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Saint Bernard

Un jour que j'étais malade dans notre maison, et que la maladie traînant en longueur m'avait excessivement fatigué et altéré, Bernard, l'ayant appris, envoya vers moi son frère Gérard, d'heureuse mémoire, en me mandant par lui de venir à Clairvaux, et promettant que j'y trouverais aussitôt la guérison ou la mort. Acceptant, comme la volonté du Ciel, la faculté qui m'était offerte de mourir auprès de lui ou de vivre quelque temps avec lui (j'ignore lequel des deux je préférais alors), je partis aussitôt, quoiqu'avec des maux et des souffrances excessives. Là, il m'en arriva selon la promesse qui m'avait été faite, et, je l'avoue, selon mon désir; car mon corps accablé de violentes et dangereuses infirmités recouvra la santé: mais les forces ne lui revinrent que peu à peu. Dieu miséricordieux, quel bien m'ont fait cette maladie, ces jours de repos et de vacances, dans le lieu que je désirais ! Pendant tout le temps que je fus malade auprès de lui, la maladie dans laquelle il était alors lui-même portait remède à mes véritables maux. Tous deux infirmes, nous traitions pendant toute la journée de la médecine spirituelle de l'âme et de l'efficacité des vertus contre les maladies des vices. Il discourut avec moi du Cantique des cantiques, d'une manière aussi haute que le lui permettait le temps de ma maladie, me dévoilant, selon mon désir et ma demande, le secret des choses qu'il avait écrites. Chaque jour, pour ne pas oublier ce que j'entendais à ce sujet, je l'écrivais, à l'aide de ma mémoire, autant que Dieu m'en donnait le pouvoir. En cela, comme il m'expliquait avec bonté et sans réserve et me communiquait les jugements de son intelligence et les sentiments de son expérience, s'efforçant de m'instruire sur beaucoup de choses que j'ignorais et que l'expérience seule apprend, quoique je ne pusse encore comprendre ce qu'il m'expliquait, cependant il m'avançait plus que je ne pouvais m'avancer par moi-même dans l'intelligence des choses que je ne comprenais pas encore. Mais ce que nous avons dit à ce sujet est suffisant.

Le dimanche de la Septuagésime approchait. Le soir du samedi même qui précédait ce dimanche, comme je me sentais déjà si bien portant que je pouvais me lever de mon lit, et sortir et entrer seul, je commençai à me préparer à retourner vers nos frères. Bernard l'ayant appris m'en empêcha absolument, et me défendit d'espérer ou de tâcher de partir avant le dimanche de la Quinquagésime. J'y consentis facilement; car je n'avais aucun projet qui pût m'en empêcher, et ma maladie paraissait l'exiger. Après ce dimanche de la Septuagésime, voulant m'abstenir de la viande, dont il m'avait ordonné et forcé jusqu'à ce jour de me nourrir, il m'interdit aussi cette abstinence.

Je ne voulus écouler là-dessus ni ses avertissements, ni ses prières, ni ses ordres. Nous séparant ainsi, chacun de notre côté, le soir de ce samedi, il se rendit immédiatement à complies, et moi vers mon lit. Et voilà que ma maladie se ranima avec fureur, comme si elle eût repris ses premières forces, m'assaillit et me saisit avec tant de violence et de cruauté, me tourmenta et me dévora pendant cette nuit avec une rage tellement au dessus de mes forces et de mon courage, que, désespérant de la vie, je croyais à peine pouvoir la surmonter jusqu'au jour, pour parler encore une fois à l'homme de Dieu. Après avoir passé toute la nuit dans ces souffrances, dès le grand matin, je fis appeler Bernard. Il vint; mais il ne m'offrit pas ce visage compatissant qu'il avait d'ordinaire, et son air montrait du mécontentement. Souriant cependant: «Que mangerez-vous aujourd'hui?» dit-il. Sans qu'il eût parlé, je regardais déjà ma désobéissance de la veille comme la cause certaine de mes souffrances; je lui répondis: «Ce que vous m'ordonnerez. — Soyez tranquille, dit-il, vous ne mourrez pas encore;» et il s'en alla. Que dirai-je ? aussitôt je ne ressentis plus aucune douleur, si ce n'est que, fatigué des souffrances de la nuit, je pus à peine me lever du lit pendant tout ce jour. Quelle douleur, quelle cruelle douleur j'avais éprouvée! je ne me rappelle pas en avoir jamais ressenti de pareille. Le lendemain cependant je fus guéri, et je recouvrai mes forces; peu de jours après je m'en retournai chez moi, avec la bénédiction et les bonnes grâces de mon excellent hôte.

Vie de saint Bernard par Guillaume de Saint-Thierry, chapitre 12, traduction François Guizot.

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