette vision répandit dans son âme une grande consolation et certitude que Dieu l'avait exaucée ; à même temps qu'elle regardait à loisir ce prélat admirable, elle ouït une voix qui lui dit : Voilà l'homme bien-aimé de Dieu et des hommes, entre les mains duquel tu dois reposer ta conscience. Ce qu'étant dit, la vision disparut aux yeux du corps, mais demeura si empreinte dans cette sainte âme, qu'environ trente-cinq ans après, elle dit en confiance à une personne, qu'elle lui était aussi récente dans l'esprit que le jour qu'elle reçut cette faveur céleste, qui fut suivie de plusieurs autres. Voici celles qui sont venues à notre connaissance : Un matin, étant au lit, un peu assoupie, elle se vit dans un chariot avec une troupe de gens qui allaient en voyage, et lui semblait que le chariot passait devant une église où elle vit quantité de personnes qui louaient Dieu avec grande jubilation et gravité : « Je voulus, dit-elle, parlant de cela, m'élancer pour m'aller joindre à cette bénite troupe, et entrer par la grande porte de l'église qui m'était ouverte ; mais je fus repoussée et j'ouïs distinctement une voix qui me dit : Il faut passer outre, et aller plus loin ; jamais tu n'entreras au sacré repos des enfants de Dieu que par la porte de Saint-Claude. J'étais si peu dévote, ajouta-t-elle, que je n'avais jamais fait attention à ce bénit saint, duquel la dévotion me fut alors imprimée au cœur, et cette vue me donna derechef un grand allégement. En sorte que quand mes désirs et travaux me violentaient plus rudement, je disais à mon âme pour la consoler : Patiente, mon âme, Dieu t'a promis que tu entrerais au sacré repos de ses enfants par la porte de Saint-Claude. »
« Quelques mois après cette vue ici, il m'arriva un jour d'être surprise d'un grand attrait du ciel qui attirait à lui tout mon être ; je fus un long temps dans ce saisissement, toute arrêtée, et me semblait au retour d'icelui que je revenais d'un autre monde, où je n'avais appris que cette seule parole que Dieu avait dite à mon âme : Comme mon fils Jésus a été obéissant, je vous destine à être obéissante. »
« Une autre fois, dans le petit bois proche du château de mon beau-père, à Montelon, je fus fortement saisie de l'attrait intérieur et arrêtée en oraison, sans que j'y pusse résister, car j'avais envie de me retirer à l'église qui était tout proche. » La, il me fut montré que l'amour céleste voulait consumer en moi tout ce qui m'était propre, et que j'aurais des travaux intérieurs et extérieurs en grand nombre ; tout mon corps frémissait et tremblait quand je fus revenue à moi ; mais mon cœur demeura dans une grande joie avec Dieu, parce que le pâtir pour Dieu me semblait la nourriture de l'amour en la terre, comme le jouir de Dieu l'est au ciel. »
« Une autre fois, dans la chapelle de Bourbilly, Dieu me montra une troupe innombrable de filles et de veuves qui venaient à moi et m'environnaient, et il me fut dit : Mon vrai serviteur et vous, aurez cette génération ; ce me sera une troupe élue, mais je veux qu elle soit sainte. Je ne savais ce que cela me signifiait, car depuis que Dieu m'eut dit qu'il me destinait à être obéissante, je n'eusse pas voulu souffrir en mon âme le désir de faire aucun choix moi-même, et attendais toujours que Dieu m'envoyât le saint homme qu'il m'avait fait voir, résolue de faire tout ce qu'il ordonnerait de moi. » Ces faveurs divines passaient, quant à la suavité ; mais les tentations continuaient à traverser cette Bienheureuse Mère, laquelle s'avançait au désir de la perfection, sans autre guide que de Dieu, étant en lieu champêtre, et ne pouvant conférer avec personne ni de ses biens ni de ses maux intérieurs.
Il faut remarquer que presque à même temps que Notre Seigneur, par ses sacrées visions, montrait à sa fidèle servante celui qu'il lui avait destiné pour conducteur, d'autre côté sa divine Majesté découvrait à notre Bienheureux Père, en un ravissement, dans la chapelle du château de Sales, les principes de notre Congrégation, et lui fit voir en esprit celle qu'il avait choisie pour première pierre fondamentale d'icelle ; en sorte que ces deux saintes âmes se voyant à Dijon pour la première fois de leur vie, se reconnurent l'une et l'autre, comme nous dirons ci-après.
Mémoires sur la vie et les vertus de sainte Jeanne-Françoise Frémyot de Chantal, par la mère Françoise-Madeleine de Chaugy.
N.B. C’est à Saint-Claude qu’eut lieu la deuxième rencontre avec saint François de Sales, qui devint ce jour-là son directeur spirituel.