Il est de bon ton chez les nains savants (mais géants d’impiété) d’insinuer ou affirmer que saint Jérôme ne connaissait pas bien l’hébreu, malgré les preuves contraires. Il est plus difficile de prétendre qu’il connût mal le grec, lui qui entre deux séjours à Antioche (où il enseigna et fut ordonné prêtre par le patriarche Paulin II) fut pendant deux ans le disciple de saint Grégoire de Nazianze (qu’il appela son « précepteur »)…
On sait que saint Jérôme révisa les traductions existantes du Nouveau Testament pour donner le texte qui est celui de la Vulgate. Or il garda telle quelle l’expression de Jésus ressuscité à Marie-Madeleine : « Noli me tangere ». Ne me touche pas. Or les nains savants d’aujourd’hui veulent qu'on traduise : « Ne me retiens pas », « Cesse de me retenir », ou quelque chose du même genre.
Je ne reviens pas sur tout ce que j’ai déjà écrit sur le sujet (on peut le retrouver à partir de cette note). Mais pour croire ce qu’affirment les nains savants, il faut penser que saint Jérôme ait « laissé passer » une bourde, par distraction, par étourderie…
Ce qui est idiot. Mais voici que je découvre qu’il a parlé de cette réplique de Jésus dans ses lettres. Pour tenter d’expliquer à Marcella comment il se fait qu’il dise « Ne me touche pas » à Marie-Madeleine alors que dans saint Matthieu il laisse les femmes (dont Marie-Madeleine) le toucher.
Autant dire tout de suite que l’explication est plutôt faible, surtout si on la compare à ce que disent saint Augustin, saint Léon et saint Bernard sur le « Noli me tangere ». Mais la question n’est pas là. Ce qui importe ici est que saint Jérôme écrit bien « Noli me tangere », et constate donc que dans saint Matthieu il y a « tangere » et que dans saint Jean il y a « non tangere ». Toucher, ne pas toucher. Impossible de traduire autrement. Et dans le propos de saint Jérôme il n’y a pas la moindre hésitation. Il aurait pu, pour régler la question, signaler qu’on peut traduire autrement, donc que ce n’est pas exactement la même situation chez Matthieu et chez Jean, mais il ne le fait pas. Or nous sommes en 395. Dix ans auparavant, il avait déjà abordé la question dans une lettre à Paula. Sans évoquer non plus la possibilité d’une autre traduction. Ou plus exactement en donnant une autre traduction, mais de sens identique. Il écrit en effet : « Ne tetigeris ». C’est-à-dire l’ordre exprimé par la négation « ne » et le subjonctif parfait, ce qui correspond classiquement et exactement à « noli » et l’infinitif.
Il est donc très clair que pour saint Jérôme, qui parlait grec, qui avait étudié les textes grecs profanes à Antioche et les textes grecs sacrés avec saint Grégoire de Nazianze, que « noli me tangere », ne peut que vouloir dire « Ne me touche pas ». Aucune « distraction » possible. C’est constant sous sa plume.
J’ajoute que Christophe Rico, qui a eu le courage insigne (en notre temps, dans ce milieu de l’exégèse) d’écrire un livre en défense de saint Jérôme intitulé Le traducteur de Bethléem, soutient cette traduction contre la soi-disant Néovulgate, page 149, en donnant quatre autres indices : trois références à l’évangile de saint Luc où la même tournure grecque (aussi dans la bouche du Christ) ne peut pas vouloir dire « cesse de », et un commentaire d’Eusèbe de Césarée (qui n’écrivait qu’en grec comme son nom l’indique), soulignant qu’il s’agit bien de toucher ou de ne pas toucher.
P.S. Après avoir mis ceci en ligne, et alors que j’allais dire l’office de none, saint Jérôme m’a attrapé par la manche de mon attention pour me faire remarquer que « ne tetigeris » ne se trouve dans aucun manuscrit de l'Evangile, parce que, au moment où il écrivait à Paula, c’est le texte grec qu’il avait en tête, et qu’il a traduit ainsi sur le moment, alors que dix ans plus tard, dans la lettre à Marcella, il a utilisé l’expression latine consacrée par l’usage. Ce qui montre bien que le grec n’a pas d’autre signification que celle que la tradition a toujours donnée.