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Noli me tangere

La scène de Marie-Madeleine au tombeau est l’une des plus fascinantes de l’Evangile. Elle l’est encore davantage dans son texte originel. Il est regrettable que les traductions (même la Vulgate clémentine) ne respectent pas les temps. Certes, ils ne sont pas employés de façon littérairement « correcte ». Mais c’est évidemment volontaire, et c’est affaiblir la portée du texte que de le « corriger ».

Voici la traduction littérale :

Mais Marie se tenait face au tombeau, pleurant (participe présent), dehors. Or comme elle pleurait elle se pencha dans le tombeau, et elle voit (présent : flash !) deux anges en (vêtements) blancs, assis, l’un à la tête, l’un aux pieds, où avait été déposé le corps de Jésus. Et ils disent à celle-ci :

- Femme, pourquoi pleures-tu ?

Elle leur dit (présent) :

- On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis.

Ayant dit cela elle se retourna (passé simple) en arrière, et elle voit (présent : flash !) Jésus qui se tient là, et elle ne savait pas (imparfait) que c’est Jésus (présent, Jésus : Je Suis). Jésus lui dit (présent) :

- Femme, pourquoi pleures-tu ? Qui cherches-tu ?

Celle-ci, pensant que c’est le jardinier, lui dit (les trois verbes au présent) :

- Monsieur, si c’est vous qui l’avez emporté, dites-moi où vous l’avez mis, et j’irai le prendre.

Jésus lui dit (présent) :

- Mariam.

Celle-ci s’étant retournée (passé) lui dit (présent) :

- Rabbouni

c’est-à-dire Maître.

Jésus lui dit (présent) :

- Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père. Mais va vers mes frères, et dis-leur : Je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu.

Mariam la Magdalène va annonçant aux disciples : J’ai vu le Seigneur, et il m’a dit cela.

N.B. Le verbe grec qu'on ne peut traduire ici que par "voir" n'est pas le verbe habituel, mais un mot qui veut dire d'abord "être spectateur", puis "contempler" (dans tous les sens du terme).

*

Lorsque j’ai critiqué la traduction actuelle la plus fréquente du « Μή μου ἅπτου » (ne me retiens pas), notamment ici, je ne me rappelais plus qu’il y avait une raison grammaticale. J’avais lu la règle pourtant, mais sans faire le lien avec ce passage, et je l’avais oubliée. La raison avancée est que l’expression est au présent et que cette défense de faire quelque chose, quand elle est au présent, indique que le quelque chose est en cours et qu’on demande de l’arrêter. « Μή μου ἅπτου », c’est donc « arrête de me toucher », autrement dit : tu ne dois pas me retenir, parce que je doit monter vers mon Père. Si Jésus (ou l’évangéliste) avait voulu dire : « Ne me touche pas », il aurait mis le verbe au subjonctif aoriste.

Qu’en est-il ? L’argument ne tient pas. Car si cette règle est vraie en grec classique, elle n’est pas toujours appliquée, comme tant d’autres, en grec de la koinè. Et on en a une preuve par le verbe suivant : « Va », qui est au présent de l’impératif, alors que selon la même règle il devrait être à l’aoriste, comme tous les commandements qui impliquent une action précise et ponctuelle.

Et cela est conforme à ce qu’on lit. Car le texte ne dit nullement que Marie a touché Jésus. Elle a juste dit : « Rabbouni ».

En outre les traducteurs latins auraient cherché à rendre la nuance du présent, ce qu’ils n’ont pas fait.

Enfin, ce présent est utilisé à dessein, dans la ligne des autres présents surprenants du texte, qui est le présent de la brusque irruption de l’éternité dans le temps.

Sur le Noli me tangere, voir ici (en tenant compte de ce qui précède).

Sur le jardin de Gethsémani renvoyant au jardin du Cantique des cantiques, voir ici.

Sur Marie-Madeleine et le Cantique des cantiques (en dehors des antiennes – du commun - qui en sont presque toutes issues), voir ici.

Commentaires

  • ORA PRO NOBIS,
    REGNUM GALLIAE,

  • Bonjour,

    Patrick Calame a traduit "ne t'approche pas de moi" sur Peshytta.(pardon de vous écorcher mais sa traduction et ses notes donnent un point de vue intéressant quant aux arameismes).
    Par contre, il dit que "ne me touche pas" est en contradiction avec Matthieu 28,9.

  • Je ne connais pas Calame, mais il me semble que la juste attitude serait de chercher à comprendre pourquoi JC a pu donner 2 injonctions semblant se contredire. Je pense que Dieu connaissant les coeurs, il sait ce qui est bon pour chacun, et cela n'est pas univoque. Pour Marie, le toucher sera un obstacle à la foi (cf l'article de Daoudal, premier lien).
    Les saintes femmes croyaient déjà (v. 8), donc ce ne pouvaient être une opposition à leur foi, Il y a aussi la parole à S Thomas(jn 20.27) Face à Thomas, JC veut au contraire le provoquer à la foi. Et ça marche...
    Et d'ailleurs, il faut noter que justement, Thomas ne le touche pas : pour nous enseigner (et là, on est en plein accord avec notre texte) que la foi n'a pas besoin de toucher JC physiquement pour le toucher en vérité. Sa foi étant encore toute récente, ce toucher aurait pu prêter à confusion. (et il y a aussi un gentil reproche de NS, qui réemploye les mots mêmes de Thomas, comme pour lui dire "tu pensais donc que je n'avais pas entendu?").
    Cela dit, j'admets aussi la traduction "ne me retiens pas", car elle a le sens de "je ne suis pas pour toi seul, ne cherche pas à me garder pour toi".

  • @Daoudal
    Il faudrait regarder dans une Grammaire grecque du NT, et voir ce qui est dit quant au respect de cette règle. De toute façon, elle n'est pas obligatoire non plus dans le grec classique (voyez par ex, si vous l'avez, la syntaxe de Bizos p. 138). Mais il est vrai que st Jean respecte aussi cette règle :une page plus loin, au v 27, Jésus dit à st Thomas : "mè ginou apistos", "cesse d'être incrédule", avec une valeur aspectuelle véritable. A moins que st Jean ne mette tous ses impératifs au présent?

  • @eric Il s'agit du livre "les évangiles" de joachim elie et Patrick calame qui sont deux hébraisants et araméisants.
    C'est une traduction du NT de la Peshytta.

    Indépendamment des questions de langue originale des évangiles sur laquelle je ne prends pas partie, on y découvre certains éléments qui n'apparaissent pas dans le grec et des connexions entre les mots via les trois consonnes hébraïques qui les composent comme on le ferait avec un texte hébreux de l'AT.

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